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Henry Fairmont aurait pu s’appeler Ponce Pilate… Il raccompagna Malko jusqu’au porche du charmant building colonial blanc aux volets verts entouré d’un somptueux gazon anglais…

Malko reprit l’avenue Simon Bolivar, passant un peu plus loin devant le Consulat US, impressionnant bloc de béton de six étages. Des centaines de Dominicains y faisaient la queue dès l’aube dans l’attente problématique du visa qui les arracherait à leur pauvreté.

Malko espérait que le stringer de la CIA pourrait l’aider plus efficacement que le chef de station qui paraissait nul : Saint-Domingue n’était pas un lieu « chaud » et on n’y mettait pas les épées de la CIA.

* * *

Un loqueteux avec un vieux fusil de chasse veillait languissamment devant le Raffles, dormant debout contre le mur. C’était la coutume à Saint-Domingue de se payer ainsi des gardes qui ne gardaient rien. Dans la calle Hostos, les masures en bois de la zona colonial avaient fait place à des immeubles hispaniques restaurés qui lui donnaient un air de fête. Jadis cela avait été le centre de la ville, maintenant « Pequeno Haïti » s’étalait le long de l’avenue Mella avec ses trois cents mille réfugiés faméliques et sidaïques. Mais les bars et les restaurants pullulaient, et les camions faisant trembler les vieilles maisons, venant des deux grands ponts enjambant le Rio Ozama qui délimitait la ville de l’est.

Le Raffles était désert, à l’exception d’une microscopique serveuse au sourire aguichant, se trémoussant au rythme d’un « merengue » endiablé. Un vieux canot était suspendu au plafond et les sièges de bois sombre donnaient un aspect austère aux deux salles.

— Jim Harley ? demanda Malko.

La serveuse lui jeta un regard sournois.

— Vous aviez rendez-vous ?

— Oui.

— Venez, señor.

Elle écarta le rideau, découvrant un escalier blanc en colimaçon, si étroit qu’on s’y écorchait les coudes. Le derrière rond se balançait devant lui au rythme du merengue qui jouait à tue-tête dans le bar vide. Malko cligna des yeux devant une lumière éblouissante : ils venaient de déboucher sur une terrasse dominant la zona colonial.

Malko aperçut, étendu sur une serviette de bains, un homme de grande taille, massif et enrobé de graisse, les cheveux très noirs coupés court, vêtu uniquement d’un slip en faux léopard détaillant ses attributs sexuels de façon obscène. Des coques en plastique noir recouvraient ses yeux, les protégeant du soleil brûlant, le rendant provisoirement aveugle. La serveuse s’arrêta en face de lui et appela :

— Señor Jim ! Un caballero para tu.

Le corps entier enduit d’huile solaire, il tenait un réflecteur argenté pour mieux se bronzer le visage. À dix années lumière, on aurait reconnu un homosexuel flamboyant…

Il ôta les coques protégeant ses yeux, se redressa d’un mouvement gracieux, sourit à Malko et demanda :

— Señor, qui êtes-vous ?

— Malko Linge, annonça Malko en serrant la main couverte d’huile. Henry Fairmont m’a donné vos coordonnées.

— Ah oui ! fit chaleureusement Jim Harley, vous êtes l’homme de Washington à la recherche de cet affreux Kramer. Excusez-moi, j’essaie de prendre un peu de soleil. L’après-midi, il pleut toujours… Je vous rejoins dans cinq minutes au bar. Demandez à Chupita de vous préparer une Pinacolada, elle les fait à merveille.

* * *

Débarrassé de son huile solaire, vêtu d’un discret polo et d’un jeans pas trop moulant, Jim Harley était moins voyant. Seule la gourmette en or où son nom était incrusté en lettres de diamants détonnait un peu. Mais après tout, on était sous les tropiques. Par contre, côté professionnel, ce n’était pas un imbécile. Malko avait pu en juger par ses réactions, lorsqu’il lui avait exposé le cas Kramer.

— Je pensais qu’Henry Fairmont allait me demander de surveiller ce Kramer, dit-il. Il m’a seulement fait vérifier s’il se trouvait bien au Comercio. Pour le reste, il m’a dit de procéder par sondage… Je n’allais pas m’amuser à le suivre, ni à dépenser de l’argent. Je n’ai pas de budget et il ne m’aurait jamais remboursé…

Les deux hommes semblaient se détester cordialement…

Malko demanda :

— On peut compter sur les Dominicains ?

Jim Harley eut un sourire amusé, et répondit, après avoir bu d’un coup son expresso très sucré :

— La dernière fois qu’ils ont été méchants, on leur a envoyé dix mille « Marines » Alors, ils sont prudents, mais ils ne nous aiment pas. D’autant qu’on leur achète de moins en moins de sucre et que le vieux Président Joachim Balagues, à 83 ans, n’a plus peur de rien…

— Comment dénicher Paul Kramer ? demanda Malko. S’il est encore à Saint-Domingue.

Jim Harley but la moitié de sa bière, pensif et demanda :

— Vous avez un budget ?

Cela semblait être son obsession.

— Oui.

— Alors, on va le trouver. Je travaille un peu aussi pour le DEA. J’ai des contacts chez les flics et les militaires. Ils gagnent des salaires de misère : cinq cents pesos par mois, de quoi acheter des cigarettes, même si la vie n’est pas chère. Si vous pouvez consacrer mille dollars à ce truc, je vous mets la main sur Paul Kramer. Et s’il n’est plus là, je saurai où et quand il est parti.

— Comment ?

— J’ai une informatrice à la DNI[16], la police politique de la Présidence, Flor Mochis. Elle a besoin d’argent et a un bon réseau d’informateurs. Un étranger ne peut pas se planquer à Saint-Domingue sans que les flics le sachent ou qu’il soit protégé par les militaires. C’est encore eux – la clique de Trujillo – qui tiennent tout, de l’import-export aux bordels. Flor et moi, on connaît. Mais il faut faire attention. S’ils vous prennent pour un agent de la DEA, ils peuvent vous flinguer à vue. Le dernier qui est venu a terminé dans le port. Ils l’y ont jeté vivant, empaqueté dans un filet de pêcheur, avec un bloc de béton. Les crabes et les poissons ont tout nettoyé. On aurait pu revendre son squelette à l’Académie de médecine…

Encourageant. Malko prit cinq billets de cent dollars dans sa poche et les étala sur le comptoir.

— Transmettez mes hommages à la señora Flor Mochis, dit-il.

À l’heure des satellites et du laser, on n’avait encore rien trouvé de mieux pour résoudre un problème qu’un indicateur bien motivé… Jim Harley prit l’argent et consulta son chrono incrusté de diverses pierres précieuses.

— Revenez ce soir, ici. Je vous la présenterai. Vous verrez, c’est un personnage étonnant. À côté d’elle, Maggie Thatcher est douce comme un chaton…

Chapitre VI

Paul Kramer, pour la dixième fois, fixait d’un oeil distrait la même cassette vidéo porno. Au début, les images crues l’avaient émoustillé et il avait même profité du trouble de Kareen pour la sodomiser par surprise tandis qu’elle regardait l’étalon du film en faire autant à sa partenaire.

Depuis, l’anxiété et la banalisation avaient eu raison de son désir.

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Departamento National de Inteligencia.