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— Buenos noches, señor.

Elle avait une voix rauque, comme si elle s’était rincé la gorge au rhum toute la journée. Sa lourde poitrine était enfermée dans un chemisier noir ouvert très bas ; son pantalon ajusté, de même couleur, disparaissait dans des santiags, sa taille était sanglée dans une large ceinture de cuir cloutée. Malko se dit que le lieutenant Flor Mochis était une des plus attirantes salopes tropicales qu’il ait jamais croisée.

— Allons nous asseoir, suggéra Jim Harley.

Le Raffles était déjà plein de Noirs bruyants, agglutinés au bar. Flor gagna la première un box dans la seconde salle, permettant à Malko d’admirer une croupe ronde et cambrée. Il ne s’attendait pas à une telle créature… Elle laissa tomber son sac sur la table avec un bruit sourd. Il contenait sûrement plus qu’un mouchoir et du rouge à lèvres. La serveuse déposait déjà devant elle une « Pinacolada » et Malko commanda une vodka.

Posément, elle ôta son feutre et planta son regard dans celui de Malko. Avec un intérêt non dissimulé. Les blonds ne couraient pas les rues à Saint-Domingue.

— Flor est un de mes meilleurs investissements dans ce pays, dit Jim Harley.

— Je n’en doute pas, assura Malko.

— Tu as trouvé quelque chose ? enchaîna aussitôt l’Américain.

Elle le toisa avec un sourire ironique.

— Tu crois que c’est facile ! Un peu de patience. J’ai alerté tous les lagartos[17] qui traînent. Ils vont venir, ils ont faim.

— Vous pensez que Paul Kramer est encore ici ? demanda Malko.

Elle écrasa une cacahuète dans ses longs doigts, expédiant à Malko un regard qui embrasa son ventre.

— J’ai vérifié à l’aéroport, j’y ai des amis… Rien du côté officiel. Chez les narcos, j’en aurais entendu parler. Par la frontière avec Haïti aussi. Il n’y a pas beaucoup d’étrangers qui s’y rendent en ce moment… À mon avis, Kramer n’a pas quitté le pays.

— Cuba n’est pas loin…

Elle acheva son verre, d’une longue gorgée.

— Claro que si ! fit-elle, mais il n’y a pas de liaisons. Même les pêcheurs de là-bas ne viennent pas.

On lui apporta une seconde « Pinacolada » qu’elle attaqua avec la même énergie.

Malko l’observait. Les boutons de son chemisier semblaient prêts à sauter sous la pression de ses seins. Son regard remonta, croisant celui de Flor. Il crut y lire quelque chose de sexuel et de violent. Et, brutalement, la lumière s’éteignit.

Jim Harley jura.

— Shit ! La panne.

Toute la rue s’était éteinte. Au bar, on s’affairait autour des bougies. Malko demanda :

— Ça peut durer longtemps ?

— Quelques heures ou quelques jours, dit l’Américain, tout ce quartier est pourri.

— Et on coupe chez les pauvres avant les riches ! compléta Flor Mochis.

Quand la serveuse vint poser une bougie sur la table, Malko s’aperçut qu’elle avait déjà vidé sa seconde « Pinacolada »… Jim Harley se leva pour aller s’occuper du groupe électrogène. Flor héla la serveuse d’un geste autoritaire. Quelques secondes plus tard, on lui apportait une « Pinacolada » toute neuve.

Flor y trempa ses lèvres et tourna vers Malko des yeux où dansait la lueur de la bougie. Ils étaient les seuls dans leur coin, mais au bar, les consommateurs s’étaient mis à chanter. Sa cuisse s’appuyait contre celle de Malko, assis à côté d’elle sur la banquette.

— Première fois que vous venez à Saint-Domingue ?

— Oui.

— Vous aimez ?

— Beaucoup. Les femmes sont superbes. Vous particulièrement.

Elle eut un rire de gorge, rauque et chaud.

— Claro que si ! et elles aiment les hommes. Ici, on fait tout le temps l’amour. Les hommes riches ont trois ou quatre maîtresses qu’ils voient tous les jours.

— Vous êtes mariée ?

— Non.

Elle lui souriait dans la pénombre, sa cuisse toujours collée à la sienne.

Elle se pencha pour prendre son verre : un de ses seins s’appuya contre la main de Malko et il s’aperçut qu’elle ne portait pas de soutien-gorge. Un contact électrique qui sembla troubler Flor autant que Malko. Elle renversa la tête en arrière sur le dossier de la banquette, les seins dardés, les pointes se dessinant sous la soie.

Lentement, elle tourna son visage vers lui. Ses yeux noirs avaient un éclat magnétique. Leurs regards restèrent accrochés.

Et la lumière se ralluma… Saluée par les hurlements des clients du bar. Aussitôt un merengue endiablé jaillit des haut-parleurs. La tension entre Flor et Malko baissa d’un cran.

Un homme traversa la salle, s’approchant d’eux. Flor Mochis leva la tête et lui lança d’une voix froide.

— Hola, Juan, que tal ?

Le dénommé Juan se pencha à son oreille après lui avoir adressé un sourire servile et se mit à chuchoter. Flor ne bronchait pas. Quand il eut fini, elle prit dans son sac quelques billets, en fit une boule et la fourra dans la main de son informateur qu’elle congédia d’une tape sur la hanche.

Malko remarqua que le dénommé Juan semblait encore plus fasciné par les seins de Flor que par sa prime. C’était rare de rencontrer un bombe sexuelle de cet acabit… Dès qu’il se fut éloigné, elle se tourna vers Malko.

— Le señor Kramer est sous la protection du colonel Ricardo Gomez. Il est caché dans un motel et s’apprête à quitter Saint-Domingue.

Chapitre VII

Malko regarda le sourire triomphant de Flor Mochis. Impressionné par son efficacité.

Non seulement sa voisine était une splendide créature, mais elle connaissait son métier…

— Qui est le colonel Ricardo Gomez ? demanda-t-il.

— Un lagarto, laissa-t-elle tomber. Il gagne 1200 pesos par mois[18], mais il a une villa sur l’avenida Mirador del Sur, une BMW, quatre maîtresses ; et une splendide hacienda, à côté de la grande sucrerie du « gringo », à la Rumana.

— Comment fait-il ?

— Il se débrouille. Les bordels. La protection du trafic de drogue. L’immobilier. Son père était un ami de Raphaël Trujillo. Il a gardé des relations…

— Il est engagé politiquement ?

— Non, il n’y a que l’argent qui l’intéresse.

— L’affaire Paul Kramer, c’est politique, remarqua Malko. Il a des contacts avec les Cubains ou les gens de l’Est ?

Le vacarme au bar où le rhum coulait à flots s’était encore amplifié, les clients tapant sur le comptoir pour rythmer les merengues. Flor et Malko étaient obligés de hurler pour s’entendre.

— Non, affirma-t-elle. Mais pour les dollars, il rend n’importe quel service…

— Vous savez comment Kramer et son amie doivent partir ?

Elle le regarda, surprise.

— Mon informateur ne m’a parlé que d’une seule personne. L’Américain.

Qu’était devenue la strip-teaseuse ? Nouveau mystère.

— Vous connaissez le nom du motel où se trouve Paul Kramer ? demanda-t-il.

— Claro que si ! Au Cabanas por el Mar, sur l’avenida de Las Americas, en dehors de la ville. Ce n’est pas un vrai hôtel, il reçoit seulement les couples pour une heure ou deux.

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17

Littéralement lézard. Terme péjoratif.

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18

Environ 1200 francs.