— Allons-y.
Flor marqua une imperceptible hésitation, puis se leva, enfonça son feutre noir presque au ras des yeux, ramassa son sac et fit d’un ton décidé :
— Vamos.
— Je dois récupérer des gens qui travaillent avec moi, dit Malko. On passe d’abord au Sheraton.
Flor se retourna et s’immobilisa.
— Non, fit-elle d’un ton péremptoire. Il ne faut pas nous faire remarquer. Là-bas, on va seulement en couple… Et si nous le trouvons, j’ai ce qu’il faut, ajouta-t-elle en tapotant son sac en bandoulière d’un air entendu.
Il n’y avait plus qu’à s’incliner.
Jim Harley, qui s’affairait au bar, leur adressa un clin d’oeil appuyé et les sifflements admiratifs de ses clients imbibés de rhum couvrirent un instant le merengue quand Flor défila devant eux, hiératique comme une princesse inca.
Dehors, l’air était tiède et humide. Flor Mochis se dirigea vers les débris d’une Chevrolet de la guerre de 14 qui semblait tenir uniquement par la peinture. Au moment de s’y installer, elle se retourna vers Malko :
— Vous avez une voiture ?
— Oui.
— Prenons-la. La mienne est connue et dans ce genre d’endroits, ce ne sont jamais les femmes qui conduisent.
Ils prirent place dans la Colt de location de Malko et Flor posa son sac à terre. Elle le guida pour sortir de la « zona colonial » et gagner le pont Duarte qui enjambait le rio Ozana, pour aboutir sur l’autoroute à deux voies qui longeait la côte. À leur gauche, des néons clignotaient tous les cent mètres : les innombrables motels de passe et quelques bars en plein air installés sur le bas-côté de l’avenida de Las Americas.
Cinq kilomètres plus loin, un panneau lumineux bleu et blanc apparut à gauche : Cabanas por el Mar avec, en lettres rouges : Lo Mejor
— C’est là, annonça Flor Mochis.
Malko coupa l’autoroute un peu plus loin et revint vers l’entrée du motel. Ses phares éclairèrent des dizaines de tableaux appuyés au mur d’enceinte du motel, éclairés par des lumignons posés sur le sol.
À côté de l’entrée, une silhouette enveloppée d’un poncho veillait sur les tableaux. En voyant la voiture elle se précipita, forçant Malko à s’arrêter pour ne pas l’écraser. Il aperçut deux grands yeux noirs, un visage avenant et la fille demanda :
— Señor, venez voir mes tableaux.
— Vamos, vamos, grommela Flor.
La vendeuse de tableaux n’insista pas et disparut dans l’obscurité.
Malko remonta une allée bordée des deux côtés de petits bungalows. La plupart des portes étaient ouvertes. Le sentier tournait plus loin et redescendait vers la sortie.
Au passage, ils aperçurent un bungalow différent des autres avec une partie vitrée. Un homme assis dans un fauteuil regardait la télé : le gérant du motel.
Arrivée à la sortie, Malko fît demi-tour. En tout, ils n’avaient vu que quatre portes de garage fermées. Il revint sur ses pas, lentement et Flor remarqua d’un ton ironique.
— Ce n’est pas la bonne heure. Les gens viennent l’après-midi. Les hommes mariés sont en famille maintenant.
— Je veux savoir dans quel bungalow se trouve Paul Kramer, dit Malko. Nous allons attendre.
Les clients ne restant qu’un temps limité, ce serait relativement facile…
— Entrez dans celui-là, conseilla Flor Mochis, lui désignant un garage vide jouxtant un des quatre occupés.
Malko y pénétra et arrêta son moteur. Il y avait à peine la place de sortir de voiture. Il poussa la porte de la chambre, meublée d’un lit et d’un ensemble télémagnétoscope Samsung posé sur une console. Il régnait une chaleur moite et Flor mit aussitôt le climatiseur en route. Il démarra avec des grincements à fendre l’âme.
Quelques instants plus tard, on frappa au guichet découpé dans la porte donnant sur le garage. Malko le fit coulisser, découvrant le visage ridé d’un vieil homme qui lui adressa un sourire édenté.
— Buenos, caballero ! Cien pesos, por favor. Quiere tomar ma cerveza ?
— Non merci, dit Malko, en donnant les cent pesos.
Le judas se referma et il entendit la porte du garage basculer avec un bruit métallique. Ils étaient tranquilles.
Flor Mochis jeta son sac sur le lit et ôta son feutre, libérant ses cheveux noirs. Malko se dirigeait déjà vers la porte quand elle l’arrêta.
— Attendez ! Il rôde encore peut-être par là.
Au même moment, l’écran de la télé s’alluma. Quelques images brouillées, puis ils virent un couple en train de copuler bestialement, de profil par rapport à l’écran.
L’homme tenait sa partenaire aux hanches et s’enfonçait régulièrement en elle avec des grimaces de plaisir. À chaque allée-venue, on pouvait mesurer la longueur de son sexe. Une musique rythmée accompagnait la scène.
La bouche sensuelle de Flor se tordit en un sourire plein de dérision.
— Ils mettent ça pour exciter les putains qui viennent ici, fit-elle.
Debout, appuyée au mur, elle semblait hypnotisée par l’écran. Malko sentit monter de son ventre une coulée de feu. L’atmosphère encore moite de cette pièce minuscule, l’environnement et le regard trouble de Flor le ramenaient une heure plus tôt, au Raffles.
Il fit un pas vers elle et leurs corps se touchèrent. Du pubis à la pointe des seins. Flor ne broncha pas, surveillant l’écran par-dessus l’épaule de Malko. Il posa les mains sur le chemisier, emprisonnant doucement ses seins libres. Flor consentit alors à détourner son regard vers lui. La musique du clip porno avait cessé, faisant place à des soupirs de rut, à des gémissements de femme forcée et heureuse.
— Tu veux me baiser, comme les putains qui viennent ici.
La voix de Flor était encore plus rauque que d’habitude. Elle défiait Malko de son regard magnétique. Sa phrase était plus une constatation qu’une interrogation. Sous la pression de son ventre, l’image de Paul Kramer s’effaça du cerveau de Malko. La situation était trop chargée d’érotisme pour ne pas la vivre à fond. Quand il défit les boutons du chemisier, les seins parurent lui jaillir au visage.
Sa respiration se fit plus rapide tandis qu’il caressait la chair ferme et tiède, agaçant les pointes jusqu’à ce que Flor émette un gémissement ravi et que ses mains partent fièvreusement à la recherche de son sexe. Elle poussa un petit cri en s’apercevant de son état.
Leurs regards se croisèrent : il lut dans celui de Flor un désir brutal, sauvage, comme un homme. Il voulut l’embrasser, mais elle détourna le visage.
— Non, baise-moi comme une putain.
Ils oscillaient, toujours debout contre le mur.
Pendant un instant, Malko se demanda si elle n’avait pas inventé l’histoire du motel pour en arriver là.
Il l’entraîna vers le lit. Elle s’y laissa tomber, à plat dos, dépoitraillée, les cheveux en désordre, le défiant de ses prunelles noires, superbe.
Il lui arracha la grosse ceinture, défit le pantalon serré, le faisant glisser sur ses hanches, découvrant le ventre bombé, le haut des cuisses charnues. Avec un regard ironique et trouble, elle se laissait faire, sans l’aider. Pris d’une brusque inspiration, il la retourna, tira encore un peu sur le tissu, faisant descendre le pantalon jusqu’à ses genoux. Et sans même l’enlever, il s’enfonça dans le sexe, sentant le miel brûlant couler sur lui. Puis, la tenant par les hanches, il se mit à la besogner furieusement, à coups de reins puissants qui arrachaient des soupirs rauques à Flor.
Les mains crispées sur les draps sales, elle tendait vers lui sa croupe ronde, pour mieux se faire saillir. Malko ralentit un peu son rythme. Puisqu’elle avait demandé à être traitée comme une pute, elle allait l’être.