Vitaly Tolkachev glissa sur la banquette de l’Oldsmobile, rassuré. Lui-même n’aurait pas fait mieux.
Le défecteur émergea à l’air libre, entouré aussitôt d’un véritable mur humain. Les agents de la CIA s’étaient resserrés autour de lui en cocon hérissé de pistolets-mitrailleurs…
Vitaly Tolkachev se dirigeait déjà vers la porte de l’aérogare lorsque son mentor l’arrêta :
— Attendez, Général, il y a encore la petite formalité dont je vous ai parlé.
L’envoyé du Verfassungsshutz se tenait à quelques pas, raide comme la justice, serrant contre lui un porte-documents. L’Américain s’en approcha, flanqué de Vitaly Tolkachev.
— Voilà le général Vitaly Tolkachev, Sir, annonça-t-il. Il quitte le terri…
Le fonctionnaire du Verfassungsshutz le coupa sèchement :
— Ne lui soufflez pas ses réponses, voulez-vous ?
Se tournant vers le Soviétique, il s’adressa à lui dans sa langue.
— Général Tolkachev, me garantissez-vous que vous avez quitté de plein gré votre ambassade ?
— Da.
— Quittez-vous le territoire allemand de votre propre volonté ?
— Da.
— Savez-vous que les hommes qui vous accompagnent appartiennent à la CIA ?
Un pâle sourire éclaira le visage de Vitaly Tolkachev.
— Da.
L’Allemand semblait désemparé par la sécheresse des réponses. Il hésitait sous le regard furibond de l’Américain.
Ce dernier lança à son second :
— On va y aller. Faites dégager la porte là-bas.
Deux agents de la CIA se précipitèrent, faisant refluer à l’intérieur un groupe de touristes qui s’exécutèrent sans protester. Excédé, le Directeur de la Soviet Bloc Division fit face au haut fonctionnaire allemand.
— C’est terminé ?
— Oui, je pense, fit ce dernier de mauvaise grâce. Il faut simplement que le général Tolkachev signe sa déclaration.
Au fur et à mesure, il avait coché les réponses sur un questionnaire préparé à l’avance qu’il tendit au Soviétique.
Ce dernier prit le stylo et apposa en bas de la feuille un paraphe hâtif. Choqué, le fonctionnaire du Verfassungsshutz lui fit remarquer :
— Une fois dans l’avion, vous n’aurez plus aucun recours auprès des autorités allemandes.
Vitaly Tolkachev lui adressa un sourire ironique et lui lança en plein visage :
— Vous étiez aussi méticuleux quand vous expédiiez les gens dans les camps de concentration ?
Toute sa famille avait été décimée par les nazis et il n’aimait pas les Allemands… Horriblement gêné, le haut fonctionnaire recula en balbutiant. L’Américain en profita pour entraîner le défecteur vers la porte.
— Venez, nous allons rater ce fichu avion.
Beau joueur, l’Allemand cria :
— Bonne chance, Général !
Vitaly Tolkachev fit un pas vers la porte, surveillant machinalement autour de lui, par-dessus les épaules de ses gardes.
Son regard tomba sur une valise bleue abandonnée près de la porte où se trouvaient auparavant les touristes.
Quelqu’un de moins prudent n’y aurait prêté aucune attention. Mais lui se méfiait de tout. Il pointa le bras vers le bagage abandonné. Au même moment, la valise bougea, commençant à rouler dans leur direction.
— Smotrite tchemodan ![4]
Vitaly Tolkachev avait hurlé en russe, instinctivement. Les gardes s’immobilisèrent comme un seul homme, le doigt sur la détente, cherchant d’où venait la menace. Aucun ne regarda vers le sol, cherchant une menace humaine.
Seul, le défecteur fixait la valise bleue. Lui avait compris. Le bagage roulait doucement vers le groupe. Une grosse Samsonite montée sur roulettes, comme beaucoup de ce modèle… Probablement propulsée par un moteur et un système de transmission dissimulés à l’intérieur.
Le général Vitaly Tolkachev pivota violemment sur lui-même pour remonter dans l’Oldsmobile dont la portière était encore ouverte.
Il y eut une brève bousculade, les gardes ne saisissant pas ce qui se passait.
L’un d’eux repéra la valise quelques secondes après qu’elle eut commencé à se déplacer. Elle avait déjà parcouru une certaine distance et ne se trouvait plus qu’à cinq ou six mètres du groupe.
Le Directeur de la Soviet Bloc Division la vit en même temps que lui et eut l’impression qu’une main géante lui écrasait la poitrine.
Il hurla.
— Don’t shoot ! Don't shoot !
D’un élan désespéré, il se rua sur Vitaly Tolkachev, cherchant à le jeter à terre.
Au même instant, le garde lâcha une rafale de sa mini-Uzi sur la valise bleue, plus par affolement devant cet événement insolite que pour l’arrêter.
Le Directeur de la Soviet Bloc Division enregistra le staccato de l’arme automatique ; il aperçut un des gardes, hagard, le dos au mur, l’arme verticale, cherchant des yeux une cible. Puis une terrifiante explosion lui creva les deux tympans tandis qu’une boule rouge énorme semblait se ruer sur lui, l’enveloppant d’une chaleur d’enfer.
La valise se trouvait encore à environ quatre mètres de Vitaly Tolkachev lorsqu’elle explosa. La déflagration aspira tout l’oxygène de l’air qui brûla avec une flamme blanche, balayant comme des fétus de paille les hommes qui étaient sur le trottoir. Les enveloppant d’un nuage à plus de deux mille degrés, écrasant leurs poumons, broyant leurs viscères…
Le général Vitaly Tolkachev ouvrit la bouche pour un ultime hurlement de terreur, ce qui hâta sa fin de quelques millièmes de seconde, lui grillant les poumons instantanément.
Chapitre II
Paul Kramer écrasa d’un geste rageur la sonnerie du réveil et s’ébroua. Six heures et demie. Dehors, il faisait encore nuit, mais tous les freeways de Virginie et du Maryland étaient déjà en train de déverser leur flot d’automobilistes sur la capitale fédérale. Beaucoup de bureaux ouvraient à sept heures. D’habitude, Paul Kramer quittait sa petite maison de L Street vers six heures trente pour se trouver à son bureau de Langley, en Virginie, de l’autre côté du Potomac, à sept heures pile. De cette façon, il arrivait à trouver une place pas trop éloignée dans l’immense parking de la CIA.
Mary, sa femme, se leva à son tour.
— Tu as mal dormi, remarqua-t-elle, tu n’as pas arrêté de bouger. Tu as un problème ?
— Fais du café, répliqua Kramer, ignorant sa question, je suis pressé.
Elle enfila une robe de chambre rose et disparut vers la cuisine, laissant son mari gagner la salle de bains. Paul Kramer frotta ses gros yeux noirs, proéminents et ensommeillés, puis ouvrit sa douche à fond, tapotant sa brioche. Son corps musculeux de sportif s’était empâté, il ne lui restait plus guère de cheveux et tout son charme s’était réfugié dans ses yeux vifs et rieurs et dans sa grande bouche sensuelle un peu molle.
La douche lui fit du bien. Il était en train de tailler sa moustache fournie lorsque Mary apporta le café sur le lit, avec ses oeufs brouillés et son jus de tomate qu’il but d’un trait.
Le téléphone sonna.
Paul Kramer n’eut pas le temps de l’atteindre, déjà sa femme avait décroché.