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* * *

Des glapissements en espagnol arrachèrent Malko à sa torpeur. Il jeta un coup d’oeil à sa montre, constatant que près de deux heures s’étaient écoulées depuis leur arrestation… La porte de sa cellule s’ouvrit. Il aperçut un officier sanglé dans une tenue kaki impeccable, arborant une splendide casquette, un colt à crosse d’ivoire à la ceinture, un visage plissé et avenant de vieille fripouille tropicale. Il houspillait un des policiers qui avaient maltraité Malko, aussi gris que son uniforme.

Le policier entra dans sa cellule, aida Malko à se lever, commença à l’épousseter, absolument et délibérément servile.

— Votre Grâce, commença-t-il, il s’agit…

L’officier l’écarta, violemment, glapissant.

— Disparais de ma vue ! insecte puant. Tu seras révoqué, chassé de ce corps d’élite que tu déshonores.

L’autre fila comme un rat le long du couloir. L’officier retrouva un sourire radieux, tendant la main à Malko.

— Con mucho gusto, señor Linge, je suis le colonel Diego Garcia, le responsable de la Direction National de Informaciones. Je viens seulement d’être averti de cette impardonnable erreur. Je suis l’ami indéfectible du señor Henrique Fairmont. C’est un plaisir de collaborer avec un caballero de sa qualité.

Tout en parlant, il le conduisit jusqu’à un bureau spacieux, décoré des fanions de différents corps de polices. Chris Jones et Milton Brabeck s’y trouvaient déjà, en train de se réharnacher.

Un autre policier rendit à Malko son argent et son PPK, l’assurant de son amitié étemelle, tant qu’il serait à Saint-Domingue. Le colonel Garcia l’observait avec un sourire.

— Mes hommes ont cru que vous étiez impliqué dans le meurtre de Flor Mochis, dit-il, il faut les excuser.

— Savez-vous qui l’a tuée ?

Le colonel Garcia eut une mimique découragée.

— Hélas non, mais nous ferons tout pour découvrir les meurtriers. Comme celui de Jim Harley. Là, nous avons une piste.

— Laquelle ?

— Un docker, un homme de main des narcotraficantes. Il a déjà tué deux personnes avec la même arme. Il en avait volé un stock sur les quais. Cette fois, nous allons l’attraper…

Il s’interrompit pour allumer un cigarillo et continua d’un ton chaleureux :

— Le señor Fairmont m’a expliqué le but de votre séjour à Saint-Domingue. Bien entendu, la DNI fera tout ce qu’elle pourra pour vous aider à retrouver ce Paul Kramer.

— Vous n’avez aucune idée de l’endroit où il peut être ?

— Aucune, affirma le colonel Garcia. Vous savez, nous sommes en démocratie et les gens circulent librement. Il semble avoir des alliés ici, probablement des narcotrafîcantes. J’ai donné des instructions pour qu’on fasse l’impossible. Mais il a dû quitter le pays.

Malko n’en croyait rien. Le double meurtre de Jim et Flor, suivant l’attaque dont il avait été victime deux jours plus tôt signifiait qu’il gênait. Mais l’air patelin du colonel Garcia ne l’incitait pas aux confidences.

— N’hésitez pas à revenir me voir, affirma l’officier, maintenant, mes hommes vous connaissent. Ainsi que ces caballeros, ajouta-t-il, désignant Chris et Milton, figés dans un silence réprobateur.

Il les raccompagna jusqu’à la Colt. Dès qu’ils furent seuls, Chris explosa.

— La prochaine fois que ces singes me touchent, il y aura du sang sur les murs.

Milton le calma.

— Si t’avais bougé, cette fois, ç’aurait été le tien.

Malko descendait une allée du quartier résidentiel des Trujillistes, bordée de charmants bungalows. Il lui restait une seule piste pour localiser Paul Kramer.

— Jim devait voir un de ses amis, un barman qui s’appelle Jésus, dit-il. On va lui rendre visite.

* * *

L’hôtel Embajador se trouvait au fond d’une allée donnant sur l’avenida Sarasota, à l’est de la ville. Le hall était sombre et sentait le moisi. À peine les trois hommes furent-ils entrés qu’une pute enfouie dans un des fauteuils du hall leur adressa des signes désespérés.

Malko alla jusqu’au bar, fermé. Il s’approcha de la réception.

— Je cherche Jésus, le barman.

— Il travaille à la piscine aujourd’hui, señor, dit le réceptionniste.

Il y avait un restaurant en plein air, avec pas mal de monde. Malko, de la porte, examina les serveurs.

L’un d’eux était rondouillard, très soigné, ses rares cheveux bien peignés et ondulait légèrement en marchant. Tout à fait le profil d’un ami du malheureux Jim Harley. Malko et les gorilles s’installèrent à une table dans la partie dont il s’occupait. Dès qu’ils furent assis, le serveur s’approcha, adressant un discret sourire énamouré à Malko.

— Caballeros…

Malko lui rendit son sourire.

— Je suis un ami de Jim Harley, annonça-t-il. Je pourrais vous dire un mot ?

Une lueur intriguée passa dans les yeux noirs du garçon qui regarda Malko avec encore plus d’attention ; ce dernier se leva et le prit à part.

— Jim vous avait réclamé une information concernant le colonel Gomez. Avez-vous pu l’avoir ?

Jésus se ferma instantanément.

— Señor, je ne sais pas de quoi vous parlez… Il faudrait lui demander, si vous êtes son ami.

— Impossible, fit Malko. Jim est mort.

Les yeux noirs de Jésus parurent s’enfoncer dans leurs orbites.

— Mort ! dit-il d’une voix bouleversée. Mais je l’ai vu hier soir. Il allait très bien.

— Il a été assassiné, ce matin.

— Madre de Dios ! murmura Jésus. C’est impossible.

Il regarda Malko comme si c’était le diable.

— Qui êtes-vous, señor !

— Un ami de Jim, je vous l’ai dit.

L’homosexuel semblait terrifié. Il recula, livide.

— Je vais vous envoyer quelqu’un pour la commande, je ne me sens pas bien.

Il s’éloigna, contournant la piscine. Malko le rejoignit derrière un bananier. Il était en train de vomir. En voyant Malko, il tenta de s’enfuir.

Ce dernier l’attrapa pas le bras.

— Il faut me dire ce que vous avez appris à Jim, insista-t-il. C’est pour cela qu’il a été tué. Et vous risquez le même sort.

L’autre leva sur lui des yeux horrifiés.

— Moi ?

— Oui. C’est pour moi que Jim travaillait. C’est moi qui cherche le gringo protégé par le colonel Gomez.

Jésus était décomposé. Il essuya la bile qui coulait sur son menton et lança d’une voix gémissante :

— Mais je ne sais pas où il est…

— Qu’avez-vous dit à Jim Harley ?

Le barman hésita d’interminables secondes, se moucha, cracha encore un peu de bile avant de lâcher :

— La fille du colonel Gomez, Margarita, est très amoureuse d’un major de l’armée sandiniste qui travaille à l’ambassade du Nicaragua. Ils se retrouvent souvent ici, au bar, et ensuite vont faire l’amour dans une chambre, ou elle l’emmène chez elle.

Enfin, il découvrait le lien entre le colonel Gomez et les Cubains.

— Il y a des Cubains à l’ambassade du Nicaragua ?

— Un seul, fit Jésus, mais j’ignore son nom.

— C’est tout ce que vous a demandé Jim ?

— Non, il voulait savoir quelle voiture utilisait Margarita. C’est une Chevrolet Caprice bleue toute neuve. En plaque exonerado, à cause de son père.

La boucle était bouclée. C’était vraisemblablement la voiture qui était venue chercher Paul Kramer et sa copine au motel… Il y avait donc de fortes chances pour que l’Américain soit caché chez la fille du colonel Gomez.