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Les lèvres du gorille bougèrent.

— I am OK, murmura-t-il. Allez-y.

Sa tête retomba et il perdit connaissance. Malko écarta la chemise, vit le trou rouge par lequel le sang s'échappait à gros bouillons. Des gens commençaient à s'attrouper autour de lui. Il dénoua la cravate de Chris, la bourra en tampon sur la blessure et se redressa.

— Un medico ! Un medico !

Un homme partit en courant… Les gardes du corps ne bougeaient plus, touchés chacun de plusieurs projectiles. L'un d'eux gémissait faiblement. Essayant de ramper dans une énorme mare de sang.

Malko arracha de la doublure de Chris Jones un chargeur neuf, le mit dans l'Uzi et se releva, fixant l'endroit où se trouvait Paul Kramer avant l'incident. Moins d'une minute s'était écoulée. Bien entendu, l'Américain avait disparu et il ne vit qu'un couple d'amoureux penchés vers le quai, par-dessus la rambarde. L'échange de coups de feu s'était produit à l'écart de la foule et le brouhaha avait noyé le bruit des détonations. Il s'approcha et son pouls monta à cent cinquante. Paul Kramer avait franchi le parapet et était en train d'essayer de descendre d'un container pour en gagner un autre, escorté d'un garde du corps qui l'aidait de son mieux. Il leva la tête, aperçut Malko et cria quelque chose à son ange gardien. Aussitôt, ce dernier, tirant une arme de sa ceinture, ajusta Malko et vida pratiquement tout son chargeur au jugé. Les deux amoureux, terrifiés, s'enfuirent en hurlant. Des éclats de pierre jaillirent. Malko se pencha pour riposter et s'immobilisa. Les deux hommes étaient trop proches l'un de l'autre. Il risquait de toucher l'Américain. Il aperçut soudain une voiture arrivant sur le quai à toute vitesse. Elle stoppa au pied des containers et Milton Brabeck en surgit avec deux policiers dominicains. D’où ils étaient, ils ne pouvaient voir Paul Kramer.

Malko les héla.

— Il est au-dessus de vous ! Sur les containers.

Paul Kramer venait de se rendre compte qu’il était coincé. Hésitant, il sautait d’un container à l’autre, suivi de son garde du corps en train de recharger fébrilement son arme.

Un coup de feu claqua derrière Malko qui se retourna en une fraction de seconde. Un garçon très jeune braquait sur lui d’une main tremblante une arme de gros calibre. Il allait appuyer sur la détente de l’Uzi quand le Dominicain lâcha son revolver avec un couinement de terreur et leva les mains. Du coin de l’oeil, Malko aperçut deux policiers en uniforme gris qui couraient vers l’endroit où gisait Chris Jones.

Les gens s’enfuyaient maintenant dans tous les sens, y compris les propriétaires des baraques. Les deux derniers gardes du corps s’étaient perdus dans la foule.

Un coup de feu, suivi d’un hurlement atroce, ramena son attention sur le quai.

Le compagnon de Paul Kramer avait eu l’imprudence de s’approcher trop du bord du container. Une balle de 44 Magnum tiré par Milton Brabeck venait de lui pulvériser la cheville.

Malko le vit tomber, dans le vide, les mains en avant, comme au ralenti et s’écraser sur le quai, six mètres plus bas.

Paul Kramer demeurait seul, en équilibre sur les containers. Un coup de sirène bref rompit le silence. Le pétrolier soviétique venait de larguer ses amarres et lentement, s’éloignait du quai.

Le sort de Paul Kramer était scellé.

Ce dernier, tétanisé, regardait le pétrolier se détacher du quai avec une lenteur insoutenable. Fait comme un rat. Malko se pencha et lui cria :

— Kramer ! Descendez tranquillement. On ne vous fera pas de mal.

Le défecteur se tourna vers lui, le visage levé, visiblement hésitant. Puis il fit un pas vers le bord et aperçut Milton Brabeck qui le guettait, arme au poing. Il eut une espèce de sanglot et resta immobile, les poings serrés.

La détonation prit tout le monde par surprise. Malko crut d’abord que Milton avait tiré, mais un coup d’oeil le détrompa. Paul Kramer sembla frappé par un poing invisible, tournoya sur lui-même, les mains en avant et bascula dans l’espace entre deux containers.

À son tour, Malko enjamba le parapet, sauta sur un container, et, de proche en proche, gagna celui d’où était tombé Paul Kramer. Escaladant les containers, Milton et deux policiers le rejoignirent.

— On a tiré du bateau, lança l’Américain. De la lunette. J’ai vu le canon du fusil…

Aplatis sur le toit du container, ils examinèrent Paul Kramer, coincé entre les deux parois d’acier, deux mètres cinquante plus bas. Immobile. Blessé ou mort !

— Paul ! appela Malko.

Pas de réponse. Les minutes s’écoulèrent, interminables, pendant qu’on cherchait des cordes. Il aurait fallu une grue pour déplacer les containers.

Paul Kramer finalement, bougea et gémit.

— Il est vivant, exulta Malko. Kramer, appela-t-il de nouveau. Tenez bon.

L’Américain ne répondit pas. Un hélicoptère de la police vint bourdonner au-dessus du quai et un filin s’en détacha avec, accrochés au bout, deux hommes des Forces spéciales. Le parc avait été évacué. Tout le périmètre était cerné par la police.

Le pétrolier soviétique n’était plus qu’un petit point sur la mer des Caraïbes.

Il fallut encore près de dix minutes pour descendre un harnais et l’attacher à Paul Kramer. Un médecin attendait à côté de Malko. Dès que le corps de l’Américain apparut à la surface, il se précipita. Mais rien n’y fit : Paul Kramer ne respirait plus. Le médecin se releva après un bref examen.

— Il avait une blessure très grave, dit-il. Il s’est vidé de son sang. Il aurait fallu le secourir tout de suite.

* * *

Le colonel Diego Garcia raccrocha son téléphone, le visage grave et dit à Malko :

— Votre ami vient d’être opéré. On a pu extraire le projectile. Il a perdu beaucoup de sang, mais les médecins pensent qu’il s’en sortira. Il est en réanimation.

— Merci, dit Malko.

Milton était au chevet de son copain, à la clinique Abreu. Le survivant des gardes du corps était dans une cellule voisine. Il avait prétendu avoir obéi aux ordres de Margarita Gomez. Son père, retranché dans sa caserne, jurait n’avoir été au courant de rien. Il avait déjà téléphoné au « Capitolio » pour se plaindre de l’ingérence américaine dans une affaire de droit commun dominicaine. Soutenu par le vieux Président Berlinguer, il était intouchable…

Malko échangea un regard avec le colonel Diego Garcia. Il n’y avait plus rien à faire. La longue traque de Paul Kramer se terminait en queue de poisson. La CIA ne pouvait plus espérer d’informations d’un mort.

Il restait sa fiancée. Kareen Norwood. Elle n’avait pas participé à la tentative d’exfiltration. Le témoignage du survivant était parfaitement clair.

— Où est Kareen Norwood ? demanda Malko.

Le colonel Garcia eut un geste d’impuissance.

— Nous ne savons pas… Personne ne l’a vue. J’ignore où elle se trouve.

— Il faudrait perquisitionner dans la villa où Paul Kramer se cachait.

Le colonel Garcia eut un sourire désolé.

— Perquisitionner, c’est impossible. Mais nous pouvons demander à la señorita Margarita Gomez de visiter sa maison.

Évidemment, ce n’était pas la même chose.

— Allons-y maintenant, demanda Malko.

En colère, Margarita Gomez était encore beaucoup plus belle. Le colonel Garcia et Malko venaient d’être introduits dans un grand living meublé somptueusement par Claude Dalle. Des meubles Boulle, un profond canapé blanc en L, des torchères dorées.