Milton Brabeck somnolait sur une chaise à côté du lit de Chris Jones, toujours inconscient. Il sursauta en voyant Malko.
— Il y a du nouveau ?
— Si vous acceptez de m’aider, oui.
Il lui expliqua l’histoire de Kareen Norwood. Le gorille hocha la tête.
— Si on peut se payer le colonel Gomez et lui arracher les couilles, je suis partant. Je passe juste à l’hôtel prendre un peu plus de munitions.
— Milton, dit Malko, nous n’allons pas délivrer la Pologne ou l’Afghanistan. Vos trois chargeurs vous suffiront amplement…
Chapitre XII
Les six hommes discutaient bruyamment dans la fumée épaisse des cigares, affalés dans de larges fauteuils, le verre à la main. Les bouteilles s’accumulaient sur la table basse, rhum Siboney, cognac Gaston de Lagrange, champagne Moët et Chandon, Johnny Walker. Ils avaient copieusement dîné au Mason de la Cava pour venir terminer leur soirée à l’hacienda Hispaniola.
Quatre d’entre eux étaient des officiers de l’armée dominicaine, les deux autres des trafiquants colombiens. Tous fêtaient l’arrivée à bon port d’une importante cargaison de cocaïne, grâce aux bons soins de l’armée dominicaine qui avait protégé le terrain clandestin.
Une grande femme aux cheveux blonds platine, qui claudiquait légèrement, vêtue d’une robe stricte de toile grise, pénétra dans la pièce, saluée par des exclamations obscènes. L’un des buveurs pointa son cigare vers elle.
— Oiga, Cucaracha ! tu vas encore nous proposer tes vieilles putains ou tes petites vérolées. Si j’attrape le Sida à cause de toi, je viendrai t’arracher la peau avec des tenailles.
Les mains sur les hanches, la Cucaracha attendait que les six hommes se soient calmés. Une petite pute qui n’avait pas quinze ans s’était glissée derrière elle, moulée dans une combinaison de lastex blanc, juchée sur des escarpins trop grands pour elle. De longs cheveux noirs cascadaient sur ses épaules maigres, elle gardait les yeux baissés, faussement timide.
— Caballeros ! continua la Cucaracha, si vous avez les moyens, j’ai une surprise pour vous. Quelque chose de mémorable dont vous vous souviendrez toute votre vie.
Son annonce fut encore saluée de lazzis, mais avec moins de conviction. La blonde platinée se déplaça jusqu’à une sorte de judas fixé dans le mur du salon et le tira, découvrant une ouverture carrée.
— Que l’un de vous vienne se rendre compte, demanda-t-elle.
Un des militaires se leva avec un clin d’oeil égrillard. Il colla son visage au judas et quelques instants plus tard, se retourna, les yeux injectés de sang, avec une exclamation rauque.
— Hija de puta !
Un autre lui succéda, bousculé tout de suite par ses copains. Ce qu’ils voyaient leur enflammait le ventre mieux qu’un clip porno.
La pièce voisine était tapissée de miroirs et ne comportait que deux meubles : un lit et un gros pouf de cuir blanc. Au-dessus du lit pendaient une douzaine de très longues courroies réunies par un système compliqué de contrepoids, terminées par des bracelets de cuir. Deux d’entre eux étaient refermés sur les poignets d’une jeune femme assise sur le lit. Deux autres encerclaient ses chevilles. Il suffisait de tirer sur les courroies pour l’écarteler, ou la suspendre par les poignets.
Il y avait souvent de ces shows dans les bordels dominicains, avec de pauvres paysannes émigrées clandestines abruties de rhum. Seulement, la fille ainsi attachée était une Blanche aux cheveux foncés entièrement nue. Les clients de la Cucaracha n’arrivaient pas à se rassasier du spectacle de ses seins aigus mais pleins, de sa taille fine soulignant une croupe cambrée et ronde.
Elle fixait le vide d’un regard étrange, les écouteurs d’un walkman aux oreilles. Visiblement droguée.
La Cucaracha jeta un coup d’oeil amusé aux six hommes devenus soudainement silencieux, supputant déjà ce qu’ils pouvaient faire de cette proie inattendue.
— Caballeros, lança-t-elle, tous ceux qui sont capables de donner deux cents dollars peuvent s’amuser avec notre pensionnaire jusqu’à épuisement de leurs forces. Vous êtes les premiers à en profiter. C’est la surprise du colonel. Et en plus, Josepha veillera à ce que vous gardiez vos forces.
La petite pute adressa un sourire salace aux six hommes.
— Qui est cette fille ? demanda un des Colombiens. On dirait une Indienne…
La Cucaracha le foudroya du regard.
— Imbécile ! Si tu n’en veux pas, va baiser une des putes minables du Petit Château. Ça ne te coûtera que cent pesos…
Ce fut un des militaires qui se décida le premier, jetant sur la table basse deux billets froissés de cent dollars. Deux mois de solde. Les autres en firent autant, avec des rires grivois. Lorsque la Cucaracha eut collecté l’argent, elle prit une clé dans sa poche et ouvrit la porte de communication.
— Amusez-vous bien ! dit-elle, et ne l’abîmez pas. Josepha sait comment manipuler les courroies…
— J’espère qu’elle sait aussi manipuler ma bite, fit un colonel qui se nommait Manuel, avec un rire gras.
Comme pour lui donner raison, Josepha s’approcha, s’agenouilla en face de lui et avec des gestes délicats, défit son pantalon. Très vite, sous ses caresses habiles, le membre se mit à darder comme un bélier entre les cuisses poilues de l’officier. Celui-ci écarta brutalement Josepha et se dirigea vers la chambre, suivi des autres. Josepha les rejoignit.
— Vous serez plus à l’aise, sans vos vêtements, caballeros, dit-elle d’une voix fluette.
Tandis qu’ils se débarrassaient, Josepha se mit à manipuler les courroies. Celles reliées aux chevilles se tendirent, écartant les jambes de la jeune femme, les autres tendirent ses bras en Y, faisant ressortir les seins.
Pour la première fois, la jeune femme sembla réaliser ce qui se passait. Elle tenta mollement de se dégager, secoua la tête, posant un regard absent où la terreur commençait à pointer sur les hommes nus qui l’entouraient. Manuel s’approcha, arracha le walkman et tomba à genoux sur le lit, entre les cuisses ouvertes de la jeune femme. Les autres faisaient cercle, curieux et émoustillés. Josepha allait de l’un à l’autre, les agaçant, se faisant peloter, glissant une main leste vers un endroit sensible, et s’esquivant aussitôt.
— Alors, qu’est-ce que tu attends ? demanda le plus âgé des Colombiens.
Il s’appelait Justo, était aussi large que haut et son sexe n’avait pas besoin des caresses de Josepha pour se dresser. Les yeux injectés de sang, il contemplait l’entre-cuisse de la femme. Le colonel prit la fille aux hanches et l’amena vers lui jusqu’à ce que son sexe soit en contact avec le sien. D’un brutal coup de reins, il l’empala jusqu’à la garde, avec une grimace de douleur, tant il était important.
La fille cria, essaya de se dégager, et supplia en anglais :
— Leave me alone ! Leave me alone ![23]
Un des types poussa son compagnon du coude.
— C’est vraiment une gringa !
Le colonel Manuel ne bougeait plus, abuté au fond de sa victime, les mains crispées sur ses fesses rondes, respirant lourdement. Un de ses copains s’approcha, monta sur le lit et tenta vainement de lui enfoncer son sexe énorme dans la bouche. Celui qui la prenait se retira, l’air furieux, toujours dans le même état, bandant et cria à Josepha :
— Je n’aime pas comme ça, elle ne va pas se sauver. Détache-la.
Josepha se précipita sur les courroies et libéra la jeune femme qui se recroquevilla aussitôt dans un coin du lit. Le colonel l’en arracha et la jeta sur le pouf de cuir blanc, à plat ventre, les seins écrasés contre le cuir, les cheveux dans la figure. Puis il s’agenouilla derrière elle, une lueur lubrique dans ses petits yeux noirs.