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— Lequel ?

— M. Brabeck. Il vient d’assister à cette conversation. Son devoir est d’aller la rapporter immédiatement au FBI. S’il ne le fait pas, il commet un crime punissable de dix années de prison. Je n’ai pas le droit de lui demander le silence. S’il se tait, il devient complice. C’est à lui de décider.

Milton Brabeck s’était empourpré. Il passa la langue sur ses lèvres sèches.

— Je ne dirai rien, fit-il d’une voix étranglée.

Franck Woodmill le regarda avec gravité.

— Monsieur Brabeck, vous avez bien conscience de ce que vous faites ? À partir de cet instant, vous vous mettez hors-la-loi. Si l’on découvre que vous avez tu cette information, vous serez chassé de la CIA, vous passerez en jugement, vous perdrez vos droits à une pension et vous passerez des années en prison.

Milton Brabeck leva les yeux tour à tour sur Malko et Franck Woodmill.

— J’ai confiance en vous, dit-il, sans que ni l’un ni l’autre ne sache à qui il s’adressait.

Franck Woodmill se détendit imperceptiblement et dit avec un pâle sourire :

— Eh bien, nous allons essayer de réussir.

— Vous avez une idée de départ ? demanda Malko.

— Oui, « the baryum meal technique[25] ». On donne une information erronée à quelqu’un pour qu’il la transmette et on regarde le résultat.

— Vous possédez cette information ?

— Oui. La NSA a en cours un projet ultra-secret : le projet Indigo. L’observation des bases de lancement d’ICBM[26] soviétique par un satellite équipé d’un radar et non de caméras, comme maintenant. À chaque passage, par mauvais temps, les caméras sont aveugles, le radar, lui, perce la couche nuageuse. À chaque passage, on pourra inspecter les silos de missiles quel que soit le temps. Ce projet est sur le point d’aboutir. Je peux parfaitement faire savoir à Nolan que mon contact à la NSA m’avertit qu’ils ont réussi à être opérationnels…

— Et alors ?

— Les Soviétiques vont forcément réagir s’ils sont mis au courant. En fermant les trappes de leurs silos de missiles. Les satellites d’observation qui nous envoient des photos plusieurs fois par jour nous le diront.

— Ça me paraît astucieux, approuva Malko. Et ensuite ?

Le Directeur adjoint des Opérations eut un geste évasif, et un sourire tristement ironique.

— Ensuite, nous seront fixés. Il ne restera plus qu’à savoir comment William Nolan transmet ses informations aux Soviétiques. Avec le nombre d’agents du FBI qui pullulent à Washington, observant les Soviétiques, il faut qu’il soit drôlement astucieux pour ne pas s’être fait prendre…

— Et moi, qu’est-ce que je fais ? demanda Milton Brabeck.

— La logistique et la protection éventuelle, expliqua le Directeur adjoint des Opérations.

» Vous, Malko, vous resterez officiellement à Washington pour surveiller la convalescence de Chris. De toute façon, si nous n’aboutissons pas rapidement, il faudra laisser tomber.

— Je suis au Jefferson Hotel, dit Malko. C’est OK ?

— Parfait. Je vais mettre une autre personne dans le secret. Ma nièce. Jessica Hayes. Elle est analyste à la Division du Renseignement. J’ai une entière confiance en elle. Elle nous servira de liaison et peut avoir accès à Walnut… Ensuite, nous verrons.

Il se leva. Serra longuement la main de Malko. Puis de Milton Brabeck.

— Sortez le premier, dit-il, moi, je partirai par-derrière.

Malko se retrouva dans le vent glacial et courut jusqu’à sa voiture ; il se retourna sur les fenêtres de la « safe house » ornées chacune d’une couronne de gui et d’une bougie de Noël. On aurait dit une innocente demeure familiale, et personne ne pouvait deviner les pièces encombrées de matériel électronique.

Tandis qu’il descendait Wisconsin Avenue, il se demanda s’il avait vraiment envie de découvrir la vérité.

C’était le plus formidable challenge qu’il ait jamais affronté : seul contre le KGB, la CIA, le FBI. Et la taupe. L’homme qui avait trompé jusqu’au Président des États-Unis.

Chapitre XV

The Nest, le bar en rotonde du premier étage de l’hôtel Willard, était aussi bruyant qu’une volière mais le tumulte ne venait pas des cages contenant des oiseaux empaillés qui parsemaient les murs. Dès cinq heures, les hauts fonctionnaires de l’Executive Building voisin s’y ruaient en masse, les sénateurs dévalaient Capitol Hill, les gens de la Maison Blanche venaient en voisins se mélanger à quelques-unes des plus jolies femmes de la ville, au statut parfois flou. Les chambres cossues du Willard étaient connues pour abriter quelques brûlantes aventures qui faisaient ensuite jaser le Tout-Washington.

Plus prosaïquement, les journalistes et quelques barbouzes venaient y prendre la température de la ville ou échanger quelques secrets, déjà éventés. À un jet de pierre de la Maison Blanche, on avait l’impression d’y partager les Secrets d’État…

Malko s’immobilisa face au bar circulaire assiégé par la foule compacte de tous ceux qui n’avaient pu trouver de table.

Jessica Hayes devait l’attendre, selon les instructions de Franck Woodmill. D’après celui-ci, elle était brune et porterait un tailleur vert.

Il se faufila entre les gens debout et repéra à une table du fond quelqu’un qui correspondait au signalement. Elle devait avoir eu sa photo, car elle lui adressa aussitôt un signe joyeux.

Il eut un choc au coeur. Jessica Hayes ressemblait à une danseuse de flamenco, avec ses traits épais reflétant une sensualité animale. Sa masse de cheveux noirs de jais était, par contraste, sagement tirée, retenue par un noeud de soie verte. Son regard descendit lui mettant encore plus l’eau à la bouche : la veste du tailleur s’ouvrait sur un bustier en dentelles moulant une poitrine pleine et deux longues jambes bien galbées émergeaient de la jupe courte, terminées par des escarpins en crocodile…

Elle tendit à Malko une longue main aux ongles vermillons.

— Bonsoir Malko. Je suis ravie de vous rencontrer.

Il la regarda, amusé.

— Vous aimez vraiment le vert…

Le sac en croco, les chaussures, le tailleur, le bustier, la ceinture, les bas. À part les ongles, tout était vert. Et les boucles d’oreilles en émeraude, bien entendu…

Jessica Hayes eut un sourire langoureux.

— Oui, je suis superstitieuse. Pourquoi ? Vous n’aimez pas ?

— Sur vous, dit Malko, j’aimerais n’importe quelle couleur…

Sans répondre, elle commanda un Cointreau sur de la glace au garçon qui passait, et Malko une Stolychnaya. Le bruit était assourdissant. Jessica croisa les jambes dans un agréable crissement de nylon et aux légères bosses de sa jupe, il s’aperçut qu’elle portait des bas, et non des collants.

— J’ai souvent entendu parler de vous, dit-elle, vous êtes presque un mythe à la Company. Que devient votre château ? Ce doit être merveilleux de vivre comme ses ancêtres.

Ses yeux noirs brillaient d’excitation, le Shalimar dont elle était imprégnée accentuait encore son aspect pulpeux. Elle lui alluma une cigarette avec un briquet en or massif, orné d’une minuscule émeraude. Il se demanda si ses dessous étaient verts, eux aussi.

— Mon château se porte bien, dit-il, si la dernière tempête venue de l’est n’a pas arraché la moitié des tuiles. Au prix qu’elles coûtent, je serais obligé de travailler pour la Company jusqu’à 150 ans.

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25

Technique du repas au Baryum.

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26

Inter Continental Balistic Missile.