— Je suppose que vous avez très envie de faire l’amour avec moi ? demanda-t-elle d’une voix à la fois amusée et altérée.
Elle pouvait difficilement l’ignorer, étant donné la proximité de leurs deux corps. Malko fit courir une main sur la dentelle, soupesant les contours d’un sein plein jusqu’à la pointe érigée.
— Oui.
Les prunelles noires s’agrandirent encore un peu.
— Moi aussi, je crois, fit Jessica Hayes.
Les doigts de Malko descendirent le long de la hanche, suivant le serpent invisible de la jarretelle, jusqu’au bas de nylon vert, puis remontèrent, relevant le tissu. Il eut le temps d’effleurer un peu de peau nue avant que Jessica ne dise d’une voix quand même changée.
— Arrêtez, ce ne serait pas convenable.
Elle recula. C’était sans appel. Et pourtant, Malko devinait un désir égal au sien. Il lui prit la main et la baisa.
— À bientôt, dit-elle. Je sais que ce matin, Franck a commencé sa manip du « Baryum meal Technique ». Nous devrions être fixés rapidement, dans un sens ou dans l’autre.
— De toute façon, dit-il, je veux vous revoir.
Le dossier de William Nolan sous le bras, il s’éloigna vers sa voiture. Il se retourna : Jessica l’observait de sa porte.
Étendu sur son lit, nu, Malko avait du mal à se concentrer sur le dossier de William Nolan. La chambre du Jefferson Hotel ressemblait à un sauna et l’image pulpeuse de Jessica Hayes flottait devant ses yeux. Il en avait incroyablement envie. Il s’ébroua et replongea dans ses papiers.
Il avait souligné une phrase en rouge. Une des habitudes les plus régulières de William Nolan semblait être de se rendre chaque mercredi en fin de journée, avant une réunion avec une commission sénatoriale, prier sur la tombe de son fils tué au Vietnam, inhumé au cimetière d’Arlington. Il s’y rendait même parfois plus souvent, avant d’aller au Metropolitan, le club le plus select de Washington. Une démarche parfaitement compréhensible, mais peut-être aussi une possibilité à explorer. Un cimetière était le lieu idéal pour une rencontre discrète. On était mardi. Il avait le temps de préparer une planque à Arlington.
Une bruine fine imprégnait les pelouses semées de pierres tombales blanches et grises recouvrant les collines de l’immense cimetière d’Arlington. Embusqué près du Mémorial du Soldat Inconnu, dominant le périmètre qui l’intéressait, engoncé dans un trench-coat qui dissimulait ses jumelles, Malko observait les allées vides.
Depuis plus d’un siècle, tous ceux qui étaient morts au champ d’honneur, officiel ou secret, avaient le droit d’être enterré sur les cinq cents hectares qui s’étalaient sur la rive sud du Potomac, en face de l’Arlington Bridge. Des simples soldats, des familles de militaires, des généraux et deux Présidents des États-Unis y reposaient, sous la protection de la stèle de marbre blanc du Soldat Inconnu contre laquelle s’appuyait Malko.
Un grondement qui s’amplifiait lui fit lever la tête vers le ciel bouché : un avion qui venait de décoller de l’aéroport voisin passait au-dessus de lui dans la couche de nuages bas.
En venant, il avait repéré la tombe du fils de William Nolan dans la section au coin de Roosevelt Avenue et de Mc Callan Drive. Une stèle blanche en forme de borne, semblable à des milliers d’autres. Avec une inscription très dépouillée.
John NOLAN Lt 25 INF COD 12 DIV - July, 31, 1943 - Déc 17, 1967.
Le temps abominable et les rafales de pluie avaient vidé les allées d’Arlington. Le Directeur adjoint de la CIA allait-il venir ? Il était presque cinq heures et le centre des visiteurs était désespérément vide. Soudain, Malko vit surgir dans ses jumelles une étrange procession sur Mc Callan Drive. Un groupe de Japonais encadrés par deux guides qui remontaient l’allée au pas de charge, pour venir s’arrêter respectueusement devant la tombe de John Kennedy…
Le jour commençait à tomber. Encore une demi-heure et son guet serait inutile. Il aperçut enfin une silhouette qui montait lentement Roosevelt Drive. Un homme en imperméable avec un chapeau, les mains dans les poches. Avant même de l’avoir vu, il fut certain qu’il s’agissait de William Nolan. Le N° 2 de la CIA avançait d’un pas lent, la tête baissée. Arrivé au croisement des deux allées, il bifurqua pour s’engager sur la pelouse semée de stèles. Il s’arrêta ensuite devant celle du lieutenant Nolan, mort le 17 décembre 1967 au Vietnam.
Malko le vit s’immobiliser, perdu dans ses pensées, pendant d’interminables minutes. Les Japonais débouchèrent dans son dos et ralentirent respectueusement. Il ne se retourna même pas. Au bout d’un moment, Malko le vit se baisser, écarter une couronne fanée, puis se détourner et repartir.
Il s’imposa de demeurer immobile. William Nolan bénéficiait automatiquement d’une protection du Secret Service. Inutile de se faire remarquer. Il le suivit à la jumelle jusqu’au parking où le numéro 2 de la CIA monta dans une voiture noire qui démarra aussitôt.
Malko resta encore quelques minutes, puis descendit vers la section 7. Profitant de l’absence de visiteurs, il inspecta la tombe sans rien apercevoir d’anormal. La couronne fanée ne présentait non plus aucune anomalie. Encore une hypothèse qui semblait s’effondrer.
En attendant le résultat du « Baryum meal technique », il décida d’aller rendre visite à Chris Jones sur son lit d’hôpital.
Chris Jones n’était plus que l’ombre de lui-même. Quand Malko arriva dans sa chambre à l’hôpital de Georgetown, le gorille était en train de regarder « Dynastie » à la télévision. Il n’avait plus de perfusions mais son visage amaigri et son teint blanc disaient qu’il revenait de loin.
— Milton vient de passer, dit-il. Il m’a mis au courant. C’est dingue cette histoire…
— Oui, dit Malko, contrarié que Milton ait parlé. Moi-même, je n’en reviens pas… Il faut absolument découvrir la vérité.
Il lui raconta sa visite à Arlington. Chris buvait ses paroles et son visage s’éclaira quand Malko lui donna sa conclusion.
— Ça ne m’étonne pas que vous n’ayez rien trouvé, dit-il. Je suis sûr qu’il est innocent.
— Et la cassette ?
Chris se remonta sur ses oreillers avec une grimace de douleur.
— J’y ai réfléchi. Ici, j’ai le temps… Kramer est resté plusieurs jours sous la coupe des cocos. Ils ont eu le temps de manigancer des tas de trucs… De mettre exprès cette cassette pour qu’on la trouve. C’est peut-être pour ça qu’ils ont flingué Kramer. Après tout, rien ne prouve que la cassette vient de chez Kramer.
— Sa femme a confirmé le coup de fil.
— Elle n’a pas écouté la conversation, objecta Chris. C’est peut-être une autre voix qui a téléphoné. Et cette cassette, une fabrication… Vous savez bien qu’avec l’électronique, on fait des miracles.
— J’espère que vous avez raison, dit Malko. Le « Baryum meal technique » va nous fixer très vite, je l’espère…
Chris Jones grimaça un sourire et repoussa son drap, exhibant l’énorme pansement qui recouvrait son estomac.
— J’aurais préféré en prendre une de plus et qu’il n’y ait jamais cette foutue cassette.
Malko s’était à peine réveillé que le téléphone sonna. La voix enjouée de Jessica Hayes demanda :
— Vous avez le temps de manger un morceau ? Je suis en ville. Mon ordinateur est en panne.
— Bien sûr, dit Malko.
— Mo et Jo's. Sur Connecticut, au coin de L Street. À une heure.