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Il se leva et serra longuement la main de Malko, ajoutant d’une voix lasse :

— Tout ceci est un cauchemar. Chaque matin, quand j’arrive à Langley, je me demande si je ne vais pas aller tout raconter au DCI…

* * *

Des dizaines d’élégantes Washingtoniennes caquetaient à qui mieux mieux serrées comme des sardines autour des nappes à carreaux du Jockey-Club, le restaurant du Ritz-Carlton. Même le samedi, c’était bondé. Discutant de leurs garde-robes, de leurs amants et parfois même de leurs époux. Malko et Jessica Hayes avaient trouvé une table coincée entre deux vieilles femmes qui s’empiffraient de foie gras et quatre épouses de sénateurs refaisant le monde. Cette fois, c’était un chemisier en soie émeraude qu’arborait l’analyste, avec une jupe de cuir moulant ses hanches en amphore et des bas gris, probablement pour faire plaisir à Malko. Ce dernier se pencha au-dessus de la table.

— Vous savez que notre mission peut devenir dangereuse…

Elle but un peu de son Cointreau et demanda, étonnée :

— Vous croyez ? De toute façon, mon père m’a toujours dit qu’il fallait faire passer les intérêts de son pays avant tout. Et ici à Washington, je ne vois pas ce qui peut nous arriver.

— William Nolan est sûrement sous la protection du KGB, expliqua Malko. Une source de cette importance est unique. Donc, si nous essayons de débusquer la Taupe, il peut y avoir des réactions violentes. Ils ne bougeront que si nous touchons au but, pour ne pas nous alerter. Mais à ce moment, cela risque d’être extrêmement brutal.

Jessica écarta ses lèvres épaisses avec un sourire ambigu.

— Vous me protégerez…

Le maître d’hôtel français leur apporta l’addition.

— Je vais à la « safe-house », dit Malko, vous m’accompagnez ?

— OK, fit-elle, je laisse ma voiture ici.

Dans la Pontiac, il s’aventura à caresser le nylon des bas gris, remontant le plus haut possible, mais le cuir vert empêchait d’aller bien loin. Jessica lui jeta un clin d’oeil espiègle.

— Vous voyez, un Américain ne ferait jamais cela… Vous êtes très audacieux.

Il continua, parce qu’elle avait ouvert les jambes au maximum, attrapant la peau nue au-dessus du bas, tiède et souple. Brusquement, Jessica Hayes referma les cuisses sur sa main et dit d’une voix changée :

— Arrêtez !

Son regard avait chaviré et elle avait le souffle court. Malko était pourtant encore bien éloigné de son but. Il obéit et quelques instants plus tard, ils stoppaient dans la rue. Les bougies brûlaient toujours derrière les fenêtres. Malko entra par la porte de derrière, Jessica Hayes sur ses talons.

— Je n’avais jamais vu une « safe-house », avoua-t-elle. Je m’imaginais toutes sortes de choses et ça ressemble à une maison ordinaire.

À cela près qu’elle était protégée par un système hypersophistiqué relié au bureau de Franck Woodmill. Même le FBI ignorait l’existence de cette planque. Malko trouva sur la table basse du living-room une valise métallique. Il l’ouvrit. Jessica, regardant par-dessus son épaule, poussa une exclamation de surprise.

— C’est pour vous ?

Dans un écrin de mousse, il y avait deux petits Colt « Cobra » avec une boîte de cartouches, deux walkie-talkie Motorola à grande capacité et trois grenades aveuglantes.

— C’est pour nous, corrigea Malko en lui tendant le petit « deux pouces » Cobra noir. Mettez ça dans votre sac.

Jessica repoussa l’arme.

— Non, je ne saurais pas m’en servir et je ne peux pas supporter l’idée de tirer sur quelqu’un.

— Ne soyez pas idiote, fit Malko. Il suffit de presser sur la détente. Ou même de le braquer sur quelqu’un. Cela intimide et permet de gagner du temps. Nous allons nous lancer dans quelque chose de dangereux. Je veux que vous soyez armée. Et votre oncle Franck aussi.

— Bien, dit-elle avec résignation.

Elle jeta le « Cobra » dans son sac, sans même regarder comment il fonctionnait et Malko prit l’attaché-case métallique. Comme elle faisait la tête, il prit Jessica dans ses bras. Elle était raide et son regard le fuyait.

— Il ne faut pas faire l’enfant, dit-il. Nous avons affaire à des gens qui ne reculeront devant rien.

Elle se détendit peu à peu et il sentit son corps s’appuyer plus librement contre lui. Ses seins jouaient sous la soie verte et il ne put résister au désir de les caresser. Jessica se dégagea aussitôt.

— Pas ici.

— Pourquoi ?

Il s’imaginait déjà en train de la culbuter sur la table ou dans un des fauteuils. Elle le lut dans ses yeux et remit son manteau.

— Allons-nous en.

Elle avait vraiment peur qu’il la viole. Furieux, il referma la porte. La vue des armes semblait l’avoir traumatisée. Elle ne dit plus un mot jusqu’au Ritz-Carlton où elle avait laissé sa voiture.

— Vous dînez avec moi ce soir ? demanda-t-il en la quittant.

— Si je ne suis pas fatiguée, fît hypocritement Jessica. Appelez-moi d’abord.

* * *

L’Oldsmobile noire aux glaces fumées filait sur Skipwith road à 55 miles à l’heure. William Nolan connaissait chaque arbre de ce trajet qu’il avait effectué des milliers de fois. En face de la station Esso, il tourna à droite, s’engageant dans un petit chemin bordé de modestes cottages.

Il s’arrêta cent mètres plus loin dans un driveway. Le chauffeur, assis à côté de lui, demanda :

— Je vous attends, Sir ?

— Non, merci, fit le numéro 2 de la CIA, on me raccompagnera. Ramenez la voiture à la maison et dites à George que nous serons deux pour dîner. À lundi.

— Â lundi, Sir. Bon week-end.

William Nolan sonna, son attaché-case contenant son téléphone portatif à la main. Il fallait qu’on puisse le joindre à tout moment. Fawn McKenzie lui ouvrit aussitôt et l’étreignit tendrement.

— Je suis heureuse que tu aies pu te dégager.

C’était une grande jeune femme aux cheveux blonds et courts, à peine maquillée, solidement charpentée, un peu le style de Jane Fonda. Elle l’entraîna dans le living. Sur une table basse, il y avait un plateau avec une citronnade chaude. Il sourit et lui serra la main. Elle pensait toujours à tout… Pendant qu’il buvait, elle l’observait.

— Tu as des problèmes ?

Elle connaissait chacune de ses expressions pour avoir vécu auprès de lui depuis plus de seize ans. Leur liaison avait commencé presque par hasard. Un jour, il était venu chez elle dicter des mémos urgents et secrets. Il était épuisé et s’était allongé sur le canapé pour prendre un peu de repos.

Fawn McKenzie l’avait regardé dormir longtemps avant de poser ses lèvres sur les siennes, puis de s’allonger à côté de lui. Elle l’avait pris dans ses bras et il lui avait rendu son étreinte. Chastement, d’abord. Comme un homme qui a besoin de chaleur, d’affection. Et puis, parce qu’il était aussi sevré de sexe, leur étreinte s’était transformée. Ils avaient fait l’amour gauchement, hâtivement, maladroitement, avec un vague sentiment de culpabilité, bien que William Nolan soit veuf depuis deux ans déjà.

Ensuite, ils étaient restés près de deux mois sans recommencer et ce n’était pas le fond de leurs relations.

Il leva les yeux vers elle et lui sourit. Elle aimait son regard, si clair, si lumineux. On avait l’impression de voir à travers son cerveau.

— Non, dit-il. Mais il y a vingt ans dans deux jours que John a été tué.

Il se tut et elle vit sa pomme d’Adam monter et descendre, comme s’il allait pleurer. La mort de son fils avait été un coup dont il ne s’était jamais relevé. Et dont il ne se relèverait jamais. Elle revoyait les photos de l’enterrement. Un des premiers morts du Vietnam. William Nolan, soutenant sa femme, avait un visage de pierre, un regard vide, comme les Marines de la garde d’honneur.