— Le véhicule des tueurs n’a pas encore été retrouvé, Sir, annonça un des agents du FBI. Mais la zone est quadrillée jusqu’à Alexandria et des barrages ont été installés partout dans un rayon de cent milles. L’aéroport est fouillé également.
Deux cents mètres plus loin un « trooper[29] » gigantesque, riot-gun coincé contre la hanche, leur fit signe de s’arrêter. Deux voitures de la State police en chicane interdisaient le passage. Milton ricana.
— Toujours aussi cons ! Comme s’ils les avaient attendus.
Ils repartirent vers Cristal City, la ville hyper-moderne en construction juste en face de l’aéroport. Croisant plusieurs voitures de police. Ils achevaient de la traverser lorsque la radio s’anima.
— Un véhicule abandonné dans le lot 5 du parking de l’aéroport, annonça une voix anonyme. Vitre arrière brisée. Traces d’impacts, nous vérifions.
Le chauffeur du FBI mit son gyrophare sur le toit et accéléra. Dix minutes plus tard, ils arrivaient au parking N° 5 qui grouillait de policiers en civil et en uniforme. Des barrières jaunes avaient été placées autour d’un véhicule gris dont le coffre était ouvert. Un sergent s’approcha, tenant une tunique de Marine.
— Il y avait deux tenues complètes dans le coffre, Sir. Ils se sont changés et ils ont dû prendre l’avion…
Milton secoua la tête, sceptique. Le parking d’un aéroport était l’endroit idéal pour changer de tenue et de voiture. Mais l’avion était un risque pour des professionnels.
— Fouillez l’aéroport, dit-il sans conviction.
Malko partageait son analyse. Les deux tueurs étaient sûrement venus d’ailleurs. Mais ils ne repartiraient que par un moyen sûr. Pas l’avion. Des clandestins du KGB ou des « contractuels ». Ils n’étaient pas de Washington, ville trop petite. Ce qui supposait une vaste opération. Les Russes ne se lançaient pas dans ce genre d’affaire sans un motif grave.
Il pensa aussitôt à Jessica. Est-ce que le plan du KGB se bornait uniquement à l’élimination de Malko et de Milton ? Il se tourna vers ce dernier :
— Filez chez Jessica et ramenez-la à la « safe-house », fit-il. J’ai peur qu’elle soit en danger. Je vais retrouver Franck.
Franck Woodmill était au téléphone lorsque Malko entra, utilisant sa clef. Milton était parti bien avant lui du National Airport récupérer Jessica. Le Directeur adjoint des Opérations raccrocha et secoua la tête.
— Nous sommes dans de beaux draps ! lança-t-il.
— Pourquoi ?
Il n’eut pas le temps de répondre, coupé par la sonnette de l’entrée.
Malko alla ouvrir. C’était Milton. Seul.
— Où est Jessica ?
— Je ne sais pas, dit le gorille. J’ai sonné, il n’y a personne.
— Il faut y retourner, fit Malko.
— Attendez ! fit Franck Woodmill. Le FBI veut interroger Mister Brabeck sur les raisons de sa présence à Arlington. Or, bien entendu, il n’est pas question de leur révéler la vérité. Il va donc être obligé de leur mentir. Sous serment.
Milton Brabeck pâlit. C’était une chose qu’il n’avait jamais faite de sa vie.
— Je le ferai, Sir, dit-il. Vous croyez qu’ils me passeront au « lie-detector » ?
— Pas dans l’immédiat, affirma le Directeur adjoint des Opérations. Il faut gagner du temps. Moi aussi, je vais être questionné. Par chance, le DCI est en déplacement pour quatre jours, en Europe.
— Et son adjoint ?
La Taupe… Qui, lui, avait sûrement déjà compris. Cela devenait kafkaien.
— Je vais lui mentir, dit Franck Woodmill, mais tout ça ne peut pas durer. Avec le FBI, je vais louvoyer. Je suis en bons termes avec le patron de Washington DC. Si je lui promets la vérité dans quelques jours, il retiendra ses chiens.
— Vous n’avez plus besoin de moi ? demanda Milton.
— Non, dit Malko, filez chez Jessica. Je vous y retrouverai.
— Que s’est-il passé ? demanda Franck Woodmill.
Quand il eut entendu le récit complet de Malko, il alluma un cigare, pensif.
— Je ne comprends pas, avoua-t-il. Une telle action du KGB ne peut que confirmer nos soupçons envers William Nolan.
— Évidemment, dit Malko. Le seul fait qu’il soit soupçonné est déjà catastrophique à leurs yeux. Il est grillé. Le sens de cette attaque est peut-être de l’avertir. Qu’il se mette en sommeil avant qu’il ne soit trop tard.
— Vous devez avoir raison, admit le Directeur adjoint des Opérations. Et cela veut dire que nous allons nous retrouver sans aucune preuve.
— Il reste Harry Feinstein, remarqua Malko. Si on arrive à le faire craquer, il peut amener la preuve qui manque. Il est certainement le lien entre le KGB et William Nolan.
— Je m’en occupe, dit Woodmill. Je vais réfléchir à la conduite à tenir vis-à-vis du FBI. Je reste encore ici une heure. Allez retrouver Jessica. Si elle a quelque chose d’important, rappelez-moi.
La petite rue calme où se trouvait te bungalow de Jessica Hayes était toujours aussi paisible. Malko repéra immédiatement la voiture de Milton Brabeck à côté d’un énorme tas de bois de chauffage et vint s’arrêter à côté.
Milton en émergea, l’air soucieux.
— Elle n’est toujours pas là, annonça-t-il.
Malko examina les lieux. La porte du garage était fermée, et à moins de la forcer, il était impossible de savoir si une voiture se trouvait à l’intérieur. Jessica avait dû aller faire une course après avoir été chercher sa fille à l’école. Ignorant l’attaque dont il avait été victime, elle n’avait aucune raison de s’alarmer.
— Restez là, demanda-t-il à Milton, je vais faire un tour dans Wisconsin voir ce qui se trame du côté de notre ami Harry Feinstein.
— Si vous allez dans le coin, dit Milton Brabeck, vous pourriez passer trente secondes voir Chris ? Je lui avais promis de venir. S’il ne me voit pas, il va s’inquiéter.
— Pas de problème, promit Malko. À tout à l’heure.
Il regagna Foxhall Road et de là, Wisconsin. L’Econoline blanche de Harry Feinstein était garée devant son magasin, la vitrine éclairée. Il ne s’attarda pas et fila jusqu’à Reservoir Avenue. Le Georgetown Memorial Hospital occupait un bloc entier, avec une succession de buildings en brique rouge, tous plus tristes les uns que les autres.
Chris Jones était plongé dans la lecture de Sports Illustrated. Son visage s’éclaira en voyant Malko.
— Je suis content de vous voir ! Mais où est Milton ? Il est mort ?
Malko attira une chaise à lui.
— Vous n’étiez pas loin de la vérité…
Il lui raconta l’attaque dont ils venaient d’être l’objet. On avait retrouvé des douilles de 9 mm, vraisemblablement tirées par un « Skorpio », l’arme de prédilection des terroristes… Chris Jones hocha la tête et gratta les bandages de son estomac.
— Il a fallu une sacrée organisation. Une opération comme celle-là demande une dizaine de personnes, une logistique importante. Ils l’avaient prévu depuis plusieurs jours… Mais ils n’ont rien à gagner à attirer l’attention sur leur Taupe. Ils savent bien que, même s’ils vous avaient abattus tous les deux, la Company aurait cherché plus loin. À moins que cela n’ait servi à signifier à la Taupe que sa « boîte à lettres morte » était grillée…