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— Votre analyse n’est pas optimiste, remarqua Malko.

— Non. Mais je veux être fixé.

— Comment ?

— Il faut mettre la main sur Kramer et le faire parler. Peut-être, après tout, a-t-il pu se procurer des informations que je considère hors de sa portée.

— Apparemment, cela ne devrait pas poser un gros problème, remarqua Malko. Vous savez qu’il se trouve à Saint-Domingue.

Le directeur adjoint des Opérations secoua la tête d’un air désabusé.

— Mon cher Malko, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles le paraissent. Normalement, dans un cas similaire, c’est le FBI qui est chargé d’arrêter le coupable. Seulement, dans l’histoire Kramer, il y a un hic. Nous ne possédons aucune preuve matérielle de sa trahison, à part un enregistrement au magnétophone en russe d’un défecteur mort depuis. Paul Kramer n’est même pas officiellement recherché, puisque nous ne l’avons pas accusé ouvertement. Nous pensions le surveiller pour qu’il nous mène à son officier traitant.

— Mais il s’est enfui ?

— Avec sa maîtresse, souligna Franck Woodmill. N’importe quel avocat vous rira au nez quand vous parlerez d’espionnage. Tous les jours, il y a des hommes qui quittent leur femme pour aller au soleil avec leur maîtresse. En plus, il se trouve sur le territoire d’un état indépendant où le FBI n’a aucun pouvoir d’arrestation. Nous devons donc obtenir la collaboration des autorités locales.

— À Saint-Domingue, vous n’êtes quand même pas mal placés, remarqua Malko.

En 1961, à la mort du dictateur Raphaël Trujillo, les « Marines » avaient débarqué pour restaurer la démocratie. Depuis, les liens économiques et politiques étaient très forts entre les deux pays.

— Bien sûr, reconnut Franck Woodmill. Mais ce sont des « latinos » et, au fond, ils ne nous aiment pas. Ils refuseront de l’extrader. C’est en tout cas l’avis du State Department et de nos propres experts. Quant au FBI, vous les connaissez… Ce sont des maniaques de la légalité.

» Donc, ils ne bougeront pas tant que les autorités locales n’auront pas arrêté Paul Kramer pour le leur livrer. Ça peut prendre quelques années.

Malko était en train de réfléchir à cette fuite bizarre.

— Pourquoi Paul Kramer a-t-il choisi Saint-Domingue et non Cuba ou directement un pays de l’Est ?

Le directeur adjoint des Opérations soupira :

— Je n’en sais rien. Apparemment, sa fuite s’est mal passée. Maxwell a sûrement raison. Igor Kokand devait être son traitant et n’a pu le contacter comme prévu, à cause de l’incident du Willard. Kramer s’est donc trouvé livré à lui-même après avoir été averti qu’il était grillé. Il a pris sa maîtresse sous le bras et s’est tiré.

» D’abord à Miami, probablement parce qu’il avait peur que les vols internationaux ne soient surveillés au départ de Dulles airport. Ensuite, de Miami, il n’avait pas de vol pour Cuba ou un pays de l’Est. Peut-être a-t-il un contact à Saint-Domingue ? Il pensait pouvoir gagner un autre pays à partir de là et il y a eu un contre-temps. Ou encore il attend un contact prévu là-bas ? Je n’en sais fichtre rien.

— Que fait-il à Saint-Domingue ?

— Rien. D’après nos informations, il passe son temps à baiser et à aller à la plage. Notre station locale le surveille, mais ils n’ont pas autorité pour agir. Notre chef de station, Henry Fairmont, a seulement obtenu de la police locale qu’on ne le laisse pas sortir du pays tant que la situation n’est pas claire. Pour l’instant, il n’a même pas essayé…

— C’est bizarre, non ?

— Plus que bizarre. Voilà un type qui file comme un pet sur une toile cirée et qui s’arrête après, comme si de rien n’était. On dirait qu’il se contente seulement de passer des vacances avec sa pute… Il n’y a qu’une seule façon de tirer cela au clair : le ramener et le confesser.

— Vos gens sur place n’ont pas essayé ?

— Je leur ai donné l’ordre de ne pas bouger. D’abord parce qu’ils ne sont pas de taille. Ensuite, tant que nous n’aurons pas mis un dispositif destiné à l’empêcher de s’échapper je veux l’endormir.

— Et le dispositif, c’est quoi ?

— D’abord, nous avons un excellent « clandestin » à Saint-Domingue, un certain Jim Harley, qui tient un bar dans la « zona colonial ». Il est prévenu et possède de nombreux contacts sur place. Notamment dans la police. De plus, vos amis Chris Jones et Milton Brabeck sont en train de faire leurs valises pour aller au soleil…

Chris et Milton étaient deux anciens du Secret Service récupérés par la CIA pour diverses basses besognes. Deux cents kilos de muscles à eux deux, pas de cas de conscience, une haine viscérale des ennemis de l’Amérique, un armement digne d’un porte-avions et un dévouement sans faille à Malko.

— Et moi, je complète votre dispositif ?

Franck lui jeta un regard choqué.

— Non, vous le dirigez. J’ai prévu que vous partiez ce soir. Sur Pointe à Pitre et ensuite, via Air France, pour Saint-Domingue.

— Une fois là-bas, enchaîna Malko, je vais poliment demander à Paul Kramer de me raconter sa vie de taupe ?

Franck eut un sourire féroce.

— Ne faites pas l’idiot. Je veux que vous le rameniez à la Ferme et qu’on le mette sur le grill jusqu’à ce qu’il crache tout ce qu’il sait.

Il n’avait pas élevé la voix, mais son ton donna froid dans le dos à Malko. Qui comprenait mieux pourquoi on avait fait appel à lui.

— Donc, ma mission consiste à procéder à l’enlèvement d’un citoyen américain en territoire étranger. Même à Saint-Domingue, cela doit être un délit.

Le DDO haussa les épaules, philosophe.

— S’il y avait un problème, dites-vous que j’aurais encore plus d’emmerdes que vous. Alors, ne vous faites pas prendre. Je vous ai préparé tout ce dont vous avez besoin.

Il poussa vers Malko une grosse enveloppe jaune en kraft. Malko était content au fond de retrouver Chris et Milton. Et après le froid de l’Autriche un peu de soleil ne lui ferait pas de mal. Dommage qu’Alexandra, sa pulpeuse fiancée, n’ait pu l’accompagner. L’histoire Paul Kramer l’intriguait.

— Je pourrais rencontrer la femme de Kramer avant de partir ? demanda Malko.

Le DDO lui jeta un coup d’oeil surpris.

— Si vous voulez, mais le FBI a déjà entièrement démonté la maison, retourné les matelas et démoli le sol de la cave. Plus des heures d’interrogatoires avec elle qui visiblement ne sait rien.

— Quand même…

Dans une affaire aussi tortueuse, autant ne rien négliger.

Franck le raccompagna et prit l’ascenseur avec lui. En traversant le hall au sol de marbre, Malko aperçut au passage l’inscription gravée dans le mur, à gauche de l’entrée :

« Et tu connaîtras la vérité, et la vérité t’affranchira ».

Il se demanda si Paul Kramer se doutait de ce qu’il l’attendait. Et si sa vérité était celle de Franck Woodmill.

Chapitre IV

Mary Kramer avait les yeux rouges, les traits tirés et les épaules voûtées. L’agent du FBI qui avait amené Malko jusqu’à la petite maison de L Street se retira pour regagner le volant de sa voiture de l’autre côté de la rue. Une guirlande de gui était encore clouée sur la porte de la maison de brique marron. Malko s’installa dans un canapé à fleurs en face de la jeune femme que le FBI avait averti de sa venue.

— Je suis désolé de vous ennuyer, mais j’essaie de tirer au clair l’histoire de cette disparition, dit-il. Avez-vous eu des nouvelles de votre mari ?