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Rand avait ordonné aux Asha’man d’aider les soldats à creuser. Même s’ils détestaient cette tâche, ça accélérait considérablement les choses. De plus, il soupçonnait que ces hommes – comme lui – se régalaient en secret chaque fois qu’ils avaient une occasion de se connecter au saidin.

Il en repéra un petit groupe – des types qui ne pouvaient pas passer inaperçus avec leur veste noire. Dans le camp, ils étaient dix. Des soldats et des Dédiés, seuls Flinn, Naeff et Narishma étant de véritables Asha’man.

Les hommes qui s’occupaient des chevaux prenaient leur travail au sérieux. Même chose pour ceux qui garnissaient de pieux la future fortification. Ou ceux qui pelletaient la terre retirée du sol par les Asha’man afin de l’ajouter à cette défense.

Rand vit pourtant du déplaisir sur la trogne au nez crochu de bien des guerriers du Saldaea. Ils n’aimaient pas dresser leur camp dans une zone boisée, même si la « forêt » qui entourait la clairière ne semblait pas très dense. Au milieu des arbres, les charges de cavalerie n’étaient pas du gâteau, et les troncs pouvaient dissimuler des ennemis.

Davram Bashere sillonnait le camp en criant des ordres à travers son épaisse moustache. Le seigneur Tellaen l’accompagnait, son ventre menaçant de faire craquer le devant de sa redingote. Vieille connaissance de Bashere, il arborait la fine moustache favorite des Domani.

En hébergeant Rand, Tellaen prenait un gros risque. Accueillir les troupes du Dragon Réincarné pouvait aisément passer pour une trahison. Mais qui aurait pu le punir ? Le chaos régnait en Arad Doman, plusieurs factions rebelles se disputant le trône. En outre, il fallait compter avec le grand général Ituralde, qui livrait une guerre sans merci aux Seanchaniens dans le sud du pays.

Comme ses hommes, Bashere n’avait pas de plastron. En veste verte, il portait un simple pantalon d’uniforme enfoncé dans des bottes qui lui montaient jusqu’aux genoux. Qu’éprouvait-il à l’idée d’être pris dans la toile de ta’veren de Rand ? Sans s’opposer directement à la volonté de sa reine, mais en prenant pas mal de libertés. Depuis quand n’avait-il pas fait son rapport à la souveraine ? Un jour, il avait juré que les renforts envoyés par cette femme ne tarderaient pas à arriver. Combien de mois s’étaient écoulés depuis ?

Je suis le Dragon Réincarné… Tous les pactes et toutes les alliances, je les fais voler en éclats. Les vieux liens n’importent plus ! Tout ce qui compte, c’est Tarmon Gai’don.

Tarmon Gai’don et les serviteurs du Ténébreux.

— Je me demande si nous trouverons Graendal ici, dit-il, mal à l’aise.

— Graendal ? répéta Min. Pourquoi crois-tu qu’elle serait dans le coin ?

Rand secoua la tête. Des mois plus tôt, Asmodean lui avait confié qu’elle était en Arad Doman. Y était-elle restée ? Pourquoi pas ? Elle n’avait pas beaucoup d’autres choix, en termes de royaumes importants.

Graendal adorait avoir un fief secret loin des autres Rejetés. À cette fin, elle ne se serait pas installée en Andor, en Tear ni en Illian. Quant aux royaumes du Sud-Ouest, avec l’invasion des Seanchaniens, elle devait les avoir fuis.

Oui, elle avait sûrement une base arrière quelque part. C’était sa façon de faire. Probablement dans des montagnes bien isolées, au nord.

Enfin, si elle était ici. Même s’il trouvait que ça lui ressemblait bien, Rand ne pouvait pas l’affirmer.

Bon, d’accord : même si Lews Therin trouvait que ça lui ressemblait bien…

Mais ça restait une possibilité, rien de plus. Rand demeurerait vigilant, la guettant. Chaque élimination de Rejeté lui faciliterait la tâche, quand on en serait à Tarmon Gai’don…

Des bruits de pas retentirent derrière la porte fermée.

Rand et Min se retournèrent en même temps, et la main du jeune homme vola vers son épée. Un réflexe, désormais… Même si ça n’était pas sa main directrice, la perte de sa senestre le handicaperait, s’il devait affronter un adversaire compétent. Et bien qu’il disposât d’une arme surpuissante – le saidin –, son instinct le poussait toujours à saisir son épée. Il allait devoir perdre cette habitude. Sinon, ça finirait par lui coûter la vie.

La porte s’ouvrit pour laisser passer Cadsuane, aussi régalienne qu’à son habitude. Avec ses yeux noirs et son visage anguleux, c’était un joli morceau de femme. Dans son chignon gris, des petits ornements en or tintinnabulaient. Des ter’angreal et des angreal, du premier jusqu’au dernier.

D’une parfaite simplicité, sa robe de laine était tenue à la taille par une ceinture jaune, et des broderies de la même couleur rehaussaient le col. La robe elle-même était verte, ce qui n’avait rien de surprenant, puisqu’elle appartenait à l’Ajah Vert. Par moments, Rand aurait juré que son visage austère – sans âge, comme chez toute Aes Sedai qui maniait le Pouvoir depuis longtemps – aurait mieux convenu au Rouge.

Il serra moins fort la poignée de son épée mais ne la lâcha pas. L’arme avait une longue lame, légèrement incurvée, et sur le fourreau laqué s’affichait un long et sinueux dragon aux écailles rouge et or. L’épée et le fourreau semblaient avoir été spécialement conçus pour Rand. En réalité, retrouvés très récemment, ils étaient vieux de plusieurs siècles.

Comme il est étrange qu’on les ait trouvés maintenant, et qu’on me les ait offerts sans savoir de quoi il s’agissait…

Rand avait immédiatement ceint l’épée. Sous ses doigts, elle semblait à sa place. Même à Min, il n’avait pas confié qu’il avait reconnu l’arme. Bizarrement, pas seulement grâce aux souvenirs de Lews Therin, mais en puisant dans les siens.

Cadsuane n’était pas seule. La présence de Nynaeve n’avait rien de surprenant. Comme un chat dont le territoire est envahi par un autre matou, elle lâchait rarement la légende, ces derniers temps. Sans doute pour protéger Rand… Même devenue une Aes Sedai, Nynaeve, quoi qu’elle dise, restait au fond de son cœur la Sage-Dame de Champ d’Emond. À ce titre, elle se montrait impitoyable avec quiconque osait malmener un de ses protégés. Tout ça, bien évidemment, parce qu’elle préférait s’en charger elle-même.

En ce jour, elle portait une robe grise fermée par une ceinture de cuir, la poitrine barrée par une écharpe jaune. Le dernier cri de la mode en Arad Doman, paraissait-il. Comme toujours, elle arborait sur le front le point rouge traditionnel. En matière de bijoux, elle trimballait un long collier d’or, une fine surceinture du même métal, et toute une théorie de bagues et de bracelets incrustés de grosses gemmes rouges, vertes et bleues.

Cette quincaillerie était en réalité une collection d’angreal et de ter’angreal – l’équivalent de la panoplie de Cadsuane.

Plusieurs fois, Rand avait entendu Nynaeve se plaindre que ses ter’angreal, avec leurs pierres vulgaires, étaient impossibles à assortir à des vêtements.

Si Nynaeve n’était pas une surprise, Alivia, en revanche… Jusque-là, Rand n’avait pas conscience qu’elle avait sa place dans les… réunions d’information. Une ancienne damane, quand même… Cela dit, la Seanchanienne était réputée supérieure à Nynaeve dans le Pouvoir, et on l’avait peut-être conviée pour renforcer les défenses. Dès que les Rejetés étaient concernés, on ne se montrait jamais trop prudent.

Les cheveux déjà striés de blanc, Alivia était un tout petit peu plus grande que Nynaeve.

Le blanc ou le gris, dans la chevelure d’une femme capable de canaliser, était toujours un signe d’âge avancé. Très avancé, même. À l’en croire, Alivia avait quatre siècles derrière elle.