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Il n’avait pas bien évalué la situation… Selon Aviendha, il n’était pas cruel, juste un peu… épais. Quand elle serait prête, elle viendrait à lui et déposerait à ses pieds une couronne de mariage. Avant de savoir qui elle était vraiment, impossible de faire une chose pareille.

Le ji’e’toh n’était pas une chose facile. Aviendha savait étalonner l’honneur d’une Promise, mais les Matriarches n’avaient aucun rapport avec les sœurs de la Lance. Aux yeux de ses nouvelles « compagnes », elle avait cru avoir gagné un peu d’honneur, puisqu’elles lui avaient permis, par exemple, de rester longtemps à Caemlyn avec sa première-sœur.

Mais Dorindha et Nadere avaient déboulé, l’accusant d’avoir négligé sa formation. Comme une gamine surprise à coller l’oreille contre la toile d’une tente-étuve, on l’avait prise au collet et ramenée dans sa tribu, déjà prête à partir pour l’Arad Doman.

À présent… Eh bien, à présent, les Matriarches lui manifestaient encore moins de respect qu’avant. Et elles ne lui dispensaient plus de formation, comme si elle avait commis une erreur impardonnable. De quoi lui retourner l’estomac. Se couvrir de honte devant les Matriarches était presque aussi humiliant que de mourir de peur face à quelqu’un d’aussi courageux qu’Elayne.

Jusque-là, les Matriarches avaient concédé un peu d’honneur à Aviendha en la laissant subir des punitions. Mais pourquoi les avait-elle méritées ? En quoi s’était-elle couverte de honte ? Poser la question, bien entendu, reviendrait à s’humilier encore plus. Tant qu’elle n’aurait pas dépassé ce dilemme, impossible de recouvrer son toh. Pire, elle risquait de commettre de nouveau l’erreur dont elle s’était rendue coupable à son corps défendant. Tant qu’elle n’aurait pas résolu cette équation, elle resterait une apprentie incapable de déposer une couronne de mariage aux pieds de Rand al’Thor.

Aviendha grinça des dents. Une autre femme aurait pleuré, mais quel bien ça lui aurait fait ? Quelle que soit sa faute, elle en portait les conséquences, et c’était à elle d’arranger les choses. Son honneur revenu, elle épouserait Rand al’Thor avant qu’il succombe lors de l’Ultime Bataille. En d’autres termes, quoi qu’elle ait besoin de comprendre, elle aurait intérêt à ne pas traîner.

Les huit Aiels rejoignirent le groupe de compatriotes qui les attendait dans une clairière, au cœur d’un bosquet de pins au sol couvert d’aiguilles mortes. Selon les critères des clans et des tribus, le groupe en question était plutôt réduit : à peine deux cents personnes. Au milieu de la clairière, quatre Matriarches attendaient dans leur tenue rituelle, un chemisier blanc et une jupe marron.

Aviendha portait des vêtements similaires, désormais aussi familiers que le cadin’sor de naguère.

Les éclaireurs se séparèrent. Alors que les Promises et les Sang Fidèle allaient rejoindre leur clan ou leur ordre guerrier, Rhuarc se dirigea vers les Matriarches et Aviendha le suivit.

Amys, Bair, Melaine et Nadere les regardèrent approcher. La seule à ne pas appartenir aux Aiels Taardad ou Goshien, Bair était arrivée récemment, peut-être pour assurer la coordination avec les autres. Quelle que soit la raison, aucune des quatre ne semblait contente.

Aviendha hésita. Si elle s’esquivait maintenant, penseraient-elles qu’elle avait une bonne raison de ne pas se faire remarquer ? Devait-elle au contraire rester, et prendre le risque de leur déplaire encore plus ?

— Alors ? demanda Amys à Rhuarc.

Malgré ses cheveux blancs, cette femme avait l’air très jeune. Dans son cas, ça n’avait rien à voir avec le Pouvoir. Ses cheveux grisonnaient déjà quand elle était encore enfant.

— Ombre de mon cœur, dit Rhuarc, c’était conforme à la description des éclaireurs. Un autre groupe de réfugiés pitoyables. Je n’ai vu aucun danger caché…

Les Matriarches acquiescèrent, comme si ça ne les surprenait pas.

— C’est le dixième groupe en moins d’une semaine, dit Bair.

Plus de la première jeunesse, elle ne dissimulait pas son inquiétude.

— Exact, fit Rhuarc. Selon les rumeurs, les Seanchaniens ont attaqué des ports à l’ouest. Pour leur échapper, les gens fuient vers l’intérieur des terres. (Il regarda Amys.) Ce pays est en ébullition comme de l’eau qu’on jette sur une pierre chaude. Les tribus ne sont pas sûres de savoir ce que leur veut Rand al’Thor.

— Il a pourtant été clair, lâcha Bair. Il apprécierait que Dobraine Taborwin et toi protégiez Bandar Eban, comme il l’a demandé.

— D’accord, mais ses intentions restent pourtant obscures. Il nous a demandé de rétablir l’ordre. Veut-il que nous nous comportions comme une garde civile ? Ce n’est pas un rôle pour les Aiels. S’il ne s’agit pas de conquérir, nous n’aurons pas droit au cinquième des richesses. Pourtant, ce qu’il nous demande ressemble sacrément à conquérir. Comme toujours, les ordres du Car’a’carn peuvent être en même temps limpides et déconcertants. Pour ça, il a un don spécial.

Bair sourit et hocha la tête.

— Il veut peut-être que nous fassions quelque chose avec ces réfugiés…

— Quoi donc ? demanda Amys. Sommes-nous des Shaido, capables de transformer en gai’shain des gens des terres mouillées ?

À son ton, on devinait aisément ce qu’elle pensait des Shaido et des gai’shain non aiels.

Aviendha approuva du chef. Comme l’avait dit Rhuarc, le Car’a’carn les avait envoyés en Arad Doman pour rétablir l’ordre. Un concept d’homme des terres mouillées. Les Aiels apportaient l’ordre partout où ils allaient. La guerre impliquait un certain volume de chaos, bien entendu, mais chaque guerrier connaissait son rôle et ne s’en écartait pas. Les enfants eux-mêmes avaient le sens de l’honneur et du toh, et une forteresse aurait continué à fonctionner après la mort de tous les chefs et de toutes les Matriarches.

Avec les gens des terres mouillées, il en allait autrement. Ils couraient en tous sens, comme des lézards sortant d’un panier tombé sur un sol rocheux brûlant. Une fuite éperdue, sans prendre le temps de se munir de vivres et d’autres équipements. Dès que leurs chefs étaient occupés ou distraits, la violence et le pillage régnaient. Les forts s’en prenaient aux faibles, et même les forgerons n’étaient plus en sécurité.

Selon Rand al’Thor, que pouvaient faire les Aiels ? Enseigner le ji’e’toh à une nation entière ? Le Car’a’carn leur avait demandé d’éviter de tuer des Domani. Mais leurs troupes, souvent converties au banditisme, étaient une part du problème.

— Il nous en dira peut-être plus quand il sera arrivé dans son manoir, fit Melaine.

Elle secoua la tête, faisant osciller sa chevelure rousse. Malgré le chemisier ample, sa grossesse commençait à se voir.

— Dans le cas contraire, nous sommes sûrement mieux en Arad Doman que dans la patrie des tueurs d’arbre.

— Tu ne crois pas si bien dire, approuva Rhuarc. Remettons-nous en chemin. Il reste une grande distance à couvrir.

Il s’éloigna pour aller parler avec Bael. Aviendha fit un pas de côté, mais un regard noir d’Amys la pétrifia sur place.

— Aviendha, combien de Matriarches ont accompagné Rhuarc, pour cette mission d’observation ?

— Aucune, à part moi…

— Parce que tu es une Matriarche, à présent ? demanda Bair.

— Non, répondit très vite Aviendha. (Elle rougit, se déshonorant un peu plus.) Je me suis mal exprimée.

— Dans ce cas, tu dois être punie, lâcha Bair. Tu n’es plus une Promise, ma fille. Jouer les éclaireuses n’est plus de ton ressort. C’est le rôle d’autres femmes…