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Aviendha se détendit. Donc, il lui restait un peu de temps pour découvrir ce qu’elle avait fait de mal. Les gens des terres mouillées avaient des difficultés à comprendre la conception aielle des punitions, mais ils ne saisissaient pas grand-chose à la notion d’honneur. Être punie n’était pas un moyen de restaurer son honneur, mais accepter et assumer une punition le pouvait. C’était le sens profond du toh. S’abaisser volontairement pour recouvrer ce qu’on avait perdu.

Bizarrement, dans les terres mouillées, personne ne voyait la différence. Comment pouvait-on ne pas suivre d’instinct le ji’e’toh ? Que valait une vie sans honneur ?

Amys, et elle avait raison, ne dirait jamais à Aviendha ce qu’on lui reprochait. Comme elle était incapable de le découvrir seule, l’humiliation serait moindre si elle comprenait au fil d’une conversation.

— Oui, fit Aviendha, je mérite un châtiment. Mon séjour à Caemlyn m’a affaiblie.

— Tu n’es pas plus faible qu’au temps où tu portais la lance, ma fille. Et même un peu plus forte. Côtoyer ta première-sœur a été bénéfique pour toi.

Donc, ce n’était pas ça. Quand elles étaient venues la chercher, Dorindha et Nadere avaient dit qu’elle devait reprendre sa formation. Cela posé, depuis le départ de l’Arad Doman, on ne lui avait dispensé aucun enseignement. Repriser des fichus, porter de l’eau, servir les infusions… Des corvées, elle n’en avait pas manqué – des punitions infligées sans qu’on lui précise jamais pour quelle faute.

Quand elle commettait une infraction évidente – comme partir avec des éclaireurs –, la sévérité du châtiment était toujours excessive par rapport à la transgression.

À croire que les Matriarches voulaient lui apprendre à être punie, rien de plus. Mais ça ne tenait pas la route. Elle n’avait rien en commun avec un habitant des terres mouillées qui devait découvrir les chemins de l’honneur. À quoi pouvaient servir ces brimades permanentes, sinon à l’absoudre un jour d’une terrible faute ?

Amys détacha de sa ceinture un petit sac de laine de la taille d’un poing.

— Il nous est apparu, dit-elle, que nous avons été trop laxistes en te formant. Le temps est précieux, et ce n’est plus le moment de finasser.

Aviendha contrôla sa surprise. Ses punitions précédentes étaient donc revenues à finasser ?

— En conséquence, continua Amys en tendant le sac à Aviendha, prends ceci. Dedans, il y a des graines. Certaines sont noires, d’autres brunes et d’autres encore blanches. Ce soir, avant le coucher, tu trieras les couleurs, puis tu compteras le nombre de graines pour chacune des trois. Si tu te trompes, nous les remélangerons, et tu devras recommencer.

Aviendha en resta bouche bée et faillit trébucher. Repriser, c’était une tâche importante. Idem pour porter de l’eau et cuisiner, surtout quand il n’y avait pas de gai’shain dans un groupe.

Mais ça… Un travail inutile, sans importance et frivole ! Le genre de punitions réservées aux Aiels les plus bornés et couverts de honte. On eût presque dit que les Matriarches la traitaient de da’tsang.

— Par les yeux de l’Aveugleur ! s’écria Aviendha en s’efforçant de continuer à courir. Qu’ai-je fait pour mériter ça ?

Quand Amys la regarda, la première-sœur d’Elayne détourna les yeux. Toutes les deux savaient qu’elle ne voulait pas entendre une réponse à sa question.

Sans un mot, elle prit le sac.

La punition la plus humiliante qu’on lui ait jamais infligée.

Amys la laissa pour aller courir avec les autres Matriarches.

Une fois la stupeur passée, Aviendha retrouva toute sa détermination. Sa faute devait être plus grave qu’elle l’avait cru. La punition imaginée par Amys le laissait penser.

Aviendha ouvrit le sac. Dedans, il y en avait trois autres – en algode –, plus petits, pour faciliter le tri. Des milliers de minuscules graines les entouraient. Cette punition était conçue pour être vue par tous et pour la couvrir de honte. Quoi qu’elle ait fait, ça n’avait pas offensé les seules Matriarches, mais tous les membres du groupe, qu’ils en aient conscience ou non.

Eh bien, Aviendha devrait se montrer encore plus déterminée.

4

La tombée de la nuit

Gawyn regardait le soleil sombrer à l’horizon, ses ultimes lueurs promises à se dissiper très vite. Quand il ferait nuit, il resterait un rideau de brume brillante, suffisant pour occulter les étoiles.

Ce soir, les nuages étaient bien trop hauts dans le ciel. Rien de naturel là-dedans. Les jours de brouillard, le sommet du pic du Dragon était souvent invisible. Là, on le voyait nettement, la nappe de brume flottant juste au-dessus de sa pointe déchiquetée.

— Attaquons…, murmura Jisao, accroupi près de Gawyn au sommet d’une colline.

Détournant les yeux du coucher de soleil, celui-ci étudia le village qui s’étendait au pied de la butte. Il aurait dû être paisible, à l’exception peut-être d’un paysan inspectant une dernière fois son bétail avant de rentrer chez lui. À une heure où les gens finissaient de dîner, la pénombre aurait dû régner, à l’exception de quelques fenêtres chichement éclairées.

Mais il n’y avait ni paix ni pénombre. Dans les rues, des silhouettes massives allaient et venaient avec des torches. À leur lumière, Gawyn vit que tous ces hommes portaient un uniforme gris et noir sans caractéristique particulière.

De loin, il ne distinguait pas l’emblème à trois étoiles, mais il ne doutait pas de sa présence.

De son perchoir, il vit des retardataires sortir de leur maison et, terriblement inquiets, aller rejoindre les autres villageois sur la grand-place.

Ces hommes et ces femmes accueillaient les soldats sans enthousiasme. Alors que les mères tenaient fermement leurs enfants, les pères gardaient les yeux baissés.

« Nous ne voulons pas de problèmes », clamaient muettement ces gens.

Par d’autres villages, ils savaient sûrement que ces envahisseurs n’étaient pas des barbares. Les soldats payaient tout ce qu’ils se procuraient et on n’enrôlait pas de force les jeunes villageois. En revanche, on ne les repoussait pas non plus.

Une étrange « horde » d’envahisseurs, tout bien pesé. Cela dit, Gawyn devinait sans peine ce que pensaient les gens. Cette armée étant dirigée par des Aes Sedai, qui pouvait dire ce qui était normal ou hors du commun ?

La Lumière en soit remerciée, aucune sœur n’accompagnait cette patrouille. Polis mais stricts, les soldats firent mettre les villageois en rang, puis ils les passèrent en revue. Ensuite, par binôme, des hommes allèrent inspecter toutes les maisons et les granges – sans rien prendre ni casser. Un protocole presque cordial. Gawyn aurait presque cru entendre le commandant s’excuser du dérangement auprès du bourgmestre.

— Gawyn, souffla Jisao, ils sont un peu plus d’une dizaine. Si nous envoyons le détachement de Rodic depuis le nord, nous les prendrons en tenaille et les écraserons. Il fait assez noir pour qu’ils ne nous voient pas venir. Nous les capturerons ou les tuerons sans même y penser.

— Et les villageois ? Il y a des gosses sur la place.

— D’habitude, ça ne nous arrête pas.

— Ce coup-ci, c’est différent. Les trois derniers villages qu’ils ont fouillés dessinent une ligne droite en direction de Dorlan. Si cette patrouille disparaît, la prochaine se demandera ce que ces hommes ont failli découvrir. En attaquant, nous attirerions le regard de toute une armée sur cette position.

— Mais…

— Non ! Jisao, nous devons apprendre la prudence.

— Donc, nous avons fait tout ce chemin pour rien.