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Une nouvelle fois, Siuan se tourna vers le militaire – mais en restant bouche bée, ce coup-ci. Il ne pouvait pas savoir pour Tel’aran’rhiod, pas vrai ?

Au sourire satisfait de Bryne, tout fut clair. Il ne savait peut-être pas pour le Monde des Rêves, mais il avait compris que les heures de coucher précoce de Siuan et l’anneau lui permettaient de communiquer avec Egwene.

Sournoisement, il la regarda par-dessus une feuille quand elle passa devant lui, et se fendit de ce qu’on pouvait prendre pour un clin d’œil.

— Insupportable idiot, marmonna-t-elle en s’asseyant sur sa couche.

Après avoir dissipé le globe de lumière, elle récupéra discrètement l’anneau – un ter’angreal en réalité – et passa la cordelette autour de son cou. Puis elle s’étendit, tourna le dos au butor et tenta de s’endormir. Tous les trois jours, elle se levait très tôt, pour être fatiguée le soir. Hélas, elle ne pouvait pas s’endormir à volonté, comme Egwene.

Insupportable, ce type ! Insupportable ! Mais elle lui réservait un chien de sa chienne. Des souris dans son lit. Oui, il l’avait bien mérité.

Ce fut long à venir, mais elle finit par sombrer dans le sommeil, un sourire sur les lèvres à l’idée de la vengeance qu’elle mijotait.

Siuan se réveilla dans le Monde des Rêves, vêtue d’une simple chemise de nuit qui ne cachait rien. Paniquée, elle fit un effort de concentration pour se vêtir en un clin d’œil d’une robe verte. Verte ? Pourquoi donc ?

Elle passa au bleu. Comment Egwene faisait-elle pour tout contrôler en Tel’aran’rhiod ? Pour sa part, elle parvenait à peine à empêcher ses vêtements de fluctuer chaque fois qu’elle pensait à quelque chose de futile.

Sans nul doute, c’était dû à la pâle copie du ter’angreal qu’elle était obligée d’utiliser. Un doublon qui ne fonctionnait pas aussi bien que l’original, loin de là. Aux yeux des gens qui la voyaient, elle ressemblait à un spectre.

Elle était au milieu du camp des Aes Sedai, entourée de tentes. Parfaitement au hasard, les rabats se fermaient et s’ouvraient sans cesse. Dans le ciel, une tempête silencieuse se déchaînait. Étrange, ça. Mais le Monde des Rêves, c’était le royaume de la bizarrerie.

Siuan ferma les yeux et se concentra sur sa destination – le bureau de la Maîtresse des Novices, au cœur de la Tour Blanche. Quand elle rouvrit les yeux, elle y était. Une pièce aux murs lambrissés de noir, avec un bureau massif et une table pour les diverses punitions.

Siuan aurait aimé avoir l’anneau original, mais Elayne l’avait emporté. Comme son père aurait dit, elle devait se contenter de ce qu’elle avait. Après tout, on aurait pu la planter là sans aucun anneau. Celui-là, les représentantes pensaient que Leane l’avait sur elle au moment de sa capture.

Comment allait-elle, cette pauvre Leane ? À tout moment, l’usurpatrice pouvait la faire exécuter. Elaida était méprisable, Siuan le savait mieux que personne. Avec un pincement au cœur, elle pensa à Alric.

Elaida avait-elle éprouvé une once de culpabilité à l’idée d’assassiner un Champion de sang-froid ? Et ce avant que la femme dont elle dévastait la vie ait été purement et simplement renversée ?

— Une épée, Siuan ? demanda soudain Egwene. Voilà qui est nouveau.

Siuan baissa les yeux et sursauta en découvrant qu’elle serrait une épée ensanglantée, comme si elle venait de transpercer le cœur d’Elaida. Dès qu’elle eut fait disparaître l’arme, elle regarda Egwene.

Une Chaire d’Amyrlin dans toute sa splendeur. Une magnifique robe dorée, les cheveux tenus par un filet de perles… Le visage n’était pas encore intemporel, mais pour la sérénité inhérente à une Aes Sedai, on y était. À dire vrai, depuis sa capture, Egwene semblait avoir fait de gros progrès sur ce plan.

— Tu es splendide, Mère.

— Merci, fit Egwene avec un sourire.

Devant Siuan, elle se livrait un peu plus qu’en présence des autres. Logique, au fond. Toutes les deux savaient à quel point elle avait compté sur les enseignements de l’ancienne dirigeante pour être à la hauteur de son titre.

Elle y serait sans doute arrivée sans moi, dut admettre Siuan. Un peu moins vite, cependant…

Egwene regarda autour d’elle et fit la moue.

— Je sais que j’ai proposé ce lieu, la dernière fois, mais là, j’en ai plus qu’assez. Retrouvons-nous dans le réfectoire des novices.

Sur ces mots, Egwene se volatilisa.

Le réfectoire ? Un choix étrange, mais très peu susceptible d’abriter des oreilles indiscrètes. Car Siuan et Egwene n’étaient pas les seules à utiliser Tel’aran’rhiod pour des réunions clandestines.

Même si ça n’était pas indispensable – mais ça l’aidait un peu – Siuan ferma les yeux et imagina le réfectoire des novices avec ses rangées de bancs et ses murs nus.

Quand elle rouvrit les yeux, elle y était, et Egwene l’attendait déjà. Alors qu’elle se laissait tomber en arrière, un merveilleux fauteuil rembourré apparut dans son dos, et elle s’y assit avec la grâce qui la caractérisait désormais.

Pas certaine de réussir un tour si compliqué, Siuan prit simplement place sur un banc.

— Je crois que nous allons devoir nous rencontrer plus souvent, Mère, dit-elle en pianotant sur la table pour s’éclaircir les idées.

— Vraiment ? Quelque chose est arrivé ?

— Plusieurs choses, en fait. Et certaines, j’en ai peur, puent davantage qu’une pêche de la semaine passée.

— Je t’écoute…

— Un des Rejetés s’était infiltré dans notre camp.

Une réalité à laquelle Siuan n’avait aucune envie de penser trop souvent. Cette seule idée lui donnait la chair de poule.

— Il y a eu des victimes ?

Les yeux durs mais le ton serein… Exactement l’attitude qu’on attendait d’une Chaire d’Amyrlin.

— Non, que la Lumière en soit louée ! À part celles que tu connais déjà. Mais Romanda a fait le lien. Egwene, le monstre était parmi nous depuis un moment, très bien caché.

— Qui était-ce ?

— Delana Mosalaine ou sa servante Halima. Cette dernière, plutôt, parce que je connais Delana depuis très longtemps.

Egwene écarquilla très légèrement les yeux. Halima s’était occupée d’elle. Oui, une Rejetée avait été à son service.

Elle encaissa la nouvelle sans broncher. Comme une authentique Chaire d’Amyrlin.

— Mais Anaiya a été tuée par un homme. Les autres meurtres étaient différents ?

— Anaiya n’a pas été assassinée par un homme, mais par une femme qui maniait le saidin. C’est la seule explication logique.

Egwene acquiesça. Quand le Ténébreux était impliqué, rien ne se révélait impossible.

Siuan sourit de fierté. Cette « gamine » apprenait à chaque seconde à devenir une dirigeante. Non, elle en était déjà une, et même une grande !

— Autre chose ? demanda Egwene.

— Pas sur ce sujet. Les deux femmes ont quitté le camp le jour où nous les avons démasquées.

— Qu’est-ce qui les a alarmées ?

— Eh bien, c’est lié à une des autres choses que je dois t’apprendre.

Siuan inspira à fond. Le pire était dit, mais la suite ne serait pas facile non plus.

— Ce jour-là, il y avait une réunion du Hall et Delana y assistait, comme de juste. Au début, un Asha’man a annoncé qu’il sentait qu’un homme canalisait le Pouvoir dans le camp. C’est ça, pensons-nous, qui a alerté Delana. Elle a filé, et nous n’avons compris qu’après son départ. Ce même Asha’man nous avait dit qu’un de ses semblables avait rencontré une femme capable d’utiliser le saidin.