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— Et que faisait-il dans le camp, ton Asha’man ?

— C’était un émissaire du Dragon Réincarné. Mère, il semble bien que certains partisans d’al’Thor aient lié des Aes Sedai.

Egwene cilla presque imperceptiblement.

— Oui, j’en ai entendu parler… Et j’espérais que c’était faux. Ton Asha’man a-t-il dit qui a autorisé Rand à perpétrer une atrocité pareille ?

— Il est le Dragon Réincarné, rappela Siuan. Je doute qu’il ait besoin qu’on lui donne une permission. Mais à sa décharge, on dirait qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait. Les sœurs que ses hommes ont liées étaient envoyées par Elaida pour détruire la Tour Noire.

— Je vois…, fit Egwene, trahissant enfin l’ombre d’une émotion. Donc, les rumeurs n’en sont pas… Bien au contraire.

Sa splendide robe ne changea pas de coupe, mais elle vira à l’ocre, comme un cadin’sor d’Aiel. Egwene ne parut pas remarquer le changement.

— Le règne désastreux d’Elaida s’achèvera-t-il un jour, Siuan ?

L’ancienne Chaire d’Amyrlin haussa les épaules en signe d’impuissance.

— En échange des femmes qu’al’Thor nous a prises, nous avons reçu quarante-sept Asha’man. Un marché pas très juste, mais le Hall a décidé de l’accepter.

— Une bonne chose… Les folies du Dragon, nous nous en occuperons plus tard. Même si ses Asha’man ont agi sans ordre, c’est lui, le responsable. Des hommes qui lient des femmes !

— Ils affirment que le saidin est purifié, Mère.

Egwene arqua un sourcil mais ne parut pas choquée.

— C’est une possibilité envisageable… Il nous faudra des preuves, bien entendu. La souillure est arrivée quand tout semblait gagné. Pourquoi ne disparaîtrait-elle pas au moment où le monde entier est au bord de la folie ?

— Je n’avais pas envisagé les choses sous cet angle, Mère. Que devons-nous faire ?

— Laisser le Hall se débrouiller. On dirait qu’il a les choses en main.

— L’emprise serait plus sûre et plus ferme si tu revenais, Mère.

— Ce n’est pas le moment…

Egwene s’adossa à son siège et croisa les mains sur son giron. Comme ça, elle avait l’air beaucoup plus mûre que ses traits le laissaient penser.

— Ma place est ici, pour l’instant. Assure-toi que le Hall fera ce qu’il faut. J’ai une totale confiance en toi.

— Et je m’en flatte, Mère, dit Siuan, cachant sa frustration. Mais je perds le contrôle des représentantes. Lelaine se comporte de plus en plus comme une dirigeante bis, et elle assoit sa position en faisant mine de te soutenir. Agir apparemment en ton nom lui profite, et elle en a conscience.

— Puisque c’est elle qui a démasqué la Rejetée, j’aurais cru que Romanda avait pris l’avantage.

— Elle croit l’avoir pris, mais elle a trop longtemps célébré son « triomphe ». Lelaine en a profité pour devenir la plus loyale servante de la plus grande Chaire d’Amyrlin de l’histoire. À l’entendre, elle et toi étiez de proches amies et des confidentes. Elle m’a intégrée à sa suite, et à chaque réunion du Hall, c’est la même chanson : « Egwene voulait ceci » et « rappelez-vous ce qu’a dit Egwene quand nous avons agi ainsi ».

— C’est malin…

— Et même brillant ! Mais nous avons toujours su qu’une de ces deux femmes finirait par écrabouiller l’autre. Je continue à influencer Lelaine pour qu’elle se focalise sur Romanda, mais ça ne durera pas éternellement.

— Fais de ton mieux. Mais ne t’inquiète pas si ça ne fonctionne plus.

— Elle veut te voler ta place !

— En s’appuyant sur moi, rappela Egwene avec un sourire.

Remarquant le changement de couleur de sa robe, elle rectifia le tir sans même s’abstraire de la conversation.

— Sa jolie combinaison réussira seulement si je ne reviens pas. Pour l’instant, je suis la source de son autorité. À mon retour, elle devrait accepter ma domination. Du coup, elle aura en réalité œuvré pour moi.

— Et si tu ne reviens pas, Mère ?

— Les Aes Sedai auront besoin d’une dirigeante forte. Si Lelaine est en bonne position pour recevoir l’étole et le sceptre, qu’il en soit ainsi.

— Elle a d’excellentes raisons de faire en sorte que tu ne reviennes pas. En profondeur, elle parie contre toi, tu le sais.

— Et je ne l’en blâme pas, fit Egwene en s’autorisant une moue. Si j’étais à sa place, je miserais aussi contre moi. Ce sera à toi de la gérer, Siuan. Moi, je ne peux pas me laisser distraire. Ici, mon potentiel de succès est énorme. Et si j’échoue, le gain sera encore plus important.

Siuan reconnut l’expression entêtée d’Egwene. Si on en était là, inutile de tenter quoi que ce soit. À la prochaine rencontre, peut-être, elle aurait une ouverture.

Toutes ces avanies – la purification, les Asha’man, la Tour Blanche désunie – lui glaçaient les sangs. Même si elle se préparait depuis toujours à ce qui s’annonçait, être au pied du mur n’avait rien de rassurant.

— L’Ultime Bataille est pour très bientôt…

— C’est une évidence, approuva Egwene.

— Et je vais la livrer avec des lambeaux de ce que fut mon pouvoir.

— Sauf si on te déniche un angreal, quand la tour sera réunifiée. Contre les Ténèbres, nous utiliserons toutes les armes disponibles.

— Un angreal, ce serait bien, mais je peux m’en passer. Si je râle, c’est par habitude, je crois. Mais j’apprends à me faire à ma nouvelle situation. Ce n’est pas si dur, maintenant que je cerne mieux ses avantages.

Egwene plissa le front, se demandant sans doute quel avantage il pouvait y avoir à être privée de son pouvoir.

— Un jour, dit-elle, Elayne m’a parlé d’une pièce, dans la tour, qui déborderait d’artefacts. Elle existe vraiment ?

— Bien entendu. Au sous-sol, second niveau, côté nord-est. C’est une petite pièce, avec une porte ordinaire, mais on ne peut pas la rater. Dans ce couloir, c’est la seule qui est fermée à clé.

— En usant de la force brute, je ne viendrai pas à bout d’Elaida. Il est quand même agréable de savoir qu’on ne manque pas de munitions. Tu as autre chose à me dire, Siuan ?

— Pas pour l’instant, Mère.

— Alors, retourne dans le monde éveillé – et dors un peu. Notre prochaine rencontre sera dans deux jours. Ici, en principe. Mais peut-être à l’extérieur de la ville, tout compte fait. S’il y a eu une Rejetée parmi nous, je parie la moitié de l’auberge de mon père que la Tour Blanche grouille d’espionnes.

— Très bien, à dans deux jours…

Sur ces mots, Siuan ferma les yeux, les rouvrit et se retrouva dans le fief de Bryne. La chandelle ne brûlait plus, et elle entendait la respiration du général, à l’autre bout de la tente. S’asseyant, elle tenta de distinguer le militaire, mais elle ne vit que des ombres. Bizarrement, après avoir débattu de Rejetés et d’Asha’man, la présence de Bryne la réconfortait.

Autre chose à te dire, ma très chère Egwene ?

Siuan se leva, se glissa derrière le paravent et se changea pour la nuit.

Oui, j’ai quelque chose à ajouter. Je suis amoureuse, il me semble. N’est-ce pas surprenant ?

À ses propres yeux, c’était aussi étrange que l’élimination de la souillure ou qu’une femme capable de canaliser le saidin.

Perplexe, Siuan remit le ter’angreal des rêves dans sa cachette, puis elle se glissa sous ses couvertures.

Pour cette fois, elle oublierait les souris…

9

Quitter Malden

Une brise printanière piquante soufflait au visage de Perrin. Normalement, elle aurait dû charrier l’odeur du pollen, de la rosée matinale et de la terre retournée par les jeunes pousses qui émergeaient à l’air libre. Le parfum du renouveau et de la renaissance.