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Falendre s’inclina, tirant sur l’a’dam pour que Nenci l’imite. Considérant les circonstances, jusque-là on les avait traitées plutôt bien, pour des prisonnières, leur donnant même de l’eau pour se débarbouiller. Et selon toute vraisemblance, elles ne resteraient plus prisonnières très longtemps. Mais avec cet homme, comment savoir ce qu’une libération signifierait ? Les promesses les plus tentantes pouvaient faire partie d’un sombre plan…

— Je transmettrai ton message avec toute l’attention qu’il requiert, assura Falendre… avant de tomber à court de mots.

Quel titre devait-elle utiliser avec cet homme ?

— Seigneur Dragon, ajouta-t-elle à la hâte.

Ces deux mots lui arrachèrent la gorge, mais leur destinataire hocha la tête. Donc, ils devaient suffire.

Émergeant d’un improbable trou en lévitation dans l’air, une marath’damane déboula de nulle part. Jeune, les cheveux formant une longue natte, elle portait assez de bijoux pour être membre du Sang, et un point rouge s’affichait sur son front, entre les deux yeux.

— Combien de temps comptes-tu rester ici, Rand ? demanda-t-elle comme si le jeune homme au regard dur était un serviteur, et pas… ce qu’il était. À quelle distance d’Ebou Dar sommes-nous ? Cette ville grouille de Seanchaniens, sais-tu, et des raken patrouillent sûrement dans les airs.

— Cadsuane t’envoie pour me demander ça ? répliqua le manchot, les joues un peu roses. Eh bien, je n’en ai plus pour longtemps, Nynaeve. Quelques minutes à peine…

Nynaeve, puisque c’était son nom, balaya du regard les autres sul’dam et leurs damane, qui prirent exemple sur Falendre et firent mine de croire qu’aucune marath’damane ne les observait… et qu’il n’y avait pas l’ombre d’un homme en veste noire.

Ces femmes avaient fait de leur mieux pour se redresser. Après avoir essuyé le sang qui maculait son visage, Surya avait fait de même pour Tabi, sa damane. Ensuite, Malian avait improvisé des compresses qui évoquaient des coiffes plus que bizarres. De son côté, Ciar était parvenue à nettoyer presque tout le vomi répandu sur le devant de sa robe.

— Je persiste à dire que je devrais les guérir, lâcha Nynaeve. Les blessures à la tête peuvent avoir des conséquences imprévisibles.

Le regard dur, Surya tira Tabi derrière elle pour la protéger. Comme si c’était en son pouvoir. Terrifiée, la damane roulait des yeux démesurés.

Falendre leva une main implorante à l’intention du grand jeune homme. Le Dragon Réincarné, aurait-il fallu dire…

— Par pitié… On leur donnera des médicaments dès que nous serons à Ebou Dar.

— Laisse tomber, Nynaeve, dit le… Dragon. Si elles ne veulent pas de guérison, c’est leur droit.

La marath’damane foudroya le manchot du regard, puis elle saisit sa natte et tira comme si elle voulait l’arracher.

— La route d’Ebou Dar est à environ une heure à l’est d’ici, répondit le manchot à Falendre. En vous dépêchant, vous serez en ville avant la nuit. Le bouclier qui neutralise les damane se dissipera dans une demi-heure. C’est bien le délai pour un bouclier tissé avec le saidar, Nynaeve ? (Pas de réponse.) Je t’ai posé une question !

— Une demi-heure, oui, marmonna la jeune femme. Mais c’est très mal, tout ça, Rand al’Thor ! Renvoyer ces damane, ce n’est pas bien du tout, et tu le sais !

Un instant, les yeux du jeune homme parurent encore plus froids. Pas plus durs, parce que ç’aurait été impossible. Mais là, on eût dit deux grottes remplies de glace jusqu’à la gueule.

— Savoir ce qui est bien semblait facile, quand je m’occupais de quelques moutons. Ces derniers temps, c’est beaucoup moins aisé.

Il se détourna et haussa le ton :

— Logain, ramène tout le monde via le portail. Non, non, Merise, je ne te donne pas un ordre. Au contraire, je t’implore de venir avec nous. Parce que ce passage se refermera bientôt.

Les marath’damane – sur ce continent, elles se faisaient appeler « Aes Sedai » – commencèrent à traverser l’absurde ouverture qui planait dans l’air. Les hommes en noir – des Asha’man – leur emboîtèrent le pas, vite suivis par des soldats au nez crochu.

Quelques-uns restèrent en arrière pour finir d’attacher sur un cheval la dépouille de Tanera. Les montures étaient un cadeau du Dragon Réincarné. Plutôt surprenant, ça, après ce qui s’était passé.

Le manchot aux yeux de glace se tourna vers Falendre :

— Répète mes instructions.

— Je dois retourner à Ebou Dar avec un message pour nos chefs.

— Non, pour la Fille des Neuf Lunes. C’est à elle que tu le délivreras.

Falendre sentit ses genoux se dérober. Indigne de parler à n’importe quel membre du Sang, elle n’avait aucun droit de s’adresser à la Haute Dame – la fille de l’Impératrice, puisse-t-elle vivre éternellement ! Mais face à cet homme, on n’avait aucune envie de discutailler.

— Oui, je lui délivrerai ton message… Elle saura que tu ne lui tiens pas rigueur de cette attaque, et que tu désires la rencontrer.

— Que je désire toujours la rencontrer, corrigea le Dragon Réincarné.

D’après ce que savait Falendre, la Fille des Neuf Lunes n’était peut-être même pas informée de la « première rencontre », arrangée en secret par Anath. Pour cette raison, Falendre était sûre qu’elle avait bien en face d’elle le Dragon Réincarné. Car lui seul aurait pu affronter une Rejetée et en sortir victorieux.

Une Rejetée, la femme qui avait pris la place de la Haute Dame ? À cette idée, l’esprit de Falendre se cabrait. Impossible ! Pourtant, le manchot, en face d’elle, était bel et bien le Dragon Réincarné. S’il était vivant et arpentait le monde, les Rejetés existaient aussi.

Falendre était confuse et ses pensées tournaient en rond, elle le savait. Pour y remédier, elle enfouit profondément sa terreur, dont elle s’occuperait plus tard. Elle devait se reprendre en main.

Pour ça, elle se força à croiser le regard de glace du Dragon. Sa dignité, elle devait la préserver, au minimum pour rassurer les autres sul’dam. Les damane aussi, bien entendu. Mais pour elles, il n’y aurait aucun espoir si les sul’dam se décomposaient de nouveau.

— Je lui dirai, fit Falendre d’une voix qui ne tremblait pas – un miracle ! –, que tu désires toujours la rencontrer. Et que tu penses que la paix devrait régner entre nos peuples. En plus, je l’informerai que dame Anath était… une des Rejetés.

Du coin de l’œil, Falendre vit que des marath’damane poussaient Anath pour lui faire traverser le trou dans l’air. Même prisonnière, cette femme gardait un port de reine. De tout temps, elle avait tenté d’exercer un pouvoir supérieur à son statut. Était-elle vraiment ce que disait cet homme ?

Comment Falendre allait-elle se retrouver face aux der’sul’dam et expliquer cet abominable fiasco ? Elle aurait donné cher pour être ailleurs, avec un trou de souris où se cacher.

— Nous devons être en paix ! insista le Dragon Réincarné. Et je ferai en sorte que ça advienne. Dis à ta maîtresse qu’elle pourra me trouver en Arad Doman. J’y serai occupé à mettre un terme à la bataille contre vos forces. Dis-lui que je le ferai en gage de ma bonne foi – comme l’atteste aussi votre libération. Être manipulées par une Rejetée n’a rien de honteux, surtout quand il s’agit de cette… créature. En un sens, je serai plus tranquille, désormais. Je redoutais qu’un des Rejetés se soit infiltré dans la noblesse seanchanienne, et j’aurais dû deviner que c’était Semirhage. Elle adore relever les défis les plus fous.