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Dans l’odeur de Tam, Perrin capta une détermination d’acier.

— Nous verrons, dit-il. Nous verrons…

Il renvoya Tam, lui « ordonnant » de réquisitionner un chariot pour transporter les tonneaux d’eau.

Les soldats obéiraient. Après tout, si bizarre que ça parût, Tam était le premier capitaine du seigneur Perrin.

Sur le passé du père de Rand, le jeune homme savait peu de chose, à part qu’il avait participé à la guerre des Aiels. En d’autres termes, il ferraillait avant la naissance de l’homme qui lui donnait à présent des ordres.

Tous les gars étaient d’accord pour obéir à Perrin – et ils entendaient continuer. N’avaient-ils donc rien appris ?

Désireux de rester seul, le jeune seigneur s’adossa au mur, heureux de rester dans l’ombre.

En cet instant, il comprit en partie ce qui le tourmentait. Pas en totalité, mais assez pour ne pas s’étonner d’être toujours mal à l’aise, malgré le retour de Faile.

Ces derniers temps, il n’avait pas été un bon chef. Même quand Faile était là pour le guider, il ne s’était jamais montré très brillant, mais pendant son absence, il avait frôlé la nullité. Obsédé par sa femme, il avait ignoré les ordres de Rand et tout le reste.

Mais qu’aurait dû faire un homme digne de ce nom quand on enlevait sa femme ?

Au bout du compte, il l’avait sauvée, mais en abandonnant tout le monde. À cause de lui, des hommes de valeur étaient morts. Des combattants qui lui faisaient confiance.

Debout dans l’ombre, il se souvint du moment, la veille, où un allié de longue date était tombé sous les flèches des Shaido, le cœur empoisonné par Masema. Aram comptait parmi les frères d’armes qu’il avait négligés lors de sa quête pour sauver Faile. Et l’ancien Zingaro aurait mérité mieux que ça.

Je n’aurais jamais dû le laisser prendre une épée…

Certes, mais ce n’était pas le moment de penser à ça. Un luxe qu’il ne pouvait pas s’offrir, avec tant de pain sur la planche.

Il s’écarta du mur, en route pour le dernier chariot à vérifier.

— Suivant ! cria-t-il en se remettant au travail.

Aravine Carnel avança. L’Amadicienne ne portait plus sa tenue de gai’shain, mais une robe verte toute simple et pas propre récupérée dans les décombres. Bien qu’elle fût rondelette, son visage portait les stigmates de la captivité. Cela dit, sa détermination faisait plaisir à voir. Très douée pour l’organisation, elle devait avoir des ascendants nobles. Ça se sentait dans son odeur. Et dans sa façon de donner des ordres comme si elle avait fait ça toute sa vie. Un miracle que ces qualités aient survécu à la captivité.

En s’agenouillant devant une roue, Perrin s’étonna encore que Faile l’ait choisie pour superviser les réfugiés. Pourquoi pas un de ses jeunes fidèles, plutôt ? Si ces snobinards pouvaient être agaçants, ils se révélaient bien plus compétents qu’il l’aurait cru.

— Mon seigneur, fit Aravine, sa révérence pleine de grâce étayant la thèse de Perrin sur ses origines, j’ai fini de préparer les gens au départ.

— Si vite ? s’étonna Perrin en relevant les yeux de sa roue.

— C’était moins difficile que prévu, seigneur. Je leur ai ordonné de se regrouper par nationalité, puis par lieu de naissance. Sans surprise, il y a une majorité de Cairhieniens, suivie par des Altariens et des Amadiciens. Notons aussi quelques Domani et Tarabonais, et une poignée de Frontaliers et de Teariens.

— Combien sont en état de marcher un jour ou deux sans un passage dans les chariots ?

— L’immense majorité, seigneur. Les vieux et les malades ont été chassés de la ville après sa conquête par les Shaido. Ces gens sont habitués à travailler dur. Certes, ils sont épuisés, mais aucun n’a envie de traîner ici alors que d’autres Shaido campent à moins d’une demi-journée de marche.

— Parfait, dit Perrin. Qu’ils se mettent en route sur-le-champ.

— Sur-le-champ ? répéta Aravine, surprise.

— Oui. Je veux les voir sur la route, en chemin vers le nord, aussi vite que possible. Alliandre et sa garde leur ouvriront le passage.

Ce qui s’appelait faire d’une pierre deux coups. Arganda n’aurait plus de raison de râler, et les réfugiés ne traîneraient plus dans les pattes de personne. Pour la collecte des vivres, les Promises seraient bien plus efficaces. De toute façon, le passage au peigne fin se terminait.

Les brebis de Perrin devraient survivre sur les routes quelques semaines. Après, un portail les conduirait dans un pays plus sûr. Andor, peut-être. Ou le Cairhien…

Les Shaido inquiétaient Perrin. S’ils décidaient d’attaquer… Mieux valait filer et leur épargner cette tentation.

Aravine s’inclina puis fila exécuter ses ordres.

Perrin remercia la Lumière d’avoir dans ses rangs une deuxième personne qui s’abstenait de le bombarder de questions ou de mettre en doute ses consignes.

Après avoir envoyé un jeune messager informer Arganda de ses dernières décisions, il retourna à l’inspection du chariot. Quand ce fut fini, il se redressa, s’essuya les mains sur son pantalon et cria un « suivant ! » tonitruant.

Personne ne se présenta. Autour de lui, il n’y avait plus que des gardes, des messagers et des conducteurs de chariot qui attendaient d’atteler leurs bœufs et de se mettre en mouvement vers le tas de vivres et d’objets utiles que les Promises avaient érigé au milieu du camp abandonné.

Faile était là, supervisant le chargement.

Perrin envoya tout son petit monde l’aider. Ensuite, il se retrouva seul et désœuvré.

Précisément ce qu’il voulait éviter.

Le vent soufflait toujours, charriant la puanteur de la mort – et tout un lot de souvenirs.

La furie de la bataille, l’excitation liée à chaque coup… Les Aiels étaient de grands guerriers, peut-être les meilleurs du continent. L’issue de la bataille avait tenu à un fil, et Perrin avait récolté son compte de bleus et d’entailles. Depuis, on l’avait guéri, mais ça ne changeait rien.

Combattre les Aiels l’avait aidé à se sentir plus vivant. Chaque guerrier qu’il avait abattu était un maître des lances qui aurait pu avoir sa peau. Mais il avait gagné. Et pendant le massacre, il avait éprouvé une exaltation bien particulière. Celle d’agir enfin après deux mois d’attente, chaque pas le rapprochant de Faile, qu’il cherchait depuis si longtemps.

Plus de discussion ni de préparation… L’action pure et simple. Mais c’était terminé.

C’était terminé, et il se sentait vide. Comme à l’époque où son père lui avait promis un cadeau très spécial pour la Nuit de l’Hiver. Pendant des mois, il avait attendu, s’acquittant de ses corvées afin de mériter le mystérieux présent.

Devant le petit cheval de bois, il avait été euphorique un moment. Mais le lendemain, une étrange mélancolie s’était emparée de lui. Pas à cause du jouet, mais parce qu’il n’avait plus rien à attendre. L’excitation éteinte, il avait compris que l’anticipation était au fond bien plus importante que le cadeau.

Peu après, il avait commencé à aller souvent dans la forge de maître Luhhan, ne tardant pas à devenir son apprenti.

Le retour de Faile le comblait de joie, ce n’était pas discutable. Mais que lui restait-il, à présent ? Ses fichus hommes le prenaient pour leur chef, certains allant jusqu’à le considérer comme un roi. Quand avait-il demandé ça ? Chaque fois qu’ils déployaient les étendards, il leur ordonnait de les mettre en berne – jusqu’à ce que Faile l’ait convaincu que ces symboles pouvaient être utiles.