Выбрать главу

Le Dragon parlait des Rejetés avec une… familiarité qui donna des frissons glacés à Falendre.

— Vous pouvez partir, lâcha-t-il.

Puis il se détourna et traversa l’ouverture en suspension dans l’air. Falendre aurait donné cher pour que Nenci sache voyager de cette façon…

Dès que les dernières marath’damane furent passées, le trou se referma, laissant Falendre et les autres seules. Un groupe en détresse… Talha pleurait toujours et Malian semblait sur le point de vomir. La plupart des autres avaient le visage en sang avant de pouvoir se débarbouiller, et il restait des taches rouges sur leur peau et leurs vêtements. Falendre se félicita de leur avoir épargné à toutes une guérison.

Un peu plus tôt, elle avait vu des hommes guérir certains membres de l’entourage du Dragon. Quelle souillure gardait-on en soi, après un contact avec des mains si corrompues ?

— Soyez fortes ! ordonna Falendre à ses compagnes.

Avec une assurance qu’elle était loin d’éprouver. Cet homme lui avait rendu la liberté, un dénouement qu’elle n’aurait pas osé espérer. Dans ce contexte, mieux valait ne pas traîner.

Dès que tout le monde fut en selle, Falendre et ses compagnes, chaque sul’dam chevauchant à côté de sa damane, prirent la direction du sud, où les attendait Ebou Dar.

Après ce qui s’était passé aujourd’hui, Falendre risquait d’être privée de sa damane avec interdiction à vie de tenir la laisse d’un a’dam. Anath n’étant plus là, il faudrait que quelqu’un porte le chapeau. Que déciderait la Haute Dame Suroth ? Une damane morte, le Dragon Réincarné outragé…

Ne plus contrôler un a’dam était la pire punition possible pour Falendre. Quand même, nul n’oserait faire une da’covale d’une femme comme elle ? Cette seule idée fit remonter dans sa gorge l’acide accumulé dans son estomac.

Quand viendrait l’heure des explications, elle devrait être très prudente. Il devait y avoir un moyen de présenter les choses sans risquer sa peau.

Au Dragon, elle avait promis de s’adresser directement à la Fille des Neuf Lunes, et elle le ferait. Mais pas tout de suite. D’abord, elle devrait réfléchir. Profondément… et en prenant tout son temps.

Falendre se pencha sur l’encolure de son cheval puis le talonna pour qu’il prenne un peu d’avance sur les autres. Ainsi, personne ne verrait qu’elle pleurait de frustration, de douleur et de terreur.

Lieutenant général de l’armée seanchanienne, Tylee Khirgan, perchée sur son cheval au sommet d’une colline, sondait attentivement le nord. Que ce continent se révélait étrange ! Maram Kashor, son île natale, était une sorte de grand caillou à la pointe sud-est de l’Empire. Là-bas, les arbres, appelés lumma, étaient d’incroyables géants au tronc parfaitement droit. Au sommet, leur feuillage se dressait aussi fièrement que la crête de cheveux d’un membre du Haut Sang.

Ce qu’on nommait des arbres, ici, ressemblait à des arbrisseaux ratatinés et déplumés. Comme les doigts d’un vétéran, déformés après trop d’années à serrer une épée, les branches arthritiques faisaient peine à voir. Comment les indigènes appelaient-ils ces végétaux minables ? Les maîtres de la forêt ? Ridicule…

Comme il était étrange de penser que certains des ancêtres de Tylee, nés sur ce continent, étaient partis avec Luthair Paendrag pour gagner le Seanchan.

Dans une colonne de poussière, les troupes de Tylee avançaient sur la route, au pied de la colline. Des milliers et des milliers d’hommes. Moins nombreux qu’avant, mais pas de beaucoup. Depuis la bataille contre les Aiels, où le plan de Perrin Aybara avait fonctionné au-delà de toutes les espérances, plus de deux semaines s’étaient écoulées. Combattre aux côtés d’un homme pareil était toujours une expérience mitigée. Une vraie joie, parce qu’il n’y avait pas plus stimulant que le génie. Et une angoisse, à l’idée de devoir un jour l’affronter sur un champ de bataille. En matière martiale, Tylee n’était pas friande de défis. Les victoires écrasantes lui suffisaient amplement.

Selon certains généraux, ne jamais aller au feu revenait à ne pas être obligé de s’améliorer. Si on l’avait laissée faire, Tylee aurait perfectionné ses hommes pendant les manœuvres, et abandonné les massacres à ses ennemis.

Combattre Perrin ? Elle n’en avait aucune envie. Et pas seulement parce qu’elle l’aimait beaucoup.

Entendant des bruits de sabots, Tylee regarda sur sa droite et vit approcher Mishima, le dos bien droit sur son hongre clair. Son casque accroché au pommeau de sa selle, l’officier au visage couvert de cicatrices semblait inquiet. À eux deux, ils faisaient une sacrée équipe ! Et sur ses joues, Tylee arborait sa part d’anciennes blessures.

Mishima la salua – plus respectueusement, à présent qu’elle était membre du Sang. Le message qui le lui annonçait, délivré par un raken, l’avait sacrément surprise. Un véritable honneur, et du genre dont elle n’avait vraiment pas l’habitude.

— Tu songes toujours à cette bataille ? demanda Mishima.

— Exact… (Plus de deux semaines, et ça ne quittait pas son esprit.) Qu’en penses-tu ?

— D’Aybara, tu veux dire ?

Même s’il évitait de croiser son regard, Mishima parlait toujours à sa supérieure comme si elle était une amie.

— Un très bon soldat… Trop braqué sur un seul objectif, peut-être. Mais un type solide.

— Bien vu, oui… Le monde change, Mishima. Et nous ne pouvons rien anticiper. D’abord Aybara, puis toutes ces bizarreries…

Mishima hocha gravement la tête.

— Les hommes refusent d’en parler…

— Ces événements se sont produits trop souvent pour qu’il s’agisse d’illusions. Les éclaireurs voient vraiment des choses.

— D’accord, mais des hommes ne peuvent pas simplement disparaître. Tu crois que c’est l’œuvre du Pouvoir de l’Unique ?

— Je n’en sais rien…

Tylee regarda les arbres, autour d’elle. En chemin, elle avait vu des floraisons, mais sur ceux-là, il n’y avait rien. Des squelettes déplumés, alors qu’on devait être au printemps, si on en jugeait par la douceur de l’air.

— Il y a des arbres de ce genre, à Halamak ?

— Pas exactement, mais j’en ai déjà vu de semblables.

— Ils ne devraient pas avoir fleuri ?

— Générale Tylee, je suis un soldat…

— Vraiment ? Je ne m’en étais pas aperçue !

— En d’autres termes, je ne m’intéresse pas aux arbres, puisqu’ils ne saignent pas. Oui, ils devraient être en fleur – ou peut-être bien que non. Sur ce continent, presque rien n’a de sens. Pas de bourgeons au printemps, ça ne fait qu’une bizarrerie de plus. Mais je préfère ça à des marath’damane qui se comportent comme si elles étaient membres du Sang, et devant lesquelles tout le monde se prosterne.

Mishima frissonna ouvertement.

Tylee acquiesça, mais elle ne partageait pas sa répugnance. Pas complètement, en tout cas. Sur Perrin Aybara et ses Aes Sedai, elle ne savait trop que penser – et plus encore sur ses Asha’man. Quant aux arbres, elle s’en fichait au moins autant que Mishima. N’empêche, ils auraient dû bourgeonner, elle n’en démordait pas.

Et les hommes que les éclaireurs apercevaient sans cesse dans les champs, comment pouvaient-ils se volatiliser ainsi ? Le Pouvoir n’expliquait pas tout…

Le responsable de l’intendance avait ouvert un sac plein de rations de voyage… pour découvrir un gros tas de poussière. Tylee aurait voulu lancer une enquête afin de coincer un voleur ou un fichu plaisantin, mais Karm l’en avait dissuadée. Quelques minutes plus tôt, il avait vérifié le sac, ne trouvant rien d’anormal.