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Sans parler de Moridin, bien sûr…

Comme s’il suffisait que Graendal pense à lui, le Nae’blis entra. Là, on pouvait parler de beauté masculine ! Comparé à lui, Demandred ressemblait à un paysan à la trogne de travers. De plus, le nouveau corps était vraiment supérieur au précédent. Un spécimen presque assez beau pour enrichir la collection de « chiots ». Hélas, le menton gâchait presque tout. Trop proéminent et trop anguleux. Pourtant, cette tête à la chevelure noire, au-dessus de ces épaules puissantes…

Quand elle imagina Moridin vêtu d’une tunique diaphane et agenouillé devant elle, dégoulinant d’adoration, Graendal ne put retenir un sourire. Le Nae’blis déchu, l’esprit brisé par la coercition au point qu’il ne voie plus rien ni personne à part sa maîtresse…

Dès l’arrivée de Moridin, Mesaana s’était levée, et Graendal l’imita de mauvaise grâce. Pour le moment, cet homme n’était pas son chiot, mais le Nae’blis. Et ces derniers temps, il exigeait des autres Élus de plus en plus de gages d’obéissance. Son autorité, il la tenait du Grand Seigneur. Du coup, Demandred, Mesaana et Graendal inclinèrent humblement la tête. Le témoignage d’une déférence qu’ils n’auraient accordée à nul autre homme au monde.

Les yeux froids, Moridin avança vers le devant de la salle où une cheminée se découpait dans le mur de pierre noire. Avec la chaleur qui régnait dans la Flétrissure, qui avait eu l’idée de construire une forteresse noire ?

Graendal se rassit. Les Élus allaient-ils être au complet ? Dans le cas contraire, qu’est-ce que ça voulait dire ?

Mesaana parla avant que le Nae’blis ait pu ouvrir la bouche.

— Moridin, dit-elle en avançant, nous devons la secourir.

— Mesaana, tu n’es pas encore pardonnée. Jusque-là, exprime-toi seulement quand je t’y autorise.

Mesaana eut un mouvement de recul, et s’en voulut aussitôt de réagir ainsi. L’ignorant, Moridin regarda Graendal, les yeux plissés. Pourquoi la dévisageait-il ainsi ?

— Tu peux continuer, dit-il à Mesaana, mais n’oublie pas de rester à ta place.

— Moridin, dit l’alliée de Demandred sur un ton plus humble, tu as accepté de venir à cette réunion. Sans nul doute, ça prouve que tu es sous le choc, comme nous. Pour la sauver des Aes Sedai et des Asha’man, nous ne sommes pas assez puissants. Donc, nous avons besoin de toi.

— Semirhage mérite d’être prisonnière, lâcha Moridin, le dos toujours tourné à Mesaana.

Très digne, il posa une main sur le manteau de la cheminée.

Semirhage, en captivité ? Graendal venait juste d’apprendre qu’elle se faisait passer pour une Seanchanienne de très haut rang. Qu’avait-elle fait pour se retrouver en prison ? S’il était question d’Asha’man, elle devait être tombée entre les mains de Rand al’Thor.

Malgré sa surprise, Graendal continua à sourire d’un air entendu. Du coin de l’œil, Demandred la lorgna.

Si Mesaana et lui avaient demandé cette réunion, pourquoi Moridin l’avait-il convoquée aussi ?

— Oui, insista Mesaana, mais songe à tout ce que Semirhage pourrait révéler. De toute façon, c’est une Élue et nous devons l’aider.

D’autant qu’elle est la troisième pièce de votre petite alliance… Et peut-être bien la pièce maîtresse. La perdre ruinerait vos chances de prendre le contrôle des Élus.

— Elle a désobéi, rappela Moridin. Tuer al’Thor n’était pas à son programme. Essayer, du moins…

— Elle n’en avait pas l’intention, dit Mesaana. D’après le témoignage des sul’dam et des damane, elle a frappé à cause de la surprise, sans intention de tuer.

— Ton opinion sur la question, Demandred ? demanda Moridin.

— Je veux Rand al’Thor, répondit l’Élu. Semirhage le sait. Si elle avait abattu al’Thor, je l’aurais traquée sans répit avant de réclamer sa vie en échange. Personne ne tuera al’Thor. C’est ma cible !

— Ou celle du Grand Seigneur, rappela Moridin d’un ton menaçant. Sa volonté s’impose à nous tous.

— Oui, oui, c’est acquis, ça ! intervint Mesaana. (Elle avança, l’ourlet de sa robe ordinaire frôlant le sol.) Moridin, il n’en reste pas moins qu’elle n’avait pas l’intention d’abattre le Dragon, mais seulement de le capturer. Je…

— Bien sûr qu’elle voulait le capturer ! rugit Moridin. (Mesaana tressaillit.) C’était sa mission, et elle a échoué. Un véritable fiasco, en blessant le garçon, alors que je lui avais confié sa surveillance. Pour ce désastre, elle doit souffrir. Si tu veux la sauver, ce sera sans mon aide. En fait, je t’interdis de la secourir. Tu m’as bien compris ?

Mesaana frissonna de nouveau.

Pas Demandred, qui chercha le regard du Nae’blis et le soutint sans broncher. Oui, lui, c’était un dur. Au fond, Graendal l’avait peut-être sous-estimé alors qu’il était le plus puissant de l’alliance – plus dangereux que Semirhage, ce qui n’était pas peu dire. Cette dernière était froide, sans la moindre émotion, mais parfois, il fallait en avoir, justement. C’était ça qui poussait un homme comme Demandred à des actes qu’une personne plus mesurée n’aurait pas envisagés.

Baissant les yeux, Moridin fléchit sa main gauche, comme si elle était ankylosée. Sur son visage, Graendal vit passer… de la souffrance.

— Laissons Semirhage mijoter dans son jus, dit-il. Qu’elle découvre enfin ce que c’est, être de l’autre côté de la torture. Dans un futur proche, le Grand Seigneur aura peut-être besoin d’elle, mais c’est à lui d’en décider. À présent, parlez-moi de vos préparatifs.

Mesaana pâlit un peu et regarda Graendal. Demandred, lui, s’empourpra, comme s’il ne parvenait pas à croire qu’on les interrogeait en présence d’une autre Élue.

Graendal eut un grand sourire.

— Je suis totalement prête, dit Mesaana en tournant de nouveau la tête vers Moridin. La Tour Blanche et les imbéciles qui la dirigent seront très bientôt à moi. Au Grand Seigneur, je livrerai une tour dévastée et un troupeau de femmes capables de canaliser qui, d’une façon ou d’une autre, seront dans notre camp lors de l’Ultime Bataille. Cette fois, les Aes Sedai lutteront pour nous.

— Tu t’avances peut-être, lâcha Moridin.

— Non, il en sera ainsi, assura Mesaana. Mes complices infestent la tour comme une peste qui commence à ronger un homme en pleine forme, sur une place de marché. De plus en plus de sœurs me rejoignent. Certaines volontairement et d’autres non, mais ça ne fait pas de différence.

Cette tirade laissa Graendal dubitative. Aran’gar, au contraire, affirmait que les Aes Sedai rebelles finiraient par réunifier la tour. Comment savoir ce qui se passerait ? Qui gagnerait, les gamines ou les idiotes ? Au fond, est-ce que ça comptait ?

— Et toi, où en es-tu ? demanda Moridin à Demandred.

— Mon règne ne craint rien. Je me prépare à la guerre, et nous serons prêts.

Graendal aurait voulu qu’il en dise plus, mais Moridin n’insista pas. Cela dit, ça faisait bien plus d’informations qu’elle en avait glanées jusque-là. Apparemment, Demandred portait une couronne et il commandait des troupes qui se préparaient. Les Frontaliers qui traversaient l’Est ? Voilà qui semblait de plus en plus probable…

— Tous les deux, vous pouvez vous retirer, dit Moridin.

Mesaana encaissa mal qu’on la congédie. Demandred, lui, se détourna et sortit sans un mot. En le suivant des yeux, Graendal nota qu’elle devrait le surveiller de près. Le Grand Seigneur appréciait ceux qui agissaient. Lui amener des armées était souvent le meilleur moyen de se gagner ses faveurs. Du coup, Demandred devenait peut-être son rival le plus redoutable. Après Moridin, naturellement.

Le Nae’blis ne l’ayant pas renvoyée, elle resta assise pendant que les deux autres sortaient. Une main posée sur le manteau de la cheminée, Moridin ne bougea pas et ne desserra pas les lèvres. Après un long moment de silence, dans la pièce trop noire, un serviteur vêtu d’une livrée rouge moulante entra, deux gobelets à la main. Un type plutôt moche, avec un visage plat et des sourcils broussailleux. Rien qui mérite davantage qu’un bref regard.