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PROSPERO.-Ariel, tu as rempli ton devoir avec exactitude; mais tu as encore à travailler. A quel moment du jour sommes-nous?

ARIEL.-Passé l'époque du milieu.

PROSPERO.-De deux sables au moins. Il nous faut employer précieusement le temps qui nous reste entre ce moment et la sixième heure.

ARIEL.-Encore du travail! Puisque tu me donnes tant de fatigue, permets-moi de te rappeler ce que tu m'as promis et n'as pas encore accompli.

PROSPERO.-Qu'est-ce que c'est, mutin? que peux-tu me demander?

ARIEL.-Ma liberté.

PROSPERO.-Avant que le temps soit expiré? Ne m'en parle plus.

ARIEL.-Je te prie, souviens-toi que je t'ai bien servi, que je ne t'ai jamais dit de mensonge, que je n'ai jamais fait de bévue, que je t'ai obéi sans humeur ni murmure. Tu m'avais promis de me rabattre une année de mon temps.

PROSPERO.-Oublies-tu donc de quels tourments je t'ai délivré?

ARIEL.-Non.

PROSPERO.-Tu l'oublies, et tu comptes pour beaucoup de fouler la vase des abîmes salés, de courir sur le vent aigu du nord, de travailler pour moi dans les veines de la terre quand elle est durcie par la gelée.

ARIEL.-Il n'en est point ainsi, seigneur.

PROSPERO.-Tu mens, maligne créature. As-tu donc oublié l'affreuse sorcière Sycorax, que la vieillesse et l'envie avaient courbée en cerceau? l'as-tu oubliée?

ARIEL.-Non, seigneur.

PROSPERO.-Tu l'as oubliée. Où était-elle née? Parle, dis-le moi.

ARIEL.-Dans Alger, seigneur.

PROSPERO.-Oui vraiment? Je suis obligé de te rappeler une fois par mois ce que tu as été et ce que tu oublies. Sycorax, cette sorcière maudite, fut, tu le sais, bannie d'Alger pour un grand nombre de maléfices et pour des sortilèges que l'homme s'épouvanterait d'entendre. Mais pour une seule chose qu'elle avait faite, on ne voulut pas lui ôter la vie. Cela n'est-il pas vrai?

ARIEL.-Oui, seigneur.

PROSPERO.-Cette furie aux yeux bleus fut conduite ici grosse, et laissée par les matelots. Toi, mon esclave, tu la servais alors, ainsi que tu me l'as raconté toi-même: mais étant un esprit trop délicat pour exécuter ses volontés terrestres et abhorrées, comme tu te refusas à ses grandes conjurations, aidée de serviteurs plus puissants, et possédée d'une rage implacable, elle t'enferma dans un pin éclaté, dans la fente duquel tu demeuras cruellement emprisonné pendant douze ans. Dans cet intervalle, la sorcière mourut, te laissant dans cette prison, où tu poussais des gémissements aussi fréquents que les coups que frappe la roue du moulin. Excepté le fils qu'elle avait mis bas ici, animal bigarré, race de sorcière, cette île n'était alors honorée d'aucune figure humaine.

ARIEL.-Oui, Caliban, son fils.

PROSPERO.-C'est ce que je dis, imbécile; c'est lui, ce Caliban que je tiens maintenant à mon service. Tu sais mieux que personne dans quels tourments je te trouvai: tes gémissements faisaient hurler les loups, et pénétraient les entrailles des ours toujours furieux. C'était un supplice destiné aux damnés, et que Sycorax ne pouvait plus faire cesser. Ce fut mon art, lorsque j'arrivai dans ces lieux et que je t'entendis, qui força le pin de s'ouvrir et de te laisser échapper.

ARIEL.-Je te remercie, mon maître.

PROSPERO.-Si tu murmures encore, je fendrai un chêne, je te chevillerai dans ses noueuses entrailles, et t'y laisserai hurler douze hivers.

ARIEL.-Pardon, maître; je me conformerai à tes volontés, et je ferai de bonne grâce mon service d'esprit.

PROSPERO.-Tiens parole, et dans deux jours je t'affranchis.

ARIEL.-Voilà qui est dit, mon noble maître. Que dois-je faire? quoi? Dis-le moi, que dois-je faire?

PROSPERO.-Va, métamorphose-toi en nymphe de la mer; ne sois soumis qu'à ma vue et à la tienne, invisible pour tous les autres yeux. Va prendre cette forme et reviens; pars et sois prompt. (Ariel disparaît.)-Réveille-toi, ma chère enfant, réveille-toi; tu as bien dormi. Éveille-toi.

MIRANDA.-C'est votre étrange histoire qui m'a plongée dans cet assoupissement.

PROSPERO.-Secoue ces vapeurs, lève-toi, viens. Allons voir Caliban, mon esclave, qui jamais ne nous fit une réponse obligeante.

MIRANDA.-C'est un misérable, seigneur; je n'aime pas à le regarder.

PROSPERO.-Mais, tel qu'il est, nous ne pouvons nous en passer. C'est lui qui fait notre feu, qui nous porte du bois: il nous rend des services utiles.-Holà, ho! esclave! Caliban, masse de terre, entends-tu! parle.

CALIBAN, en dedans.-Il y a assez de bois ici.

PROSPERO.-Sors, te dis-je. Tu as autre chose à faire. Allons, viens, tortue; viendras-tu! (Entre Ariel sous la figure d'une nymphe des eaux.)-Jolie apparition, mon gracieux Ariel, écoute un mot à l'oreille. (Il lui parle bas.)

ARIEL.-Mon maître, cela sera fait.

(Il sort.)

PROSPERO.-Toi, esclave venimeux, que le démon lui-même a engendré à ta mère maudite, viens ici.

(Entre Caliban.)

CALIBAN.-Tombe sur vous deux le serein le plus maudit, que ma mère ait jamais ramassé avec la plume d'un corbeau sur un marais pestilentiel! Que le vent du sud-ouest souffle sur vous et vous couvre d'ampoules!

PROSPERO.-Ce souhait te vaudra cette nuit des crampes, des élancements dans les flancs qui te couperont la respiration; les lutins, pendant tout ce temps de nuit profonde où il leur est permis d'agir, s'exerceront sur toi. Tu seras pincé aussi serré que le sont les cellules de la ruche, et chaque pincement sera aussi piquant que l'abeille qui les a faites.

CALIBAN.-Il faut que je mange mon dîner. Cette île que tu me voles m'appartient par ma mère Sycorax. Lorsque tu y vins, tu me caressas d'abord et fis grand cas de moi. Tu me donnais de l'eau où tu avais mis à infuser des baies, et tu m'appris à nommer la grande et la petite lumière qui brûlent le jour et la nuit. Je t'aimais alors: aussi je te montrai toutes les qualités de l'île, les sources fraîches, les puits salés, les lieux arides et les endroits fertiles. Que je sois maudit pour l'avoir fait! Que tous les maléfices de Sycorax, crapauds, hannetons, chauves-souris, fondent sur vous! Car je suis à moi seul tous vos sujets, moi qui étais mon propre roi; et vous me donnez pour chenil ce dur rocher, tandis que vous m'enlevez le reste de mon île.

PROSPERO.-O toi le plus menteur des esclaves, toi qui n'es sensible qu'aux coups et point aux bienfaits, je t'ai traité avec les soins de l'humanité, fange que tu es, te logeant dans ma propre caverne jusqu'au jour où tu entrepris d'attenter à l'honneur de mon enfant.

CALIBAN.-O ho! ô ho! je voudrais en être venu à bout. Tu m'en empêchas: sans cela j'aurais peuplé cette île de Calibans.

PROSPERO.-Esclave abhorré, qui ne peux recevoir aucune empreinte de bonté, en même temps que tu es capable de tout mal, j'eus pitié de toi: je me donnai de la peine pour te faire parler; à toute heure je t'enseignais tantôt une chose, tantôt une autre. Sauvage, lorsque tu ne savais pas te rendre compte de ta propre pensée et ne t'exprimais que par des cris confus, comme la plus vile brute, je fournis à tes idées des mots qui les firent connaître. Mais, bien que capable d'apprendre, tu avais dans ta vile espèce des instincts qui éloignaient de toi toutes les bonnes natures. Tu fus donc avec justice confiné dans ce rocher, toi qui méritais pis qu'une prison.

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