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En revanche, il aimait particulièrement l'aurôme mâle, « une herbe superbe sous l'influence de Mercure et digne de plus d'estime qu'on ne lui en accorde ». Car les astres et leurs pouvoirs étaient aussi enfermés dans ces boîtes. Il professait qu'un morceau de cuivre, un brin de verveine, une colombe sont « vénusiens ». Et à propos du chardon béni :

– C'est une herbe de Mars qui, sous le signe d'Ariès, guérit les maladies vénériennes, par antipathie pour Vénus qui les gouverne. J'en vends beaucoup aux gens des navires. Ils viennent en chercher sous prétexte qu'ils ont la peste à bord, mais je sais ce que cela veut dire...

Avec cela, redevenant soudain authentiquement savant, il donnait un nom latin à presque toutes les herbes de sa connaissance, et elle trouva parmi ses grimoires, au fond d'un vieux coffre, un exemplaire du livre Herbarum virtutibus, de Aemilius Maces, et un autre du remarquable « Regimen sanitatis salerno »... des trésors !

Deux jours passèrent ainsi. Ils étaient là, quasi naufragés, dans l'incertitude de leur sort. Vers le sud-ouest, lorsqu'il faisait clair, se devinait la ligne incurvée de la côte. De là s'élevaient des houppes grises, lentement diluées dans l'atmosphère à la douceur trouble qui règne sur la baie, bleue et rose et laiteuse. Une fine porcelaine...

Ces taches grises trahissaient les incendies allumés par les torches indiennes...

Freeport, Yarmouth et tous les hameaux environnants brûlaient. Portland était menacé. Tout cela fort lointain. Trop lointain pour qu'on pût deviner le grouillement des fuites éperdues à travers le golfe. Les voiles aux longs déplacements naissaient et s'effaçaient, et n'étaient qu'un vol blanc de plus mêlé à ceux incessants des mouettes, des cormorans et des pétrels. Il y avait tant d'oiseaux ici que, malgré la lumière éclatante de juin, on se trouvait à tout instant plongé dans une sorte de crépuscule par le passage de milliers d'ailes traversant le ciel en nappes, en rideaux et qu'attiraient les bancs de morues, de harengs, de thons, de maquereaux venus frayer dans ces eaux de la grande baie du Massachusetts qui est comme une corne d'abondance ouverte d'une part à l'Atlantique et close à l'autre bout par la riche et terrible Baie Française11, aux marées gigantesques. Le troisième jour de leur présence à la pointe de Maquoit, Cantor dit à sa mère :

– Si demain aucun navire, aucune barque ne jette l'ancre dans ce coin maudit, je m'en vais à pied. Je vais suivre la côte en marchant vers l'est. En me cachant des sauvages, en trouvant un canoë par-ci par-là, pour franchir les passes et les deltas, je finirai bien par atteindre Gouldsboro. Seul, j'attirerai moins l'attention que si nous étions en caravane.

– Ne te faudra-t-il pas des jours et des jours pour mener à bien une telle expédition ?

– Je marche aussi vite qu'un Indien.

Elle approuva son projet. Bien qu'elle ressentît une profonde appréhension à la pensée de le voir s'éloigner. Sa jeunesse vigoureuse, déjà pliée aux contingences insolites de la vie américaine, lui était un réconfort.

Mais il fallait faire quelque chose. On ne pouvait pas rester ainsi indéfiniment à attendre un problématique secours.

Ce soir encore, elle poursuivait son guet, favorisé par la clarté du crépuscule. Les oiseaux criards s'abattaient aux estuaires des fleuves. La brume ouatée, impalpable, se dissipait.

La baie de Casco s'endormait dans une sérénité éblouissante. La mer, plaquée d'or, présentait comme des joyaux ses îles aux reflets de topaze brûlée, bleu de soufre, noir de jais. Il y en avait trois cent soixante-cinq, disait-on, autant que de jours de l'année.

La clarté baissait encore. L'or se ternissait. La mer devenait d'un blanc blafard et glacé, tandis que peu à peu la terre et ses méandres s'anéantissaient dans une ombre opaque. L'odeur du golfe montait jusqu'à eux, drainé par un vent rêche. Le paysage était de bronze et d'airain.

Vers l'est, à la pointe de Harpwells, juste après que le soleil eut disparu, Angélique aperçut un navire. On l'eût dit d'or dans la dernière lueur que lança l'astre du jour. Presque aussitôt elle ne le vit plus.

– N'avait-il pas un tibia géant à la proue ? cria le vieux medecin's man. Je parierais qu'il abaissait les voiles, préparant le retour au port. Je le connais. C'est le navire fantôme qui surgit au bout de Harpwells lorsqu'un malheur est en route pour celui – ou celle –qui l'aperçoit. Et le port où il s'apprête à pénétrer, c'est la Mort...

– Il n'abaissait nullement ses voiles, répliqua Angélique, irritée. Le jeune Cantor, la voyant presque bouleversée par les paroles du vieux magicien, lui jeta un clin d'œil complice et rassurant.

Troisième partie

Le navire des pirates

Chapitre 1

Le lendemain de cette soirée, dès les premières heures, Angélique, ne pouvant dormir, descendit ramasser des coquillages parmi les rochers que dénudait la marée basse. Sur une plage proche, la colonie des loups-marins s'agitait et poussait des clameurs déchirantes qui éveillaient l'écho des criques.

La jeune femme vint les observer. À l'accoutumée, c'étaient des animaux paisibles. Gauches et lourdauds à terre, leurs corps sombres et luisants étaient, dans l'étincellement des vagues au couchant, d'une souplesse charmante.

Ce matin-là, en s'approchant, elle découvrit la cause de leur turbulence. Deux ou trois phoques gisaient sur le flanc, morts, déjà couverts par l'ombre tournoyante et jacassante des oiseaux de mer. Ils avaient été assommés brutalement. Parmi leurs congénères, les grands mâles, les maîtres de plage essayaient d'écarter avec colère la gent emplumée et vorace.

Devant ce tableau, Angélique ressentit un sursaut d'alerte, le massacre était l'œuvre d'humains. Des hommes étaient donc venus...

Et ce n'était pas des Indiens, car ceux-ci ne pratiquent la chasse au loup-marin qu'en janvier, l'hiver.

Le regard d'Angélique erra sur la crique. Un navire, sans doute le vaisseau fantôme, avait mouillé là, cette nuit, dans l'ombre brumeuse.

Elle remonta.

Le soleil ne surgissait pas encore, caché par une barrière de nuages sur l'horizon. Le matin restait d'un bleu originel, pur et calme.

Alors, dans la fraîcheur de l'air, elle perçut l'odeur d'un feu d'herbes, différente de celle de la fumée qui s'échappait de la petite cheminée de cailloux, au-dessus de la cabane. D'un pas léger et rapide, se glissant d'instinct derrière les buissons et les troncs de la pinède, elle suivit le bord de la langue de terre au-dessus du fjord.

L'odeur de fumée, une fumée de bois vert et d'herbes humides, se fit plus dense. En se penchant entre les arbres, Angélique aperçut la pointe d'un mât avec sa voile en quenouille. Une embarcation était à l'ancre, cachée par l'un des méandres du long couloir d'eau qui s'enfonçait à l'intérieur des terres.

D'en bas, gonflant ses volutes paresseuses, la fumée montait bleue et opaque, amenant avec elle un murmure de voix.

Angélique s'allongea à terre et s'avança jusqu'au rebord de la faille. Mais elle ne put apercevoir ceux qui bivouaquaient en dessous, sur l'étroite bande de gravier, rongée d'algues. Leurs voix seulement se firent plus proches. Des mots français et portugais. Voix rudes et grossières.

En revanche, elle découvrit entièrement le bateau qui n'était, en fait, qu'une simple barque, une chaloupe.

Chapitre 2

Revenue à la cabane, elle fit rentrer les enfants qui, remis de leur fatigue, commençaient à s'ébattre en se lançant une petite balle de crin.

– Il y a des hommes qui boucanent là-bas, dans la crique. Ils ont une barque où nous pourrions trouver place, au moins huit à dix. Mais je ne suis pas certaine que ces hommes nous offriront passage généreusement.