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Chapitre 4

Entourée de buissons fleuris qui lui faisaient comme un reposoir, c'était une jolie construction de bois, façonnée par un artisan habile. On savait de notoriété publique que le père jésuite l'avait bâtie de ses mains.

Un campanile surmontait le corps de maison principal et la cloche d'argent y frémissait encore. Dans le silence, Joffrey de Peyrac s'avança et poussa la porte. Et presque tout de suite ils furent éblouis par une mouvante et vive lumière. Plantés sur quatre torchères d'argent à plateaux ronds, des fagots de chandelles allumées brasillaient avec un chuchotement léger qui donnait l'impression de présences dissimulées. Mais il n'y avait personne à l'intérieur, à part ces vivantes chandelles d'une douce couleur verte qui repoussaient toutes les ombres.

Les torchères par deux étaient plantées de chaque côté du maître-autel. Joffrey de Peyrac et Angélique s'approchèrent.

Au-dessus de leurs têtes, une lampe brillait de vermeil ajouré que doublait une verrerie pourpre. Elle contenait un peu d'huile où trempait une mèche allumée.

– Les Saintes Espèces sont présentes, murmura Angélique en se signant. Le comte se découvrit et inclina le front. Une senteur odoriférante s'exhalait dans la chaleur brûlante des cierges.

Des deux côtés du maître-autel, des chapes et des chasubles exposées et tendues étincelaient de tous leurs ors et leurs soies et de leurs visages de saints et d'anges brodés, hiératiques et somptueux : « Les robes de lumière », comme les appelaient les Indiens, qui les jalousaient aux prêtres.

La bannière était là et ils la virent pour la première fois telle qu'on leur avait déjà décrite, tachée du sang des Anglais, avec ses quatre cœurs rouges à chaque coin et le glaive en travers de la soie blanche, et souillée par les combats. Les très beaux vases sacrés, corporals brodés d'argent, reliquaires, étaient exposés auprès du tabernacle, au-dessus duquel se dressait une magnifique croix d'argent processionnaire. Le reliquaire était une pièce ancienne offerte par la reine mère. Ce coffret en cristal de roche fatimide était monté de six bandes d'or où alternaient perles et rubis. On le disait contenir une écharde d'une des flèches ayant tué saint Sébastien au 5e siècle. Sur la pierre d'autel était exposé un objet qu'ils distinguaient mal. Ils s'approchèrent et ils virent.

C'était un mousquet.

Long, luisant, bel objet de guerre, il était posé là. En offrande, en hommage. En déclaration catégorique.

Ils eurent le même tressaillement. Il leur semblait entendre la prière qu'avait prononcée ici même tant de fois celui à qui appartenait cette arme :

« Accepte en expiation de nos péchés le sang répandu pour toi, Seigneur...

« Le sang impur de l'hérétique.

« Le sang de l'Indien sacrifié.

« Le sang enfin de mes blessures pour toi répandu. Pour ta gloire, pour ta plus grande gloire...

« Accepte les labeurs et les fatigues de la guerre, pour Toi, Seigneur, pour faire régner la Justice, pour effacer Tes ennemis de la surface de la terre, pour écraser l'idolâtre qui Te méconnaît, l'hérétique qui te bafoue, l'indifférent qui t'ignore. Que seuls ceux qui Te servent aient le droit de vivre. Que seul Ton règne arrive. Que seul Ton nom soit vénéré !

« Moi, ton serviteur, je prendrai les armes et j'exposerai ma vie pour Ton triomphe, car Toi seul m'importe. »

Cette prière passionnée et violente, ils l'entendaient au fond de leur cœur et elle leur était perceptible au point qu'Angélique sentit une peur d'une espèce particulière s'insinuer en elle. Elle « le » comprenait. Elle comprenait parfaitement que Dieu fût pour cet homme comme le Seul.

Se battre pour sa propre vie ?... quelle dérision ! Pour conserver des biens ?... quelle mesquinerie !

Mais pour Dieu ! quelle mort et quel enjeu !...

Le sang des Croisés, ses ancêtres, lui remonta au cœur par bouffées. Elle comprenait à quelle source se désaltérait et s'alimentait tour à tour la soif de martyre et de sacrifice de celui qui avait déposé là cette arme.

Elle l'imaginait le front incliné et les yeux clos, loin, détaché de son misérable corps mortifié. Là, il avait offert tous les labeurs de la guerre, les fatigues de la bataille, celles des massacres, qui laissent les bras rompus d'avoir trop frappé, les lèvres sèches de ne pas avoir repris souffle dans la mêlée, il avait offert la joie des triomphes, les prières de la victoire, le sacrifice de l'orgueil abandonnant aux anges et aux saints le mérite d'avoir rendu prompts et vaillants les bras des guerriers...

« Mousquet de la guerre Sainte, fidèle serviteur, veille aux pieds du Roi des Rois, en attendant l'heure de tonner pour lui !

« Arme bénie, sanctifiée, bénie, bénie mille fois, belle pour l'honneur de Celui que tu sers et que tu défends, veille, prie et que ceux qui te contemplent ne prévalent pas contre toi.

« Que ceux qui te contemplent aujourd'hui comprennent ton symbole et le message que je leur crie pour toi !... »

L'angoisse serra la gorge d'Angélique.

« C'est terrible, songea-t-elle. Lui, il a les anges et les saints avec lui, tandis que nous... »

Elle jeta un regard éperdu vers l'homme qui se tenait à ses côtés, son époux, et déjà la réponse se levait en son cœur :

– Nous... nous avons l'Amour et la Vie...

Sur la face de Joffrey de Peyrac – l'aventurier, le réprouvé – les lueurs tressautantes des cierges réveillaient d'apparentes expressions d'amertume et de moquerie. Pourtant, il était, en cet instant, impassible. Il ne voulait pas effrayer Angélique, donner à l'incident sa mesure exacte et mystique. Mais lui aussi avait compris le message de l'arme exposée.

« Une telle puissance ! Un tel aveu !... Entre vous et moi, à jamais, la destruction.

« Entre lui, le solitaire, et eux, les privilégiés de l'amour, la guerre... La guerre à jamais ! »

Et sans doute, là-bas dans la forêt, abîmé le front contre terre, les voyait-il exactement au fond de lui-même, le prêtre guerrier, le jésuite, les voyait-il, ceux qui avaient choisi les délices de ce monde, ce couple debout en face du signe de la croix, tels qu'ils étaient, leurs mains proches et prêtes à se saisir, et qui se saisissaient en effet, en silence...

*****

La main chaude de Peyrac enserra les doigts froids d'Angélique. Une fois encore, il s'inclina avec respect devant le tabernacle, puis lentement il recula, il l'entraîna hors de la chapelle brasillante et parfumée, barbare et mystique, brûlante, ardente...

Au-dehors, ils durent s'arrêter pour reprendre pied dans le jour différent, pour réintégrer le monde avec son soleil blanc, son bourdonnement d'insectes, ses odeurs de village. Les Espagnols continuaient d'être inquiets, en alerte...

« Où est-il ? songeait Angélique, où est-il ? »

Elle le cherchait par-delà les haies et les arbres tremblants, submergés de chaleur, pâlis d'une fine poussière dansante.

*****

D'un geste, le comte de Peyrac indiqua à sa compagnie d'avoir à reprendre le chemin du retour.

À mi-chemin, une pluie légère se mit à tomber, faisant murmurer la forêt.

À ce murmure, le battement d'un tambour vint se joindre, lancinant et lointain. Ils hâtèrent le pas.

Lorsqu'ils parvinrent aux barques, le fleuve crépitait sous la subite averse et les rives s'étaient effacées.