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— La pire de toutes mais je n’utiliserai pas ces informations.

— Pourquoi ?

— Je ne ferai pas ça à mon fils.

— Il est trop jeune pour assister aux débats. Il ne saura jamais ce qui s’est dit.

— Sa mère lui montrera le jugement dès qu’il aura l’âge de comprendre. Et même avant. Je refuse de donner à Thaddée une mauvaise image de sa mère. Je ne veux pas non plus qu’il puisse penser que je me suis acharné contre elle.

— Alors, ce n’est même pas la peine de continuer.

— C’est comme ça que vous faites votre métier ? En partant battue ?

Karine Janaud se leva et ouvrit la fenêtre. Tranquillement, elle alluma une cigarette avant de se rasseoir. Elle était belle, méprisante, désirable.

— Faut-il vous rappeler la situation ? reprit-elle. Votre femme a fui avec votre enfant, prétextant que vous étiez violent, plainte à l’appui, en janvier 2016. Maintenant que vous divorcez, vous demandez la garde principale de votre fils de 9 ans. Vous n’avez absolument aucune chance de l’obtenir.

— Sa plainte était bidon. On peut inverser le point de vue et dire qu’elle a abandonné le domicile conjugal…

— Peu importe, fit-elle en soufflant une nouvelle volute. Le problème est que vous êtes le père. Même pour la garde alternée, il faudra mener une bataille serrée.

— On m’a dit que les juges étaient maintenant plus favorables aux pères.

— Faux. Tant que l’enfant est petit, la plupart des magistrats estiment qu’il doit rester auprès de sa mère. Même si elle travaille, même si elle ne dispose pas de plus de temps que son ex pour s’en occuper. Et pour dire la vérité, même si elle a des torts objectifs. Une mère aura toujours raison contre le père. On appelle ça « la loi du ventre ».

Corso s’agita sur son fauteuil — Janaud disait tout haut ce qu’une petite voix lui murmurait depuis le départ. Par la fenêtre ouverte, des bruits de travaux pénétraient dans la pièce.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ?

— Je vous le répète : la traîner dans la boue. Démontrer qu’elle est une mauvaise mère et qu’il y a mise en danger de l’enfant.

— Non.

— Dans ce cas, on va dans le mur.

— On peut démontrer mes qualités de père, non ?

— Dans ce genre d’affaires, les décisions ne se prennent pas en regardant la colonne profits mais celle des débits. Toute l’année, les juges voient défiler des hommes et des femmes qui se traitent de tous les noms et s’accusent mutuellement des pires horreurs. Si vous ne jouez pas ce jeu-là, le magistrat pensera que, pour une fois, votre future ex dit la vérité et qu’en revanche vous n’avez rien contre elle.

Elle se leva à nouveau, balança sa cigarette d’une pichenette puis referma la fenêtre.

— Voyons déjà comment on peut vous défendre…, continua-t-elle en se rasseyant. Mme Corso affirme que vous l’avez trompée plusieurs fois…

— Elle ment.

— Vous pouvez le prouver ?

— C’est elle qui ne peut pas le prouver. Elle m’accuse sans fondement. C’est trop facile.

L’avocat sourit — son rouge à lèvres évoquait une encre épaisse et brillante, miraculeusement retenue au bord des commissures.

— J’ai l’impression que vous n’avez pas conscience du profil de Mme Corso.

— Je la connais mieux que personne.

— Je parle de la vitrine. Émiliya Corso a un parcours professionnel exemplaire. Elle a décroché ses diplômes dans une langue qui n’était pas la sienne. Naturalisée française, elle a été en poste au ministère de l’Agriculture, puis au ministère des Affaires sociales. Elle est maintenant la numéro deux du secrétariat d’État auprès de la ministre de l’Éducation. Elle ira sans doute plus loin encore.

— Et alors ?

— Et alors, vous êtes un simple commandant de police.

— Un des meilleurs flics du 36 !

Maître Janaud posa ses mains à plat sur la surface de cuir vert bouteille. Ses ongles manucurés rappelaient la carapace d’un crustacé sanglant. À quelle heure cette femme trouvait-elle le temps de se pomponner ? Avait-elle des mômes ? un mari ? Le jour où elle divorcerait, qui la pulvériserait, elle ?

— Vos qualités professionnelles ne sont pas remises en cause, Stéphane, se radoucit-elle, mais vos états de service jouent, comment dire, contre vous…

— Ben voyons.

— Après plusieurs années dans des commissariats, vous avez travaillé à la BRI, à la BRP, puis à la Brigade des Stups, ce qui signifie que vous avez passé le plus clair de votre temps avec des voyous, des pervers et des dealers.

— Pas avec eux, contre eux.

— C’est la même chose. Vous évoluez dans un univers toxique. Maintenant, à la Brigade criminelle, c’est encore pire. Vous avez affaire à des assassins toute la journée.

Corso se rencogna dans son siège à la manière d’un cancre qui refuse de parler à son prof. Cette dernière phrase lui confirmait ce qu’il avait toujours pensé : les flics sont là pour vidanger les égouts de la société et assurer la quiétude des honnêtes gens. Tâche noble qui leur vaut de devenir à leur tour des parias. Aux yeux de tous, il existe une secrète parenté entre flics et criminels, un air de famille.

— Vous êtes là pour m’accabler ou quoi ?

— Je me mets à la place du juge. Il est normal qu’on passe au crible ce que vous êtes, ce que vous faites.

— On parle de mon rôle de père, là, je fais mon maximum et…

— Au dire de Mme Corso, vous n’êtes jamais là, vos horaires sont impossibles.

— C’est faux. Je reviens toujours en fin de journée pour voir Thaddée et dîner avec lui.

L’avocate rit, presque avec tendresse.

— Personne ne croira ça. Les voyous ne travaillent pas à heures fixes.

— À la BC, j’ai des horaires plus réguliers. Je ne fais plus de planques ni de saute-dessus.

— Mme Corso dit que vous buvez.

— Un verre de temps en temps. Rien d’autre que la normale.

— Elle prétend aussi que vous vous droguez.

Corso tressaillit : son passé d’addict, le meurtre de Mama, les NA.

— Faux.

— Vraiment ? cingla-t-elle. Même pas une petite ligne par-ci, par-là ?

— J’ai bossé aux Stups. Quand on planque des nuits entières pour coincer des trafiquants, on a parfois besoin d’un remontant. Tout ça est derrière moi.

Janaud tourna une nouvelle page — elle aussi avait surligné des passages.

— Elle dit que vous êtes armé et dangereux.

— Si je suis armé, c’est pour protéger les innocents.

— Vous avez tué cinq fois. L’avocate s’est procuré les procès-verbaux de vos faits d’armes. Ce sont les pièces 33, 34, 35, 47 et 63. Je dois dire qu’elle a fait du beau boulot.

Sept fois, ma cocotte. Corso revit en flash le lascar fauché dans le parking, roulant au fond du coffre. Le crâne du deuxième explosant contre le mur, laissant jaillir la fumée du tir par ses lèvres entrouvertes.

— Toujours dans l’exercice de mes fonctions, répliqua-t-il. C’était eux ou moi. Et il s’agissait d’assassins de la pire espèce.

— Elle vous reproche aussi d’être un homme violent.

— Encore un mensonge. Jamais je ne lèverais la main sur qui que ce soit.

— Son avocate a joint au dossier des plaintes de suspects qui…

— Des pures raclures ! Putain, avez-vous une idée des mecs à qui j’ai affaire au quotidien ? Qu’est-ce que vous croyez ? Que ce sont des gars à qui il suffit de parler gentiment pour qu’ils se mettent à table ? La rue, c’est la guerre. Ma violence est d’utilité publique. Mais dans ma vie privée, je suis inoffensif.