Выбрать главу

— Je me suis dit que si par hasard ces types remontaient une nouvelle affaire, ils refourgueraient leur présentation à deux balles. J’ai mené une recherche inversée en partant de ces phrases, avec les fautes d’orthographe. Les bases de données m’ont proposé en retour une SARL datant de 2015 : OPA.

— Ils ont un site ?

— Que dalle et, hormis ce texte foireux, pas la moindre info sur le Net. Mais j’ai appelé des geeks que je connais et j’ai réussi à obtenir des infos. En réalité, ce ne sont pas des prestataires de services. Les seules données qu’ils encodent, ce sont leurs propres films.

— Quel genre de films ?

— Du porno. Et j’ajouterais même le mot magique : du gonzo.

La tendance s’était développée dans les années 90 et avait depuis inondé le marché au point d’y régner en maître. Le nom dérivait du « journalisme gonzo » des années 70, où le journaliste s’immergeait totalement dans son sujet, devenant un des protagonistes de son reportage.

Dans le porno, cela donnait un « réalisateur » filmant ses propres ébats, caméra à l’épaule, avec son propre pénis en guest-star. Pas de décor, pas de scénario, aucun moyen : juste du gros sexe qui tache. Bon marché, mal filmé, mettant en scène votre voisine de palier, le gonzo, le « wall-to-wall », le « tout-sexe », avait fait recette grâce à un mélange malsain de banalité et de hardcore extrême.

— Nina a donc fait, au moins deux fois dans sa vie, du gonzo ?

— On peut tabler là-dessus. Et c’est peut-être seulement la pointe émergée de l’iceberg.

Une strip-teaseuse faisant du porno, ce n’était pas le scoop du siècle, mais Bornek n’avait pas repéré ce filon.

— Tes potes, ils ont déjà vu ces films ?

— Non. Mais ils les connaissent de réputation. À cause de leur cryptage de très haut niveau.

— Ces images sont plus connues pour leur code que pour leur contenu ?

— On peut dire ça comme ça, oui.

— Pourquoi crypter des films qu’on peut consulter en un seul clic sur le Net ?

— Pas ceux-là, justement. Pour les voir, il faut s’abonner à un site anonyme. Dans un monde où tout est accessible, interdire, c’est rallumer le désir.

— Une fois décryptés, ces films doivent aussitôt se retrouver en ligne, non ?

— Non. Le programme bloque toute copie, empêche tout transfert. Dans ce cas, même celui qui a payé perd le film.

Tant de précautions étaient faites pour attiser la curiosité, en effet.

— Sur ces films, qu’est-ce qu’on sait ?

— Il paraît que c’est très, très spécial.

— Illégal ?

Barbie eut un geste vague. Le champ de la légalité dans le domaine du porno était extensible — les acteurs signaient toujours un consentement qui, la plupart du temps, coupait court à toute poursuite.

La fliquette ouvrit un dossier : elle avait déjà réussi à imprimer des pages de tags provenant du site. Le flic lisait à l’envers mais les mots-clés promettaient : « amputee », « dwarf », « glory hole » (un terme qui désigne une pratique très spéciale : un trou dans un mur, de préférence dans des chiottes, dans lequel n’importe quel homme peut glisser son membre. De l’autre côté, une femme s’y colle).

— Toujours d’après mes potes, reprit Barbie, il y aurait derrière ces boîtes une sorte de gourou, un dénommé Akhtar Noor, qui s’est d’abord fait connaître dans les années 90 en commercialisant un lubrifiant très apprécié chez les homos durs.

— Il est devenu ensuite producteur ?

— Si on veut. Il a d’abord balancé sur le Net des films de « goo girls ».

Un autre terme pour connaisseurs : les « filles visqueuses ». Des pratiques acrobatiques dont on se demandait souvent par quel bout les observer.

— Puis il a inventé un nouveau genre. Lui-même appelle ça du « bio gonzo » ou du « porno organique ». Mais depuis qu’il s’est converti à l’hypercrypté, il faut être membre du club pour voir ses films. À mon avis, c’est le sens des initiales « OP » — organic porn. Quant au A, il désigne peut-être simplement Akhtar.

— Le bonhomme a un casier ?

— Non. Il est d’origine pakistanaise ou bengalie, on sait pas trop. On le retrouve parfois sous les patronymes de « Sarfraz » ou de « Bukhari ». Son statut en France n’est pas très clair non plus. Il a monté toutes ces boîtes en utilisant des prête-noms. Aujourd’hui, il dirige une espèce de communauté où tous les goûts sont permis. Lui-même mélange le gonzo et le tantrisme dans une sauce fumeuse pour aboutir, comme d’habitude, à du cul extrême.

Nina n’avait pas seulement tourné quelques boulards, elle adhérait peut-être aussi à ces idées libertaires. L’association « naturisme/strip-tease » avait très bien pu se transformer en « tantrisme/gonzo ».

— Barbie, t’es la meilleure, conclut-il en se relevant. Où on trouve l’oiseau ?

— Son quartier général est rue de Paradis. Je t’envoie l’adresse.

— Je vais le transformer en kebab.

13

En se garant, Corso se jura de ne la jouer ni puritain ni justicier auprès du pornographe. Il ignorait encore ce qu’était le « porno organique » mais dans tous les cas, il en avait vu d’autres. Durant ses années à la BRP — jadis appelée « Brigade des mœurs » —, rien ne lui avait été épargné : les descentes sur des lieux de tournage où la moitié du casting était des animaux, les DVD raflés que ses collègues regardaient avec incrédulité : deux hommes se serrant la main à l’intérieur d’un vagin, une actrice X battant le record du gang bang en se faisant pénétrer près de mille fois en une journée, une autre championne capable de supporter vaillamment une « triple péné », mais attention : anale uniquement…

Il avait chassé ces souvenirs, il avait viré Émiliya de son existence, qui dans un autre genre multipliait aussi les records. Il aspirait juste au calme, à la quiétude, à la raison…

Les bureaux d’OPA se situaient dans un de ces immeubles décrépits à cour intérieure qui avaient jadis accueilli des cristalleries ou des manufactures de porcelaine. Bien sûr, aucune plaque ni mention de la société de cryptage au rez-de-chaussée, mais Barbie lui avait donné la localisation précise : deuxième étage gauche.

Corso se coula dans l’ombre de la cage d’escalier où trônait un énorme monte-charge à grille latérale et gravit les marches sans allumer. Au deuxième, il sonna un coup bref — pour l’instant, il n’était qu’un visiteur. Une minute s’écoula sans que rien bouge. Il sonna à nouveau. Deux minutes. Apparemment personne. Il était 15 heures. Peut-être qu’Akhtar était en vadrouille. Mais son instinct lui soufflait d’attendre encore un peu.

Enfin, un petit homme à la peau très noire et aux cheveux lisses apparut sur le seuil. Pieds nus, vêtu d’une tunique blanche et d’un pantalon de pyjama, il se détachait comme un fantôme sur l’obscurité de l’intérieur. Visiblement, on vivait ici les volets clos.

— Monsieur Akhtar Noor ?

L’homme se mit à dodeliner de la tête à l’indienne. Corso montra son badge.

— Je peux entrer ?

Akhtar s’effaça pour le laisser passer. Corso le vit de plus près — peau fripée, cheveux gominés mais dépeignés : le gourou se réveillait de sa sieste.

Une grande pièce se déployait dans l’ombre, décorée à l’orientale : tapis au sol, tentures aux murs, meubles sans pieds, comme pour vivre exclusivement le cul par terre. Une forte odeur de curry et d’épices planait.