— Non.
— Pas de déchirures anales, de fissures vaginales ?
— Je vous dis que je n’ai rien noté.
— Et vous n’avez pas procédé à des examens concernant les IST ?
Le toubib explosa :
— Le corps que j’ai autopsié était lacéré, fracturé, défiguré, et vous auriez voulu que je vérifie si la victime avait des chlamydiae ? Vous vous foutez de ma gueule ?
— Merci docteur.
À la hauteur de la Défense, Corso songea une nouvelle fois à la fusillade de Nanterre. Deux morts la veille, la corrida avec l’Indien aujourd’hui. La violence était comme une mauvaise grippe dont il ne parvenait pas à se débarrasser.
L’interminable tunnel de la Défense filait sous la banlieue ouest. Une sorte d’Eurostar qui passerait sous les flots noirs de sa jeunesse. À cet instant, son portable sonna de nouveau. Stock et Ludo sur zone : le déménagement avait commencé. Tout le matos allait être transféré dans un entrepôt près de Bercy où la BC avait l’habitude de stocker le produit de ses perquises. Là, les geeks de la SDLC (Sous-direction de lutte contre la cybercriminalité) s’occuperaient de révéler le musée des horreurs d’Akhtar Noor.
— Pour l’inculpation, demanda Stock, j’mets quoi ?
— Mate quelques films, tu trouveras vite. Rendez-vous au 36 dans deux heures.
Quand il sortit du tunnel, il découvrit une nouvelle planète. Maintenant, il roulait sur une large avenue cernée d’arbres souverains, de bâtiments de verre et de villas hautaines.
Après avoir traversé la Seine, la D186 l’amena droit à sa destination, avenue Émile-Thiébaut. Le lieu du tournage était une maison à colombages abritée derrière des grilles pleines et des marronniers chatoyants.
Pour ne pas casser l’ambiance, Corso avait décidé de se présenter comme un ami d’Akhtar. Il voulait respirer l’esprit du « club », approcher en douceur Mike, alias Freud.
Un culturiste aux oreilles décollées vint lui ouvrir la grille. Le nom d’Akhtar déclencha une batterie de questions. Corso essaya de la jouer fine en évoquant les différentes performances aperçues dans les premières séquences chez le gourou indien. Aucun effet.
Pour couper court à cette conversation en forme d’impasse, il proposa qu’on appelle Akhtar himself.
— C’est quoi ton nom ? demanda Musclor.
— Corso.
L’autre pressa son écran. C’était quitte ou double : Corso avait donné le portable de l’Indien aux bleus, qui devaient déjà l’avoir refilé à son équipe… Soit l’appareil traînait au fond d’un sac à scellés et personne ne répondrait, soit il était aux mains de ses gars et il fallait espérer qu’Akhtar soit encore dans les parages. Dans ce cas, il y avait une chance pour qu’on fasse répondre le suspect, sur haut-parleur, le canon sur la tempe…
Corso perçut les sonneries au fond de l’oreille du cerbère. Il observait le logo sur son polo Lacoste mauve — les mâchoires du petit crocodile, écartelées par ses pecs, lui donnaient l’air de s’esclaffer.
La deuxième hypothèse l’emporta. Akhtar répondit, donna son feu vert, et Corso put entrer dans le saint des saints. Une allée de gravier, des sculptures abstraites au milieu des pelouses, des baies vitrées voilées de lin blanc.
Sur le seuil de la baraque, Musclor ordonna :
— Retire tes pompes.
C’était une manie dans le milieu. Corso s’exécuta puis suivit son guide à travers un dédale de pièces qui semblaient meublées par Mies van der Rohe en personne.
Il avait déjà assisté à des tournages porno. En général, l’ambiance y est bon enfant : les hardeurs à poil discutent famille, football ou voitures tout en se masturbant, pendant qu’on vérifie leurs tests HIV et qu’on règle les lumières.
Là, c’était autre chose. Les troupes d’Akhtar donnaient dans le grave, l’ésotérique. Une pièce tapissée de livres où trônait un billard français avait été transformée en loges. Les acteurs — hommes et femmes — s’y concentraient en silence. Tous nus, tous tondus, ils évoquaient des patients prêts à subir de sérieuses interventions chirurgicales.
— Attends ici, fit l’athlète avant de disparaître.
Corso essaya de se faire discret. Dans cette forêt de corps blancs, de bites turgescentes, de crânes astiqués, il se faisait l’effet d’un pervers indésirable.
Certains hommes avaient un mécanisme bizarre fixé autour de la queue, une sorte de pompe hydraulique qu’ils actionnaient d’un geste expert. Des femmes, cuisses grandes ouvertes, s’enduisaient la fente de crème ou faisaient le grand écart, prenant appui contre le billard. Sur une table, il repéra les substances habituelles — produits érectiles, lubrifiants, lavements… — , mais si nombreux qu’on aurait dit une pharmacie par temps de guerre.
Il n’était pas le seul habillé. Un petit athlète, portant un survêtement de velours bleu nuit et un stéthoscope autour du cou, s’activait autour des actrices. Sans un mot, il pratiquait des injections rapides, presque furtives, virevoltait de l’une à l’autre. Sans aucun doute des anesthésies locales en vue des performances à venir.
Enfin, un homme en tunique blanche — identique à celle d’Akhtar — entra dans la pièce et se dirigea droit vers Corso.
— Tu viens de la part d’Akhtar ?
— C’est ça.
— Il n’envoie jamais personne sur le set.
— Y a un début à tout.
— Tu veux parler au réalisateur ?
L’homme s’exprimait à voix basse. Avec sa tunique et ses manières compassées, il rappelait vaguement un officiant religieux. Pourtant, Corso repéra la lampe de poche, une led Maglite, suspendue à son cou : il avait affaire au responsable de la « light pussy » (« lumière chatte »), chargé d’éclairer la pénétration au juste moment.
— Non, je cherche Mike.
— Qui ?
— Freud.
— Pourquoi ?
— Je suis producteur, moi aussi. Ses compétences m’intéressent.
— Suis-moi.
Sur les pas de son hôte, Corso emprunta un nouveau couloir, enjamba des câbles scotchés au sol, contourna des flight-cases aux cornières d’aluminium. Il accéda à une vaste pièce où les meubles avaient été poussés et recouverts de housses blanches. Le sol était protégé par une bâche plastique : le théâtre des opérations. Des techniciens branchaient des projecteurs, installaient des réflecteurs. Visiblement, on tournait ici du gonzo sophistiqué, avec lumière, caméra professionnelle et acteurs aguerris.
Au centre de l’espace, un lit, ou plutôt un matelas, sur lequel des gars plaçaient une alèse de caoutchouc avant d’envelopper l’ensemble d’un drap-housse. Dans un coin, deux actrices nues, dont les crânes à la lumière de la fenêtre étaient presque aveuglants, s’embrassaient alors qu’une maquilleuse leur poudrait les fesses.
— Freud, c’est le gars assis là-bas.
On ne pouvait pas le rater : adossé à une fenêtre, il se tenait les yeux fermés, à poil bien sûr, en position du lotus. Petit gabarit mais costaud, faciès écrasé de bouledogue, orbites creusées, sourcils rasés. Les os du visage saillaient sous sa peau à la manière d’une structure métallique qu’on aurait superficiellement couverte de chair et de muscles.
Le meilleur était plus bas, entre ses jambes. Un braquemart dépassant les 25 centimètres, du XXL de hardeur, doté d’une érection vibrante. De sa main droite, l’artiste se masturbait nonchalamment tout en ajoutant, de la gauche, du lubrifiant sur l’arme fatale.