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Ce peintre lui aussi devait avoir le goût du secret pour ne laisser aucune trace dans la vie de Nina. Les deux s’étaient trouvés.

— Tu ne te souviens pas de quelque chose qui nous permettrait de l’identifier ?

— Je crois qu’elle posait pour lui…

— Où je pourrais trouver ces toiles ?

— Aucune idée.

— Il a une galerie ?

— Je te dis que je sais que dalle !

— Réfléchis.

Mike se passa la main sur le crâne.

— Il porte un chapeau.

— Un chapeau ?

— C’est un truc qu’elle m’a dit un jour. Il a une manière spéciale de s’habiller. Des costards blancs, des chapeaux… Le genre maquereau des années 20…

Ça ne collait pas avec l’image d’un homme secret. Il fallait secouer tout ça et voir ce qui pouvait en tomber. C’était en tout cas un sacré point d’avance sur l’enquête de Bornek.

Corso salua Freud mais se ravisa au bout de quelques pas.

— Une dernière chose, un détail.

— Quoi ?

— Pourquoi vous êtes tous tondus ?

Sourire pernicieux de Mike.

— Une idée d’Akhtar. Ça fait plus secte. Et puis, c’est plus pratique.

— Pour quoi faire ?

— Les head-fucking.

17

Son équipe l’attendait dans la salle de réunion. À Bercy, les geeks avaient commencé le décodage des films — il y en avait plusieurs milliers — avec la « gracieuse participation » d’Akhtar.

— Qu’est-ce que ça donne ?

— C’est dégueulasse, répondit Ludo, qui n’avait pourtant pas froid aux yeux. Les filles prennent vraiment cher. Pour l’instant, on n’a pas mis la main sur les films de Nina mais ça doit être dans l’esprit du reste…

— La liste des abonnés ?

— En décryptage aussi. Selon les informaticiens, on n’obtiendra que des IP d’ordinateurs. Il faudra ensuite identifier leurs propriétaires. On est pas rendus.

— Les acteurs, les actrices ?

— Akhtar a un fichier à jour mais ça nous sert à rien. Tout le monde bosse sous pseudo. Pas la moindre info administrative.

— Y a jamais de fiches de salaire ?

— Non. Ils sont tous bénévoles. Faut vraiment être fêlé…

— Akhtar, vous l’avez laissé appeler son avocat ?

— Non. On attend de trouver quelque chose de vraiment chaud sur ses bandes pour l’inculper.

— Suffit de piocher au hasard. Les filles se font réduire en bouillie !

— Il prétend que c’est truqué.

— Et les quadruples pénés ? Les objets fourrés dans le sexe, le cul ?

Ludo haussa les épaules.

— Du libre échange entre adultes consentants. On a les contrats signés par les filles. Akhtar nous a expliqué qu’il les libérait de leurs chaînes judéo-chrétiennes, des tabous aliénants de nos sociétés oppressives, etc. On continue le décryptage des films mais, à moins d’y trouver des mômes ou des animaux, faudra libérer Monsieur Loyal.

Ludo avait bossé à la BRP et il savait comme tout le monde dans cette salle que le seul moyen de coincer les fournisseurs de porno était l’utilisation de mineurs ou d’animaux dans des actes de zoophilie. L’article 521-1 du Code pénal réprime « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité… ». Il existe même une jurisprudence à base de poneys sodomisés…

Corso leur ordonna de continuer sur leur lancée : creuser encore dans le puits de merde, identifier les consommateurs et les intervenants et laisser croupir au ballon l’Indien sans qu’il puisse contacter qui que ce soit.

— Le parquet va apprécier.

— J’assume.

Le flic prit son souffle et leur annonça le scoop du Vésinet : Sophie Sereys avait un boyfriend. Il donna ses ordres dans la foulée. Taper une perquise éclair chez Sophie, la nuit prochaine, en quête d’un indice concernant l’inconnu. Retourner au Squonk réinterroger ses collègues. Ratisser le marché de l’art contemporain pour débusquer la trace d’un peintre qui s’habillerait en costard blanc et borsalino. Un artiste qui (peut-être) consacrait son œuvre aux strip-teaseuses ou aux hardeuses, un gars qui renouait avec l’ancienne tradition des peintres du Moulin-Rouge.

Stock intervint — pour l’occasion, elle avait chaussé de grosses lunettes qui lui donnaient un air professoral inattendu :

— Je pige pas. On lâche le côté gonzo ?

— Pas du tout.

— Qui va s’occuper des abonnés d’Akhtar ? des partenaires de Nina, etc. ?

— On appelle du renfort.

— Pourquoi pas Bornek ? ricana Ludo.

— Laisse Bornek où il est. Il va bientôt se casser en vacances.

— La moitié du 36 part ce soir, précisa Stock.

— Voyez avec Bompart qui elle peut nous filer. Demain, on remet tout à plat et on voit qui interroge qui.

Les flics se regardèrent : ils allaient bosser cette nuit, première nouvelle, et ils seraient aussi de service ce week-end, deuxième nouvelle.

— Krishna aussi doit partir ce soir…, risqua Barbie.

— Qu’il annule ses vacances !

Sur ces mots, Corso salua la compagnie et retourna dans son bureau. Il avait besoin de faire le point calmement : en quelques heures, ils avaient découvert deux pistes majeures. Il n’en espérait pas tant la première journée.

— Stéphane !

Il se retourna : Barbie l’avait suivi dans le couloir, un dossier à la main. Il se dit que vraiment, son allure, c’était pas possible. Il émanait d’elle (les bons jours) un air de Mary Poppins déglinguée qui pouvait avoir son charme à condition d’aimer les allures vintage et les tapestry bags.

— J’ai trouvé une référence pour les blessures de Nina.

— T’as eu le temps de bosser sur un autre truc ? s’étonna-t-il.

— Je peux faire deux choses à la fois.

Trois en réalité, puisque c’était elle déjà qui avait dégoté Veranne, le maître des cordes, et identifié Akhtar après avoir épluché les comptes de Nina… Le côté surdoué de Barbie avait quelque chose d’agaçant, elle donnait toujours l’impression d’avoir un train d’avance sur le groupe, lui compris.

Elle ouvrit sa chemise de papier qui contenait des photocopies en couleur.

— Ce sont des toiles de Francisco Goya.

— Viens dans mon bureau.

Corso referma la porte et la laissa étaler ses clichés par-dessus ses propres dossiers.

— Tu connais ce peintre ? demanda-t-elle.

— Tu me prends pour un con ou quoi ?

Corso reconnaissait des tableaux célèbres : les portraits de personnalités de la Cour madrilène, les fameuses Fusillades du 3 mai, des reproductions des Pinturas negras : Deux vieux, Le Sabbat des sorcières, Le Chien… Des gueules déformées qui possédaient une présence terrifiante.

Barbie sélectionna quelques images et les disposa bien en vue.

— Regarde celles-ci, elles te rappellent rien ?

C’étaient des portraits atroces, tirant sur le rouge et le sépia, des trognes au cri dément ou au rire sarcastique (impossible de décider), des bouches dont les commissures remontaient jusqu’aux oreilles — exactement comme sur le visage blessé de Nina.