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— Et l’enquête de voisinage à Saint-Denis ?

— Le SRPJ 93 va s’en charger. Contactez-les. Demandez-leur aussi de se fader les caméras de surveillance.

Ludo ricana : dans ces quartiers, ce genre de matériel avait une durée de vie très limitée.

— Y a aussi les prélèvements de l’IJ, continua Corso, comme s’il n’avait pas entendu. Demandez-leur de faire appel à un labo privé pour les analyses, c’est une urgence absolue.

— La moitié du quartier a dû piétiner la scène, persifla Ludo.

Corso ignora encore cette remarque :

— Ce nouveau meurtre est l’occasion de reprendre en détail le mode opératoire. Imaginer chaque geste du tueur, identifier ses armes, retracer le rituel…

Silence lourd de scepticisme.

— On est déjà allé chez la victime ? relança-t-il.

— Des gars de Clignancourt y sont actuellement. Rien à signaler.

— On y retourne demain matin. On tape une vraie perquise tous les quatre. Il faut ratisser le profil d’Hélène en détail. Voir si elle avait des points communs avec Sophie Sereys, si elles se fréquentaient, si…

— En tout cas, intervint Barbie, elle ne bossait pas pour Akhtar. On a déjà vérifié.

— Y a pas qu’Akhtar dans ce milieu, grattez le monde SM, vous connaissez les bonnes adresses.

Son public commençait à se chauffer. Corso décida que ses flics étaient mûrs pour la répartition des tâches — tout de suite si possible.

— Ludo, attaqua-t-il, tu vas à l’autopsie, tu gères aussi les échantillons ADN avec l’IJ.

Bref signe de tête du Toulousain : la perspective de passer la nuit avec un cadavre plutôt qu’avec ses targets rencontrées sur Internet ne semblait pas trop le chagriner — cas de force majeure.

— Stock, tu retournes cuisiner les filles du Squonk et Kaminski. Je veux un portrait détaillé de la Miss. Et s’il te reste quelques heures avant demain matin, tu réveilles ses voisins.

— C’est illégal.

— Vu l’urgence, on nous couvrira. Et n’oublie pas non plus les caméras de sécurité de son quartier.

— T’espères quoi ? coupa Ludo. Un kidnapping en direct ?

— Le tueur en est à son deuxième coup, ça ne fait pas de lui un génie du crime ni un magicien. Il a forcément laissé des traces et on va les retrouver.

Il se tourna vers Barbie qui attendait sa part.

— Tu récupères les fadettes d’Hélène, son portable, son ordinateur. Tu m’analyses tout ça fissa.

Elle était assise comme à l’accoutumée, une jambe repliée sous les fesses, un bloc sur les genoux — on aurait dit une étudiante aux tendances gothiques.

— Comment on fait pour les réquises ? On n’est même pas saisis…

— Je m’en occupe. L’urgence, c’est de savoir qui elle a appelé, qui l’a appelée, si elle a tiré de l’argent, pris le métro ou loué un Vélib’ durant ces derniers jours.

Nouveau silence. Comme d’habitude, chacun se demandait ce qu’il allait foutre, lui. D’ordinaire, il n’était pas très disert sur ses propres occupations mais ce jour-là, il fallait faire preuve d’esprit d’équipe.

— Moi, je m’occupe du Squonk.

L’ex-culturiste intervint :

— Tu viens de dire que c’est moi qui…

— Toi, tu gères le personnel du club. Je vais m’intéresser de plus près à l’immeuble, aux voisins, à l’histoire du lieu… Ce putain de rade abrite un secret. Le mobile du tueur.

Acquiescements parmi les rangs. Ces nouveaux angles d’attaque semblaient avoir donné un nouveau jus aux troupes.

— Et le petit ami à chapeau ? Les toiles de Goya ? demanda Barbie.

En flash, Corso revit les portraits sanglants, le fantôme de l’ascenseur, la blancheur de l’avenue… Il soutint le regard de Barbie — elle seule savait où il était parti et il n’avait pas eu le temps de lui expliquer sa brève rencontre.

— Vous avez trouvé quelque chose là-dessus ? interrogea le flic.

— Non.

— Alors pour l’instant, focus sur Hélène Desmora. On remettra tout à plat lundi matin. Ça nous fait plus de vingt-quatre heures pour une gamme complète à propos de Miss Velvet. Des questions ?

Stock leva la main, comme à l’école — mais une école des athlètes slaves.

— Et les autres filles du Squonk, on les met sous protection ?

— Ça tombe sous le sens. Je vais voir ça avec Bompart et…

Il n’acheva pas sa phrase : son portable vibrait dans sa poche.

— Excusez-moi, fit-il en dégainant son mobile.

Il sortit sans un mot d’explication. Le numéro d’Émiliya venait de s’afficher.

24

— Tout va bien ?

Corso avait pris son ton le plus enjoué, il ne voulait pas laisser paraître sa colère ni son sentiment de frustration. D’abord pour qu’elle ne lui raccroche pas au nez. Ensuite pour qu’elle ne sente pas sa souffrance et qu’elle en jouisse d’une quelconque façon.

En vérité, il ne s’attendait pas à ce qu’elle le rappelle. Mais elle ne le faisait pas par amitié ni charité. Elle savait que désormais, chaque coup de fil serait comptabilisé. Pas question qu’on puisse lui reprocher d’empêcher son ex de parler à leur fils.

— Tout va bien.

— Vous êtes où, finalement ? poursuivit-il avec une inflexion joviale.

Émiliya gloussa face à cette piteuse tentative pour lui tirer les vers du nez. Mais la mère perverse devait être de bon poil, elle lâcha du lest :

— Varna, my dear… Nos plus beaux souvenirs.

Une station balnéaire de Bulgarie dont Corso gardait en effet quelques éblouissements. La mer Noire au petit matin, ses morsures dorées qui annonçaient l’Orient situé à quelques brasses, les églises orthodoxes se pressant sur le littoral avec leurs dômes miroitants, comme dilués dans le ciel même, et la ville, avec ses maisons peintes et ses lettres cyrilliques qui évoquaient un lieu étrange, à mi-chemin entre fête foraine et ville thermale…

— Vous y restez tout le mois ?

— On va voir.

Corso n’insista pas : surtout, ne pas tirer sur la corde.

— Thaddée est en forme ?

— On travaille sa langue maternelle.

Émiliya s’était toujours battue pour que son fils parle le bulgare au même titre que le français. Corso était d’accord mais à présent, cet enjeu linguistique était devenu un moyen pour sa mère de dresser un nouveau mur entre lui et l’enfant.

— Mais il va se baigner ? Il a d’autres activités ?

— Il voit ses cousins. Sa vraie famille. Je devrais dire… sa seule famille.

Premier coup bas. Pourquoi poursuivre cette conversation où il était acculé dans les cordes, réduit à prendre des coups ?

— Je peux lui parler ?

— Ne quitte pas.

Il était surpris qu’elle obtempère si facilement. Mais peut-être craignait-elle elle aussi qu’il soit en train d’enregistrer leur conversation.

— Papa ?

Quand il perçut ce timbre si haut, si frais, si particulier — une flûte qu’on aurait taillée dans une jeune pousse et qui vous renouvelait le sang rien qu’à l’entendre —, il sentit les larmes lui monter aux yeux.

— Ça va, ma puce ? Tu t’amuses bien ?

— On a trouvé un hérisson.

Corso exigea un récit détaillé de l’histoire. Peu importaient les mots, c’était le timbre qui comptait, le visage qu’il imaginait derrière chaque inflexion. Une chanson dont on ne saisit que vaguement les paroles mais qui vous bouleverse par sa seule mélodie.