XII
La chute
C’était en janvier. Il gelait. Les dix hommes présents avaient le col du pardessus relevé, les mains enfouies dans les poches.
La plupart échangeaient des phrases décousues tout en battant la semelle et en lançant des regards furtifs d’un même côté.
Seul Maigret se tenait à l’écart, le cou rentré dans les épaules, si hargneux que personne n’avait osé lui adresser la parole.
On apercevait, dans les immeubles voisins, quelques fenêtres qui s’éclairaient, car l’aube se levait à peine. Quelque part, un tintamarre sonnaillant de tramways.
Enfin le roulement d’une voiture, le claquement d’une portière, le bruit de gros souliers et quelques ordres lancés à mi-voix.
Un journaliste prenait des notes, mal à l’aise. Un homme détournait la tête.
Radek sortit vivement de la voiture cellulaire et regarda autour de lui de ses prunelles claires qui, dans la grisaille, avaient des reflets infinis d’océan.
On le tenait, des deux côtés. Mais il ne s’en inquiétait pas et il se mit à marcher à grands pas dans la direction de l’échafaud.
C’est alors qu’il glissa soudain sur le verglas. Il tomba. Et ses gardiens, croyant à une tentative de révolte, se précipitèrent pour le maintenir.
Cela ne dura que quelques secondes. Mais peut-être cette chute fut-elle plus pénible que tout le reste, pénible surtout le visage honteux du condamné quand il se redressa, ayant perdu tout prestige, toute l’assurance qu’il s’était donnée.
Son regard tomba sur Maigret, qu’il avait prié d’assister à l’exécution.
Le commissaire voulut détourner les yeux.
— Vous êtes venu…
Des gens s’impatientaient. Les nerfs étaient tendus dans une même hâte douloureuse d’abréger la scène.
Alors Radek se retourna vers la plaque de verglas, avec un sourire sarcastique, puis désigna l’échafaud, ricana :
— Raté !…
Il y eut une hésitation de la part de ceux qui avaient pour mission de mettre fin à la vie d’un homme.
Quelqu’un parla. Une trompe d’auto résonna dans une rue proche.
Ce fut Radek qui se mit en marche, le premier, sans regarder personne.
— Commissaire…
Encore une minute, peut-être, et ce serait tout. La voix avait un drôle de son.
— Vous allez retrouver votre femme, n’est-ce pas ?… Et elle vous a préparé du café…
Maigret ne vit rien d’autre, n’entendit plus rien ! C’était vrai ! Sa femme l’attendait, dans la salle à manger tiède où le petit déjeuner était servi.
Sans savoir pourquoi, il n’osa pas y aller. Il rentra directement au quai des Orfèvres, chargea le poêle de son bureau jusqu’à la gueule, tisonna à en casser la grille.
Paris, Hôtel l’Aiglon, septembre 1930.