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— Ben voyons. Elle porte un tailleur en tweed… Ce qu’elle est mignonne, cette petite ! Tu vois, San-Antonio, j’aurais vingt ans de moins…

— Ça ne changerait rien à la question, eh, fœtus prolongé ! Avec une bouille comme celle que tu trimbales, il faudrait que tu sois rembourré avec des billets de dix sacs pour plaire !

— Ça n’est pas gentil, ce que tu dis là…

— Passe la main ! Que fait-elle ?

— Elle va au guichet poste restante…

— Il y a du monde ?

— La postière ! Une grosse brune avec des moustaches !

— Que fait la petite ?

— Elle présente sa carte d’identité…

— Personne à l’horizon ?

— Absolument personne sauf une factrice qui raconte à la dame du téléphone qu’elle est allée chez son frère à Arpajon, dimanche dernier…

— Que se passe-t-il ?

— La moustachue du guichet regarde dans une boîte…

— Ensuite ?

— Elle prend une lettre qu’elle donne à Marguerite.

— Toujours personne d’autre à proximité ?

— Non !

Cette fois, c’est foutu. Bien sûr, je rêve trop. Un criminel comme celui que nous cherchons ne va pas passer des heures près d’un guichet à surveiller les allées et venues…

Pinaud s’est tu.

— Ben quoi, hurlé-je, raconte !

— Tu me prends pour Georges Briquet ! Que veux-tu que je te dise… Marguerite glisse la lettre dans son sac… Sans l’ouvrir…

— Et elle s’en va ?

— Oui… Ah non, attends !

Mon battant se met brusquement à faire du rabe.

— Quoi ? croassé-je.

— La guichetière la rappelle !

— À cause ?

— Attends, je vois mal… Si : elle vient de lui donner une seconde lettre…

Je suis ahuri. Je m’attendais à n’importe quoi sauf à ça… UNE SECONDE LETTRE !

— Et puis ?

— Marguerite la prend… Elle la regarde… Elle paraît surprise…

— Tu parles… Elle s’en va ?

— Non…

— Alors que fait-elle ?

— Elle s’approche d’un pupitre, près de la vitre. Elle va sûrement lire la lettre en question.

Je vous ai parlé déjà de ces petites sonnettes d’alarme qui, parfois, se mettent à vibrer sous ma coiffe ? Eh bien, l’une d’elles me défonce le bol, soudain.

— Pinaud !

— J’écoute…

— Précipite-toi sur elle ! Il ne faut pas qu’elle ouvre cette lettre, tu m’entends ? Il ne faut pas !

— Bon, j’y…

Il ne finit pas sa phrase… Je perçois un bruit terrible dans l’écouteur. Un bruit qui m’arrive également en direct dans l’autre oreille par-delà la rue…

Il se fait une seconde d’un silence affreux. Puis des cris retentissent.

Je bondis hors de la cabine, traverse le troquet. Le patron, les loufiats, les clilles sont sur le pas de la porte, matant le bureau de poste d’où les employés sortent, coudes au corps.

Les vitres du local ont fait des petits… Un désordre indescriptible règne dans la strasse !

Je m’élance, fendant les badauds… Je remonte le flot des fuyards, et je pénètre dans la succursale des P.T.T.

Un méchant spectacle s’offre à moi, comme on dit dans les romans couronnés par l’Académie française.

Sur le carreau, il y a le corps de Marguerite affreusement déchiqueté du haut. Pinaud, la moustache tombante, l’œil en virgule, le teint cireux, se tient debout à deux mètres, regardant de tous ses yeux, comme Michel Strogoff avant qu’on lui passe les lampions au fer à friser.

J’avance lentement vers le cadavre.

La pauvre gosse est étalée sur le dos. Il y a un grand trou sanglant au milieu de sa poitrine, et le bas de son visage n’existe plus. Jamais je n’ai vu un mort plus pitoyable. Je réprime une envie de hurler. Ma raison joue au yo-yo.

Je vais m’accouder à un pupitre et, la tête sur mon coude, pousse des grondements bestiaux pour libérer le trop-plein de rage et de chagrin.

Je me raconte des trucs déprimants :

— San-Antonio, tu n’es qu’une vieille pantoufle sans semelle ! Tu es un meurtrier par inconscience ! C’est toi qui a tué cette fille qui ne demandait qu’à vivre… Tu t’en es servi comme appât et le loup l’a eue… Si tu as pour trois ronds de ce qui motive le port de ton pantalon, tu vas te tirer séance tenante une dragée dans le chignon ! T’es plus digne de vivre !

Quelqu’un me touche le bras. Je lève sur ce quelqu’un un visage hébété.

— Faut faire quelque chose, murmure Pinaud.

Il paraît aussi ravagé que moi. Il a déposé son vieil imper qui pue le wagon à bestiaux mouillé sur le cadavre…

Comme des gens s’enhardissent, maintenant que ça ne « pète plus », il les refoule :

— Police, écartez-vous et ne touchez à rien.

Son autorité me redonne de l’assurance. Oui, Pinuche a raison : « faut faire quelque chose » ! Il reste à mettre la main sur l’enfant de salaud qui a maquillé ce coup-là.

J’avise le receveur. C’est un homme trapu, dégarni de la toiture.

— Fermez les portes ! lui dis-je. Et priez votre personnel de regagner ses places !

Il agit.

Je m’agenouille près du corps. La petite Margot tient dans sa main droite un coin d’enveloppe bleue. Je le recueille délicatement et l’insère dans mon portefeuille.

Puis je fais signe à Pinuche d’approcher.

— Toi qui as tout vu, tu peux me dire comment ça s’est passé ?

Il tire sur sa moustache dont l’une des pointes est plus courte que l’autre d’au moins quatre centimètres.

— Je n’ai pas eu le temps de réaliser. Au moment où tu m’as dit de bondir, ça s’est produit. Elle avait le dos tourné… Il y a eu ce bruit horrible, une espèce de fumée… Et puis elle était comme ça.

— Pas d’autres victimes ?

— La téléphoniste, je crois, a été touchée.

Nous recherchons cette dernière et nous la découvrons, en effet, affalée sur une chaise, livide, avec une plaie sans gravité à la tête.

— Préviens l’ambulance !

— D’accord.

Je fais claquer mes mains.

— La préposée à la poste restante ! crié-je.

La grosse moustachue décrite auparavant par Pinuche se présente. Elle pèse deux tonnes et ressemble à une statue de saindoux exécutée par Picasso pour le compte d’un marchand de beurre !

— Je vous préviens, chère madame, l’attaqué-je, que je compte énormément sur votre témoignage pour arrêter l’infâme criminel !

Elle remet en place ses deux gigantesques nichons et m’adresse un pauvre petit sourire frileux.

— C’est affreux, dit-elle.

— Je sais. Vous avez remis une première lettre à cette malheureuse…

— Oui.

— Puis une seconde…

— C’est vrai… J’allais l’oublier parce que l’adresse comportait le nom avant le prénom, ce qui fait que je l’avais classée un peu plus loin…

— Bien. Vous vous êtes aperçue de cette erreur, vous avez rappelé la jeune fille, lui avez donné sa lettre… Comment était ce pli ?

— Très épais…

Elle écarte son pouce de son index d’un bon centimètre.

— Et c’était lourd ?

— Oui, au moins cent grammes…

— Dites-moi, était-ce suffisamment affranchi ?

— Oui.

— Donc vous n’avez pas fait payer de surtaxe à la petite ?

— C’était inutile.

— Avez-vous remarqué le cachet de la poste où fut posté ce paquet-lettre ?

Elle haussa les épaules.

— Non !

— Réfléchissez !

— C’est tout réfléchi, vous savez, s’il fallait qu’on regarde d’où viennent les centaines de lettres qu’on reçoit chaque jour…