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Elle dit tristement :

— J’ai senti que tu avais changé à l’instant même où tu m’as touchée. Ton toucher était différent. Il y avait en lui… de la peur ? Du dégoût ?

— Non.

— Jusqu’à ce soir, j’étais pour toi quelque chose d’exotique, mais d’humain, comme le serait une Boshiman ou une Eskimo. Tu ne me plaçais pas dans une catégorie séparée des humains. Maintenant, tu te dis que tu es amoureux d’un ramassis de produits chimiques. Tu penses que c’est peut-être dépravé que d’avoir une liaison avec moi.

— Lilith, arrête, je t’en supplie. Tout ça c’est dans ton imagination.

— Vraiment ?

— Je suis ici. Je t’embrasse. Je te dis que je t’aime. J’attends de faire l’amour avec toi. Peut-être fais-tu toi-même un transfert de tes remords quand tu dis…

— Manuel, qu’aurais-tu dis, il y a un an, d’un homme avouant qu’il avait une liaison avec une androïde ?

— Beaucoup d’hommes que je connais ont…

— Qu’aurais-tu dit de lui ? De quels mots te serais-tu servi ? Qu’aurais-tu pensé de lui ?

— Je n’y ai jamais pensé. Ça ne m’a tout simplement jamais intéressé. Jamais.

— Tu éludes. Souviens-toi, nous nous sommes promis de ne pas nous mentir comme tous les autres. D’accord ? Tu ne peux pas nier que dans toutes les classes de la société on considère comme une perversion les rapports sexuels entre un humain et un androïde. Peut-être la seule perversion qui reste au monde. Ai-je raison ? Vas-tu enfin me répondre ?

— D’accord. Il la regarda droit dans les yeux. Il n’avait jamais vu aucune femme avec des yeux de cette couleur. Il dit lentement :

— La plupart des hommes considèrent que c’est… enfin, vulgaire, pervers, de coucher avec des androïdes. J’ai entendu comparer ces rapports à la masturbation. À ceux qu’on peut avoir avec une poupée de caoutchouc. Quand j’ai entendu ces remarques, j’ai toujours pensé qu’elles étaient l’expression mesquine, haineuse, des préjugés anti-androïdes. Et il est évident que je n’ai moi-même jamais eu ces préjugés, sinon je ne serais pas tombé amoureux de toi. Quelque chose chantonna moqueusement dans son esprit : Souviens-toi des cuves ! Souviens-toi des cuves ! Son regard flancha et il fixa intensément ses pommettes. Il dit, farouche :

— Devant l’univers entier, je jure, Lilith, n’avoir jamais ressenti quoi que ce soit de honteux ou de sale dans le fait d’aimer une androïde, et j’affirme que, malgré ce que tu prétends avoir détecté en moi depuis la visite de l’usine, je n’ai pas de tels sentiments, même en ce moment. Et pour te le prouver…

Il l’attira à lui. Sa main caressa sa peau satinée des seins jusqu’aux hanches. Elle écarta les cuisses, et il posa la main sur le mont de Vénus, aussi glabre que celui d’un enfant, et soudain, il trembla au toucher de la texture épidermique inhumaine qu’il sentait sous sa main, et cette sensation lui enleva sa virilité, bien qu’elle ne l’eût jamais troublé auparavant. Si lisse. Si terriblement lisse. Il baissa les yeux sur elle. Sur son sexe nu. Nu, oui, mais non parce qu’elle était rasée. Elle était comme une enfant. Comme… comme une androïde. Il revit les cuves. Il vit les alphas rouges et humides aux visages vides. Il se dit avec sévérité que ce n’était pas un péché d’aimer une androïde. Il se mit à la caresser, et elle réagit, comme l’aurait fait une femme : son sexe se lubrifiait, sa respiration devenait haletante, ses cuisses se durcissaient sous la caresse. Il embrassa ses seins et la serra contre lui. Alors, il lui sembla que l’image flamboyante de son père se dressait au-dessus de lui comme une tour de feu. Vieux diable, vieux magicien ! Quelle intelligence que d’avoir conçu un tel produit ! Un produit. Qui parle. Qui marche. Qui séduit. Qui halète de passion. Sa vulve se gonfle à ce produit. Et moi, que suis-je ? Un produit aussi, non ? Un mélange de produits chimiques développé à partir d’un schéma génétique tout semblable – mutatis mutandis, bien entendu. Adénine. Guanine. Cytosine. Uracil. Né dans une cuve, couvé dans une matrice. Où était la différence ? Nous sommes une seule chair. Nous sommes des races différentes, mais nous sommes une seule chair.

Son désir lui revint en un élan brûlant, il pivota, s’étendit sur elle et la pénétra. Elle lui frappait extatiquement les mollets de ses talons. La vallée de son sexe puisait, elle s’accrochait à lui avec une frénésie sincère. Ils roulaient, et montaient, et planaient.

Quand ce fut fini, quand ils furent tous les deux revenus sur Terre, elle dit :

— Je me suis vraiment conduite comme une garce.

— Que veux-tu dire ?

— La scène que je t’ai faite. Quand j’essayais de te dire ce que je croyais que tu avais en tête.

— N’y pense plus, Lilith.

— Mais tu avais raison. Je suppose que je faisais un transfert de mes propres tourments. Peut-être que je me sens coupable d’être la maîtresse d’un humain. Peut-être que je désire que tu penses à moi comme à un objet en caoutchouc. Quelque part au fond de moi, c’est probablement ainsi que je pense à moi-même.

— Non. Non.

— Nous n’y pouvons rien. C’est dans l’air que nous respirons. On nous rappelle mille fois par jour que nous ne sommes pas réels.

— Tu es aussi réelle que tous les humains que j’ai jamais connus. Plus réelle que certains. Plus réelle que Clissa, pensa-t-il sans le dire. Je ne t’ai jamais vue aussi tendue, Lilith. Qu’est-ce qui t’arrive ?

— C’est ta visite à l’usine, dit-elle. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours été sûre que tu n’étais pas comme les autres. Que tu n’avais jamais consacré une seule seconde à te soucier du lieu et du processus de ma naissance, ou s’il y avait quelque chose de mal dans ce que nous faisions. J’avais peur que tu changes, après avoir vu l’usine, après avoir vu le processus chimique avec une précision clinique… Et puis, quand tu es arrivé ce soir, il y avait en toi quelque chose de bizarre, quelque chose de glacé que je n’avais jamais ressenti… Elle haussa les épaules. J’ai dû me faire des idées. Je suis sûre que je me suis fait des idées. Tu n’es pas comme les autres, Manuel. Tu es un Krug, un genre de roi. Tu n’as pas besoin de rehausser ton statut en rabaissant les autres. Tu ne divises pas le monde en humains et en androïdes. Tu ne l’as, jamais fait. Et un simple coup d’œil dans les cuves n’a rien pu y changer.

— Évidemment que ça n’a rien changé, dit-il de la voix grave et sérieuse qu’il prenait pour mentir. Les androïdes sont des gens, et les gens sont des gens ; je n’ai jamais pensé autre chose, et je ne penserai jamais autre chose. Et tu es belle. Et je t’aime. Et quiconque croit que les androïdes sont une race inférieure est un fou dangereux.

— Tu soutiens donc la cause pour l’égalité des androïdes ?

— Certainement.

— Tu veux dire, des androïdes alpha, bien entendu ? dit-elle avec malice.

— Je… euh…

— Tous les androïdes devraient être les égaux de l’homme. Mais les alphas devraient être plus égaux que les autres.

— Quelle garce ! Tu recommences à plaisanter ?

— Je suis pour les prérogatives des alphas. Un groupe ethnique méprisé ne peut-il donc pas avoir ses castes internes ? Oh ! je t’aime, Manuel. Ne me prends pas tout le temps au sérieux.

— Je ne peux pas m’en empêcher. Je ne suis pas vraiment très brillant, et je ne sais jamais bien quand tu plaisantes. Il embrassa les pointes de ses seins. Maintenant, il faut que je m’en aille.