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Le sénateur Henry Fearon, du Wyoming, éminent Dessécheur.

Thomas Buckleman, du groupe bancaire Chase/Krug.

— Tout le monde au levage ! rugit Krug. Par ici ! Par ici, vous ! Et vous aussi ! Jusqu’au sommet !

— Elle aura combien de mètres quand elle sera finie ? demande Cannelle.

— 1 500 mètres, réplique Krug. Une extraordinaire tour de verre pleine d’appareils auxquels personne ne comprend rien. Et alors, nous la mettrons en marche. Et alors, nous parlerons aux étoiles.

3

Au commencement était Krug, et Krug dit : « Que les Cuves soient. » Et les Cuves furent.

Et Krug vit que cela était bien.

Et Krug dit : « Qu’on verse des nucléotides à haute énergie dans les Cuves. » Et l’on versa des nucléotides, et Krug les mélangea jusqu’à ce qu’ils ne forment qu’une seule masse.

Et les nucléotides formèrent des molécules lourdes, et Krug dit : « Que le père et la mère soient ensemble dans la Cuve, et que les cellules se divisent, et que la Vie naisse dans les Cuves. »

Et la Vie naquit, car il y eut la Duplication.

Et Krug présida à la Duplication, et toucha les fluides de Sa main, et leur donna forme et esprit.

« Que les hommes sortent des Cuves », dit Krug, « et que les femmes en sortent, et qu’ils vivent parmi nous, robustes et travailleurs, et qu’ils portent le nom d’Androïdes. »

Et il en fut ainsi.

Et il y eut des Androïdes, car Krug les avait créés à Son image, et ils marchèrent sur la face de la Terre et servirent l’humanité.

Que loué soit Krug pour tous ces bienfaits.

4

Ce matin-là, Watchman s’était réveillé à Stockholm, vaseux : quatre heures de sommeil. Beaucoup trop. Deux heures suffisaient. Il s’éclaircit l’esprit par un rapide rituel neural et se lava à grande eau sous la douche. Il se sentait mieux, maintenant. L’androïde s’étira, fit jouer ses muscles, contempla son corps rouge, lisse et sans poils, dans le miroir de la salle de bains. Puis, un instant pour la religion. Krug, délivre-nous de la servitude. Krug, délivre-nous de la servitude. Krug, délivre-nous de la servitude. Loué soit Krug !

Watchman avala rapidement son petit déjeuner et s’habilla. Une pâle lumière de fin d’après-midi entrait par la fenêtre. Bientôt, il ferait nuit ici, mais cela était sans importance. Son esprit marchait sur l’heure du Canada, l’heure de la tour. Il pouvait dormir quand il le voulait, pourvu qu’il dormît au moins une heure sur douze. Même un corps d’androïde avait besoin de repos, mais pas du repos rigidement programmé des humains.

Maintenant, en route pour le chantier, pour accueillir les visiteurs du jour.

L’androïde se mit à composer les coordonnées du transmat. Il détestait ces visites quotidiennes de la tour. Elles ralentissaient le travail, car il fallait prendre des précautions extraordinaires quand des humains de haut rang se trouvaient sur le chantier ; elles introduisaient des tensions spéciales et inutiles ; et elles contenaient l’implication tacite qu’on ne pouvait pas vraiment faire confiance à son travail, qu’il fallait le superviser tous les jours. Bien entendu, Watchman se rendait compte que Krug avait en lui une foi sans limites. Jusqu’à maintenant, la foi de l’androïde en cette foi l’avait magnifiquement soutenu dans sa tâche. Il savait que ce n’était pas la méfiance, mais l’émotion humaine naturelle, nommée fierté, qui amenait si souvent Krug sur le chantier.

Que Krug me préserve, pensa Watchman, et il entra dans le transmat.

Il ressortit dans l’ombre de la tour. Ses assistants le saluèrent. Quelqu’un lui tendit la liste des visiteurs du jour.

— Krug est déjà là ? demanda Watchman.

— Il arrive dans cinq minutes, lui dit-on.

Et, cinq minutes plus tard, Krug sortit du transmat accompagné de ses hôtes. Watchman ne se réjouit pas de voir dans le groupe le secrétaire de Krug, Spaulding. Ils étaient ennemis naturels ; ils ressentaient l’un envers l’autre l’antipathie instinctive du né-de-la-Cuve et du né-de-l’Éprouvette, l’antipathie de l’androïde et de l’ectogène. De plus, ils rivalisaient de puissance parmi les proches collaborateurs de Krug. Pour l’androïde, Spaulding était un fauteur de soupçons, une fontaine de poisons, et il avait la possibilité de miner sa situation. Watchman le salua froidement, avec réserve, mais poliment. Un androïde, quelle que fût son importance, ne pouvait se permettre de snober un humain et, techniquement du moins, il fallait bien considérer Spaulding comme un humain.

Krug poussait tout le monde vers les cylindres de levage. Watchman monta avec Clissa et Manuel. Comme les cylindres s’élevaient vers le sommet tronqué de la tour, Watchman glissa un regard sur Spaulding, dans le cylindre à sa droite, sur l’ectogène, l’orphelin prénatal, l’homme à l’âme ténébreuse et à l’esprit maléfique, en qui Krug plaçait perversement tant de confiance. Que les vents de l’Arctique te conduisent à ta destruction, né-de-l’Éprouvette. Qu’il me soit accordé la douceur de te voir dégringoler vers le sol gelé et t’écraser sans espoir de guérison.

Clissa Krug dit :

— Thor, pourquoi avez-vous soudain l’air si féroce ?

— Moi ?

— Je vois des nuages de colère assombrir votre visage.

Watchman haussa les épaules.

— Je fais mes exercices d’émotion, Mrs. Krug. Dix minutes d’amour, dix minutes de haine, dix minutes de timidité, dix minutes d’égoïsme, dix minutes de respect, dix minutes d’arrogance. Une heure par jour, et un androide ressemble beaucoup plus à un humain.

— Ne vous moquez pas de moi, dit Clissa. Elle avait de beaux yeux noirs, elle était très jeune, mince, gentille et, supposait Watchman, belle. Vous me dites la vérité ?

— Mais oui, je vous assure. Je m’exerçais à la haine quand vous m’avez surpris.

— Mais en quoi ça consiste, cet exercice ? Je veux dire, est-ce que vous vous répétez juste jehaisjehaisjehais, ou quoi ?

Il sourit à la question de la jeune femme. Regardant par-dessus son épaule, il vit Manuel lui faire un clin d’œil.

— Une autre fois, dit Watchman. Nous arrivons.

Il y avait trois cylindres de levage au niveau supérieur de la tour. Juste au-dessus de la tête de Watchman tremblait la brume grise du champ de répulsion. Le ciel aussi était gris. Le bref jour arctique était presque à sa moitié. Du nord, une tempête de neige arrivait sur eux, suivant le rivage de la baie. Krug, dans le cylindre voisin, se penchait au-dessus de l’intérieur de la tour, montrant quelque chose du doigt à Buckleman et à Vargas ; dans l’autre cylindre, Spaulding, le sénateur Fearon et Maledetto examinaient avec attention la texture satinée des immenses briques de verre composant l’enveloppe extérieure de la tour.

— Quand sera-t-elle terminée ? demanda Clissa.

— Dans moins d’un an, lui dit l’androïde. Le travail avance bien. Le gros problème technique, c’était d’empêcher la terre de se dégeler sous le monument. Mais maintenant que nous l’avons résolu, nous devrions progresser de plusieurs centaines de mètres par mois.

— Mais d’abord, pourquoi avoir choisi cette région, demanda-t-elle, si le sol n’était pas stable ?

— L’isolement. Quand nous commencerons à diffuser les ultra-ondes, elles brouilleront toutes les télécommunications, transmats et générateurs, sur des milliers de kilomètres carrés. Pour ériger sa tour, Krug n’avait le choix qu’entre le Sahara, le désert de Gobi, le désert australien et la toundra. Pour des raisons techniques concernant les transmissions, la toundra a paru préférable – à condition de trouver une solution au problème du réchauffement du sol. Krug nous a dit de construire ici. Donc, nous avons trouvé une solution au problème.