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La violence avec laquelle Krug refusait la divinité était catastrophique pour Watchman. L’androïde vit ce refus s’élever comme un mur lisse de pierres blanches, sans crevasses, sans portes, sans fissures, s’étirant à l’horizon et interdisant au monde d’entrer. Je ne suis pas leur dieu, disait le mur. Je ne suis pas leur dieu. Je ne suis pas leur dieu. Je n’accepte pas. Je n’accepte pas.

Watchman prit de l’altitude, glissa au-dessus de ce mur infini et se posa doucement au-delà.

C’était encore pire.

Là, il trouva une négation totale de toutes les aspirations des androïdes. Il découvrit les attitudes et les réactions de Krug rangées comme des soldats à l’exercice. Que sont les androïdes ? Les androïdes sont des objets sortis d’une cuve. Pourquoi existent-ils ? Pour servir l’humanité. Que pensez-vous du mouvement pour l’égalité des androïdes. Foutaises. Quand devrait-on accorder les droits civiques aux androïdes ? En même temps qu’aux robots et aux ordinateurs. Et aux brosses à dents. Les androïdes sont-ils donc si bêtes ? Certains androïdes sont très intelligents, je dois le reconnaître. Mais certains ordinateurs aussi. Ce sont tous deux des produits manufacturés. Je ne suis pas partisan de la citoyenneté pour les objets. Mais si ces objets sont assez intelligents pour la demander. Et pour prier afin de l’obtenir. Un objet ne peut pas avoir un dieu. Il ne peut qu’imaginer qu’il a un dieu. Je ne suis pas un dieu, quoi qu’ils pensent. Je les ai faits. Je les ai faits. Je les ai faits. Ce sont des objets.

Objets. Objets. Objets. Objets. Objets. Objets.

Objets. Objets. Objets. Objets. Objets. Objets.

Objets. Objets. Objets. Objets. Objets. Objets.

Objets. Objets. Objets. Objets. Objets. Objets.

Un mur. À l’intérieur de ce mur, un autre mur. Plus haut. Plus large. Impossible de surmonter ce rempart. Des gardes le patrouillaient, prêts à déverser des tonneaux de mépris corrosif sur toute personne s’approchant trop près. Watchman entendit des dragons rugir. Le ciel déversa sur lui une cataracte de fiente. Il se recroquevilla. Pauvre objet écrasé par son statut de chose. Il commençait à geler. Il se tenait au bord de l’univers, en un endroit sans matière, et le froid terrible du néant lui remontait le long des jambes. Ici, aucune molécule. Le gel scintillait sur sa peau pourpre. Qu’on le touche, et il résonnerait. Qu’on le frappe, et il s’effriterait. Froid. Froid. Froid. Il n’y a pas de dieu dans cet univers. Il n’y a pas de rédemption. Il n’y a pas d’espoir. Krug me préserve, il n’y a pas d’espoir !

Son corps fondit et fut emporté dans un flot pourpre.

L’alpha Thor Watchman cessa d’exister.

Il ne pouvait y avoir de vie sans espoir. Suspendu dans le vide, privé de tout contact avec l’univers, Watchman médita sur les paradoxes de l’espoir sans existence et de l’existence sans espoir et considéra la possibilité qu’il y eût un anti-Krug trompeur déformant méchamment les sentiments du vrai Krug. Est-ce dans l’âme de l’anti-Krug qu’il était entré ? Est-ce l’anti-Krug qui est si implacablement contre nous ? Y a-t-il encore un espoir de franchir le mur et d’atteindre le vrai Krug derrière ?

Non. Non. Non. Non.

Watchman, comme il acceptait cette vérité dernière et désolante, se sentit revenir à la réalité. Il glissa des altitudes pour se refondre au corps que Krug lui avait donné. Il était de nouveau lui-même, gisant épuisé sur une couche dans une pièce étrange et sombre. Avec effort, il tourna les yeux. Krug était étendu sur la couche voisine de la sienne. Une équipe d’androïdes s’affairait autour d’eux.

— Levez-vous maintenant. Doucement. Pouvez-vous marcher ? Le dédoublement est fini. Terminé pour Mr. Krug. Debout ? Debout.

Watchman se leva. Krug aussi se remettait sur ses pieds. Les yeux de Watchman se détournèrent de ceux de Krug. Krug avait l’air sombre, abattu, vidé. Sans un mot, ils marchèrent ensemble vers la sortie. Sans un mot, ils s’approchèrent du transmat. Sans un mot, ils sautèrent dans le bureau de Krug.

Silence.

Krug le rompit le premier.

— Même après avoir lu votre bible, je n’y croyais pas. À cette profondeur. À cette extension. Mais maintenant je comprends tout. Vous n’aviez pas le droit ! Qui vous a dit de faire de moi un dieu ?

— Notre amour pour vous, dit Watchman d’une voix creuse.

— Votre amour pour vous-mêmes, répliqua Krug. Votre désir de m’utiliser à votre avantage. J’ai tout vu, Thor, quand j’étais dans votre tête. Les plans. Les intrigues. Comment vous avez manipulé Manuel et l’avez poussé à me manipuler.

— Au commencement, nous avons uniquement compté sur la prière, dit Watchman. Peu à peu, l’attente m’a fait perdre patience. J’ai péché en tentant de forcer la Volonté de Krug.

— Vous n’avez pas péché. Le péché suppose… la divinité. Et il n’y en a pas. Mais vous avez fait une erreur de tactique.

— Oui.

— Parce que je ne suis pas dieu et qu’il n’y a en moi rien de sacré.

— Oui, je comprends cela, maintenant. Je comprends qu’il n’y a absolument pas d’espoir.

Watchman se dirigea vers la cabine de transmat.

— Où allez-vous ? demanda Krug.

— Il faut que je parle à mes amis.

— Je n’en ai pas fini avec vous !

— Désolé, dit Watchman. Il faut que je m’en aille. J’ai de mauvaises nouvelles à leur annoncer.

— Attendez, dit Krug. Il faut que nous discutions de cela. Je veux faire un plan avec vous pour démanteler cette religion ridicule. Maintenant que vous comprenez quelle folie…

— Excusez-moi, dit Watchman. Il n’avait plus envie d’être près de Krug. De toute façon, la présence de Krug serait toujours avec lui, imprimée dans son âme, maintenant. Il ne se souciait pas de discuter du démantèlement de l’Église avec Krug. Le froid continuait à monter dans son corps ; il se transformait en glace. Il ouvrit la porte du transmat.

Krug traversa la pièce à une vitesse étonnante.

— Nom d’un chien, vous croyez pouvoir vous en aller comme ça ? Il y a deux heures, j’étais votre dieu ! Et maintenant vous ne voulez même plus recevoir aucun ordre de moi ? Il saisit Watchman et l’éloigna de force du transmat.