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— Non, Seigneur. Si je contreviens à la coutume en quoi que ce soit, Seigneur Alton, veuillez considérer que c’est par ignorance et non pour vous offenser volontairement.

Dom Esteban fit signe aux deux jeunes gens de s’asseoir près d’Ellemir et Damon.

— Ann’dra, dit-il, prononçant le nom avec une inflexion caractéristique de Ténébreuse, je ne sais rien de vraiment mauvais sur ton peuple, mais je sais aussi peu de choses qui soient vraiment favorables. Je suppose que vous êtes comme tous les peuples, parfois bons, parfois mauvais, la plupart du temps ni l’un ni l’autre. Si tu étais mauvais, je ne crois pas que ma fille serait prête à t’épouser en dépit du bon sens et de toutes les coutumes. Mais ne me blâme pas si je ne me réjouis pas de donner ma fille préférée à un homme qui n’est pas de notre monde, et qui, de plus, n’a jamais eu l’occasion de prouver qu’il est brave et honorable.

Andrew, assis près d’Ellemir, sentit la jeune fille crisper les mains en entendant son père qualifier Callista de « fille préférée ». Dire ça en sa présence, c’était cruel, pensa-t-il. Après tout, c’est Ellemir qui était restée à la maison, en fille docile et dévouée, pendant toutes ces années. Indigné de ce manque de tact, il parla d’un ton froid.

— Je peux seulement vous dire, Seigneur, que j’aime Callista et que j’essaierai de la rendre heureuse.

— À mon avis, son bonheur n’est pas au milieu de ton peuple. As-tu l’intention de l’emmener sur ton monde ?

— Si vous n’aviez pas consenti à notre mariage, Seigneur, je n’aurais pas eu le choix.

Mais aurait-il pu, réellement, emmener cette jeune fille si sensible, élevée parmi des télépathes, dans la Zone Terrienne, pour l’emprisonner au milieu des gratte-ciel et des machines, l’exposer à des gens qui la regarderaient comme une curiosité exotique ? Son laran aurait passé pour folie ou charlatanerie.

— Etant donné la situation, Seigneur, je resterai ici avec joie. Ainsi, je pourrai peut-être vous prouver que les Terriens ne sont pas aussi différents que vous le pensez.

— Je le sais déjà. Me trouves-tu ingrat ? Je sais parfaitement bien que, sans toi, Callista serait morte dans les cavernes, et que les terres de Kilghard languiraient toujours dans leur pénombre maléfique.

— Le mérite en revient davantage à Damon qu’à moi, Seigneur, dit Andrew avec conviction.

Esteban eut un bref éclat de rire.

— Comme dans un conte de fées, il convient que vous soyez tous deux récompensés par la main de mes filles et la moitié de mon royaume. Enfin, je n’ai pas de royaume à donner, Ann’dra, mais tu auras ici la place d’un fils, toute ta vie, et, si vous le désirez, vos enfants après vous.

Callista était rayonnante. Elle se leva, s’agenouilla près de son père et murmura :

— Merci.

La main d’Esteban s’attarda un moment sur ses tresses cuivrées, puis, par-dessus sa tête inclinée, il dit d’une voix rude mais pleine de bonté :

— Viens Ann’dra, t’agenouiller pour recevoir ma bénédiction.

Un peu embarrassé par l’étrangeté de la situation, Andrew s’agenouilla auprès de Callista. Il pensa machinalement que cette scène semblerait folle et ridicule à l’astroport, mais qu’à Rome… Pourtant, tout au fond de lui, il était ému par ce geste. Il sentit la main puissante et calleuse d’Esteban sur sa tête, et, grâce au don télépathique récemment découvert et qui le surprenait toujours, il perçut un étrange mélange d’émotions : méfiance, mêlée à une sympathie spontanée. Il était certain d’avoir capté ce que son futur beau-père pensait de lui ; et, à sa grande surprise, c’était assez semblable à ce qu’il éprouvait pour le seigneur Comyn.

Puis, essayant de parler d’une voix égale, il dit – avec la certitude qu’Esteban lisait aussi dans ses pensées :

— Je vous en suis reconnaissant, Seigneur, et j’essaierai d’être un bon fils.

Dom Esteban dit d’un ton bourru :

— Comme tu vois, j’ai besoin de deux bons fils. Mais dis-moi, vas-tu m’appeler « Seigneur » toute ta vie ?

— Non, bien sûr, mon père.

Il se releva, et, comme il s’éloignait, rencontra le regard du jeune Dezi, debout et silencieux derrière Esteban. Des yeux attentifs et coléreux – oui, et pleins de ce qu’Andrew interpréta comme du ressentiment et de l’envie.

Pauvre enfant, pensa-t-il. J’arrive ici en étranger, et on me traite en membre de la famille. Et lui, il appartient à la famille et Esteban le traite comme un domestique, comme un chien ! Pas étonnant qu’il soit jaloux !

4

Il fut décidé que le mariage aurait lieu quatre jours plus tard, dans l’intimité, sans invités d’honneur à part Léonie, et quelques amis des domaines voisins. Cela laissait juste le temps de prévenir Domenic, l’héritier de Dom Esteban à Thendara, et les frères de Damon à Serrais, pour le cas où ils voudraient venir.

La veille des noces, les deux jumelles étaient allongées côte à côte dans la chambre qu’elles avaient partagée avant le départ de Callista pour Arilinn. Ellemir dit enfin, avec quelque tristesse :

— J’avais toujours pensé que mon mariage serait un jour de fête, avec belles toilettes et grands festins, et toute notre parenté présente pour se réjouir avec nous, et non pas un mariage bâclé en présence de quelques campagnards ! Enfin, avec Damon pour mari, je peux me passer des autres et du reste, mais quand même…

— J’en suis désolée, Elli, car je sais que c’est de ma faute, dit Callista. Tu épouses un seigneur Comyn du Domaine de Ridenow ; tu devrais donc te marier par les catenas avec toutes les festivités d’usage. Andrew et moi, nous te gâchons cette fête.

Une fille Comyn ne pouvait se marier di catenas selon l’antique cérémonie sans la permission du Conseil Comyn. Et Callista savait très bien qu’il n’y avait aucune chance que le Conseil accordât sa main à un étranger, un roturier – un Terrien ! Ils avaient donc choisi la cérémonie la plus simple, connue sous le nom de mariage libre, qui se faisait par simple déclaration devant témoins.

Ellemir perçut la tristesse de sa sœur et dit :

— Enfin, comme Papa dit toujours, le monde suit son cours, et non celui que toi ou moi aurions choisi. À la prochaine session du Conseil, nous irons tous à Thendara, Damon me l’a promis. Et nous aurons tout le loisir de nous amuser.

— Et d’ici là, ajouta Callista, mon mariage avec Andrew sera suffisamment établi pour que rien ni personne n’y puisse rien changer.

Ellemir éclata de rire.

— Ce serait bien ma chance si je me trouvais enceinte, et dans l’impossibilité de prendre part aux réjouissances ! Non que ce soit un malheur d’engendrer immédiatement un enfant de Damon.

Callista se taisait, pensant à toutes les années passées à la Tour, où elle s’était privée de tous les rêves de jeunes filles, sans regret parce qu’ils lui étaient inconnus. Percevant ces désirs dans la voix d’Ellemir, elle dit, hésitante :

— Tu voudrais vraiment un enfant tout de suite ?

— Oh oui ! Pas toi ? s’exclama Ellemir en riant.

— Je n’y avais pas pensé, dit lentement Callista. Il y a tant d’années que je n’ai pas pensé au mariage, à l’amour, aux enfants… Je suppose qu’Andrew voudra des héritiers, tôt ou tard, mais il me semble qu’un bébé devrait être désiré pour lui-même, et non parce que c’est notre devoir vis-à-vis de notre clan. J’ai passé tant d’années à la Tour, ne pensant qu’à mon devoir envers les autres, que j’ai envie d’avoir un peu de temps pour ne penser qu’à moi-même. Et à… à Andrew.