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Margween Elhalyn se leva, très pâle.

— Sommes-nous obligés d’écouter ces… ces sacrilèges ? Nous, qui avons fait don de nos vies aux Tours, sommes-nous obligés d’entendre blasphémer notre choix par cette… cette ignorante, qui devrait être au coin du feu en train de coudre sa layette, au lieu de discourir sottement de choses qu’elle ne comprend pas !

— Attends, dit Rohana Ardais, attends, Margween. Moi aussi, j’ai été formée dans une Tour, et j’ai été contrainte de renoncer à ce travail que j’aimais pour me marier et donner des fils au clan de mon mari. Il y a une certaine sagesse dans les paroles de Dame Ellemir. Ecoutons-la sans l’interrompre.

Mais le tapage réduisit Rohana au silence. Lorill Hastur rappela l’assemblée à l’ordre, et Damon se souvint avec tristesse que Lorill aussi avait été formé à la Tour de Dalereuth, et qu’il l’avait quittée lorsqu’il avait hérité de la charge de Régent du Conseil.

— Tu ne disposes pas du droit de vote au Conseil, Ellemir. Tu peux choisir de sortir avec les matrones que nous avons désignées, ou de rester ici. Tu n’as pas d’autre option.

— Je reste auprès de mon mari, dit Ellemir, prenant le bras de Damon.

— Seigneur, dit Cassilda Hastur, troublée, a-t-elle le droit de choisir si son choix met son enfant en danger ? Elle a déjà fait une fausse couche, et ce bébé est héritier d’Alton. La sécurité de l’enfant n’est-elle pas plus importante que son désir sentimental de rester près de Damon ?

— Au nom de tous les Dieux, Cassilda ! protesta Rohana. Ce n’est plus une enfant ! Elle comprend ce qui est en jeu ! Crois-tu qu’il suffit de l’éloigner du père de son enfant pour la rendre indifférente à son sort, comme si c’était une vache laitière ? Rassieds-toi et laisse-la tranquille !

Ainsi rembarrée, la jeune Dame Hastur se rassit.

— Damon Ridenow, fais ton choix. Livreras-tu ta matrice de bonne grâce, ou faudra-t-il te l’enlever de force ?

Damon regarda Ellemir, suspendue à son bras, Callista étincelante de bijoux et de révolte, et Andrew, debout un pas derrière lui. S’adressant à eux, non à Lorill, il dit :

— Puis-je parler en votre nom à tous ? Callista, désires-tu retourner à Arilinn sous la tutelle de Léonie ?

Léonie regardait Callista avec une angoisse fébrile, et, soudain, Damon comprit tout.

Léonie ne s’était jamais permis d’aimer. Mais elle pouvait aimer Callista, comme elle vierge jurée, l’aimer de toute la force refoulée de ses émotions réprimées. Pas étonnant qu’elle n’ait pas voulu délier Callista, qu’elle ait rendu sa défection impossible. Son amour pour la jeune femme ne comportait pas la moindre trace de sexualité, mais c’était néanmoins de l’amour, aussi réel que la passion sans espoir de Damon pour Léonie.

Callista gardait le silence, et Damon se demanda quel serait son choix. La vie à Arilinn lui semblerait-elle plus attirante que celle qu’ils lui offraient, moins compliquée, moins douloureuse ? Puis il comprit que le silence de Callista venait de sa compassion, de sa répugnance à rejeter l’amour et la protection de Léonie. Elle hésitait à blesser la femme qui avait chéri et protégé l’enfant solitaire de la Tour. Ce fut avec les larmes aux yeux qu’elle prit la parole.

— J’ai été relevée de mon serment. Je ne le prêterai pas de nouveau. Moi aussi, je resterai auprès de mon mari.

Maintenant, ils ne faisaient plus qu’un tous les quatre ! La voix de Damon s’éleva, vibrante de défi :

— Ecoutez-moi donc, dit-il, serrant Ellemir contre lui, farouchement protecteur. Pour ma femme, je remercie les nobles Dames Comyn, mais nul autre que moi ne prendra soin d’elle tant que je vivrai. Quant à Andrew, c’est mon frère juré. Toi-même, Lorill Hastur, pendant la construction de l’astroport, tu as décrété que les Terriens et les natifs de Ténébreuse pouvaient se lier mutuellement par des accords privés qui tomberaient sous le coup des lois des Domaines. Andrew et moi avons prêté le serment de bredin, et je suis personnellement responsable de son honneur comme du mien. En conséquence, en ma qualité de régent d’Alton, je considérerai son mariage avec Callista aussi valide que le mien. Quant à moi, poursuivit-il se tournant vers Léonie et s’adressant plus particulièrement à elle, je suis Gardien, et uniquement responsable devant ma conscience.

— Toi ? Gardien ? s’écria-t-elle avec mépris. Toi, Damon ?

— Tu m’as toi-même servi de guide lors de l’Exploration Temporelle, et c’est Varzil le Bon qui m’a nommé tenerézu, rétorqua-t-il, employant à dessein la forme archaïque masculine du mot.

— Tu ne peux pas citer comme témoin un homme mort depuis des siècles, dit Lorill.

— Tu m’as pourtant cité à comparaître selon des lois datant de cette époque, dit Damon, et la structure que j’ai érigée dans le surmonde témoigne de mes capacités. Tels étaient la loi et le test en ce temps-là. Je suis Gardien. J’ai élevé ma Tour. Je relèverai le défi.

Léonie était livide.

— Cette loi est en sommeil depuis les Ages du Chaos.

Toi aussi, tu vis conformément à des lois mortes depuis longtemps. Il se contenta de penser ces paroles, mais Léonie les entendit, de même que toute personne possédant le laran dans la Chambre de Cristal.

— Qu’il en soit ainsi, dit-elle, pâle comme la mort. Tu as invoqué l’antique test du droit et de la responsabilité du Gardien. Toi et Callista, vous êtes des renégats d’Arilinn, c’est donc à Arilinn que revient le choix de l’épreuve. Ce sera un duel, Damon, et tu connais le châtiment en cas d’échec. Non seulement toi et Callista, mais vos conjoints – si l’un de vous survivait, ce qui est très improbable – vous seriez dépouillés de vos matrices et vos centres du laran brûlés, pour servir d’exemples et d’avertissements à quiconque voudrait s’emparer de la charge et de la puissance de Gardien, sans en être digne.

— Je vois que tu connais les conséquences, Léonie, dit Callista. Dommage que tu ne les aies pas connues si bien quand on m’a faite Gardienne.

Ignorant cette intervention, Léonie continua à fixer Damon dans les yeux.

— Je subirai l’épreuve et son châtiment, dit Damon, mais réalises-tu que tu les subiras toi-même avec tout Arilinn si tu ne remportes pas la victoire ?

Elle rétorqua avec fureur :

— Nous risquerions tous bien davantage pour punir l’insolence de ceux qui ont érigé une Tour interdite à notre porte !

— Assez ! s’écria Lorill, tendant la main pour imposer le silence. Il y aura épreuve et duel entre la Tour d’Arilinn et sa Gardienne, Léonie Hastur, et…

Il hésita un instant.

— … et la Tour interdite et celui qui s’est lui-même proclamé son Gardien, Damon Ridenow. Le combat commencera demain à l’aube.

— J’attends l’épreuve de pied ferme, dit Léonie, impassible.

— Moi aussi, dit Damon. Jusqu’à demain à l’aube, Léonie.

Il donna une main à Ellemir, l’autre à Callista. Andrew resta un pas derrière eux. Sans regarder en arrière, ils quittèrent la Chambre de Cristal.

Jusqu’à l’aube. Il avait parlé avec bravoure. Mais pourraient-ils faire échec à Léonie et à toutes les forces d’Arilinn ?

Il le fallait. Ils devaient vaincre ou mourir.

22

La première chose que fit Damon en rentrant dans la suite Alton fut d’installer un amortisseur télépathique, pour isoler la chambre de Dom Esteban. Il expliqua à Ferrika ce qu’il faisait.