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— Damon, comment et pourquoi un tel secret a-t-il pu se perdre ?

Car il rendait inutile le choix cruel que Léonie lui avait imposé dans son enfance, que d’autres Gardiennes du passé avaient accepté, dans leur loyalisme désintéressé envers les Comyn et les Tours.

— Comment a-t-on pu abandonner cela pour accepter une telle vie ? demanda-t-elle, d’une voix encore émerveillée des expériences de la nuit.

— Je ne sais pas, dit tristement Damon, et je ne sais pas non plus s’ils l’accepteront maintenant. Ce secret menace tout ce qu’on leur a enseigné, rend inutiles leurs souffrances et leurs sacrifices, en fait des actes de folie.

Son cœur se serra, car il savait que ce qu’il faisait, comme toutes les grandes découvertes, recélait des semences de discorde. Prenant parti pour l’un ou l’autre camp dans ce violent conflit, des hommes et des femmes mourraient, et il vit, avec une angoisse infinie, qu’une fille de son sang, au nom et au visage de fleur, mais qui n’aurait pas pour mère l’une des deux femmes présentes en cette chambre, serait sauvagement assassinée pour avoir osé essayer d’apporter ces connaissances à Arilinn même. Heureusement, la vision s’évanouit. Il fallait vivre dans l’instant présent, et ne pas s’inquiéter du passé ni de l’avenir.

— Arilinn, comme toutes les autres Tours, vit selon des décisions prises par nos ancêtres. Ils devaient avoir des raisons valables à l’époque, mais qui ne le sont plus aujourd’hui. Je ne veux pas obliger les cercles de Tour à abandonner leur mode de vie, si c’est vraiment leur choix, et si, après avoir pris conscience des sacrifices qu’il exige, sachant qu’il existe maintenant une alternative, ils décident de s’y tenir quand même. Mais je veux qu’ils sachent qu’il existe une alternative. Et si moi, travaillant seul et hors la loi, j’ai trouvé une alternative, c’est qu’il doit en exister d’autres, des douzaines d’autres, dont certaines seraient sans doute plus acceptables pour eux que la mienne. Mais je revendique le droit, pour moi et pour mon cercle, de travailler selon ma propre méthode, et selon des règles qui nous semblent justes et convenables.

Cela semblait si simple et rationnel. Pourquoi les menacer de mort et de mutilation pour ça ? Pourtant, Callista savait que la menace existait et qu’elle serait mise à exécution.

Andrew dit à Ellemir :

— Je ne m’inquiète pas pour toi, mais je voudrais être sûr que ton enfant ne court aucun danger.

Il ne faisait que dire tout haut ce qu’elle pensait tout bas. Pourtant elle répondit d’une voix ferme :

— Tu fais confiance à Damon, oui ou non ? S’il pensait qu’il y a un danger quelconque, il me l’aurait expliqué, pour que je puisse choisir en toute connaissance de cause.

— J’ai confiance en lui.

Mais, se dit Andrew, Damon ne pensait-il pas que, s’ils perdaient la bataille, il serait inutile qu’aucun d’eux survécût, y compris Ellemir et l’enfant ? Il écarta fermement cette idée. Damon était leur Gardien. La seule responsabilité d’Andrew, c’était de décider si oui ou non Damon était digne de confiance, puis de se fier à lui et de suivre ses directives, sans aucune réserve mentale. C’est pourquoi il demanda :

— Par quoi commençons-nous ?

— Nous construisons notre Tour, et nous l’étayons de toutes nos forces. Elle existe depuis longtemps, mais elle n’est que ce que nous l’imaginons.

Il ajouta à l’adresse d’Ellemir :

— Tu n’es jamais venue dans le surmonde ; tu m’as simplement surveillé pendant que j’y séjournais. Unis-toi à moi mentalement, et je t’y ferai pénétrer.

D’un puissant élan mental, il fut dans le surmonde, Ellemir à son côté dans la grisaille informe. D’abord flous, puis plus nets d’instant en instant dans la surlumière, il distingua les murs protecteurs de leur structure.

Au début, ce n’avait été qu’un grossier abri, un peu comme une cabane de berger, visualisé presque par hasard. Mais à chaque usage successif, il s’était développé et renforcé, et maintenant une véritable Tour s’élevait autour d’eux, aux grands murs bleus translucides, aussi réels au toucher et sous les pas que la chambre du Château Comyn où ils avaient consommé leur union à quatre. En fait, ils avaient apporté ce monde avec eux, parce que cette union à quatre et sa consommation étaient l’expérience la plus importante qu’ils aient jamais vécue.

Comme toujours dans le surmonde, Damon se sentit plus grand, plus fort, plus assuré, ce qui était l’essentiel. À son côté, Ellemir ressemblait beaucoup moins à Callista que dans le monde solide. Physiquement, elles étaient très semblables, mais ici, où c’était l’esprit qui déterminait l’apparence physique elles étaient très dissemblables. Damon avait assez de notions de génétique pour se demander si elles étaient bien de vraies jumelles. Si elles ne l’étaient pas, Callista pourrait porter un enfant de lui avec beaucoup moins de risques qu’Ellemir. Mais c’était une pensée pour un autre temps, un autre niveau de conscience.

Au bout d’un instant, Andrew et Callista les rejoignirent dans le surmonde. Il remarqua que Callista n’avait pas revêtu les voiles écarlates de la Gardienne. Percevant sa pensée, elle sourit en disant :

— Je te laisse cette charge, Damon.

Pour un duel entre Gardiens, peut-être aurait-il dû revêtir le cramoisi rituel sacro-saint chez les Gardiennes, mais il aurait eu l’impression d’un sacrilège, et brusquement, il comprit pourquoi.

Il ne voulait pas combattre selon les lois d’Arilinn ! Il n’était pas Gardien selon leurs règles cruelles, mais il était tenerézu d’une tradition plus ancienne, et défendait son droit à l’être ! Il portait les couleurs de son Domaine, et cela suffisait.

Andrew prit position deux pas derrière lui, comme un écuyer ou un garde du corps. Damon donna la main droite à Ellemir, la gauche à Callista ; il sentit leurs doigts d’une légèreté aérienne, comme toujours dans le surmonde. Il dit à voix basse :

— Le soleil se lève sur notre Tour. Sentez sa force autour de vous. Nous l’avons bâtie pour nous abriter. Mais maintenant, elle doit perdurer, non seulement pour nous, mais en tant que symbole pour tous les techniciens des matrices qui refusent les cruelles contraintes des Tours, abri et phare pour tous ceux qui viendront après nous.

Andrew, bien qu’entouré de la Tour bleue et translucide, avait l’impression que le soleil brillait à travers les murs, répandant une lumière écarlate.

Des éclairs fulgurèrent, aveuglants, et un moment, la Tour chancela, trembla, comme si la substance même du surmonde l’absorbait dans sa grisaille. C’est commencé, pensa Damon ; voilà l’attaque qu’ils attendaient. Etroitement liés les uns aux autres, ils sentaient les murs de la Tour autour d’eux, forts et protecteurs, et Damon transmit une explication à Ellemir et Andrew, moins expérimentés que lui.

Ils vont essayer de détruire la Tour, mais comme c’est notre visualisation qui lui donne sa solidité, ils ne peuvent lui nuire que si notre propre perception est défaillante.

Pour s’amuser, les techniciens en formation se livraient parfois des duels dans le surmonde, où la pensée-matière prenait des formes infinies, et où toutes leurs constructions mentales pouvaient se balayer d’une pensée aussi vite qu’elles avaient été créées. Les éclairs fulguraient sur la Tour dans un tonnerre assourdissant, et, tout en sachant que ce n’était qu’une illusion, Damon éprouva un instant une peur physique purement irrationnelle. Ce pouvait être un jeu dangereux, car ce qui arrivait au corps du monde astral pouvait, par répercussion, arriver aussi au corps physique lui-même. Mais ils étaient en sécurité derrière les murs de leur Tour.