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— Nous avons un proverbe semblable, dit Damon. Il dit : N’essaye pas d’acheter du poisson dans les Villes Sèches.

Il fit le tour de la pièce qu’il avait choisie pour chambre conjugale.

— Ces rideaux n’ont pas été aérés depuis l’époque de Régis IV ! Je vais dire au majordome de les changer.

Il tira une sonnette, et, quand le majordome parut, lui donna ses ordres.

— Ce sera fait d’ici ce soir, seigneur, et vous pourrez emménager ici avec vos épouses. Ah, Seigneur Damon, on m’a dit de vous informer que votre frère, le Seigneur Serrais, était arrivé pour assister à votre mariage.

— Très bien, je te remercie. Si tu trouves Dame Ellemir, demande-lui de venir pour voir si les arrangements que j’ai pris lui conviennent, dit Damon.

Quand le serviteur fut parti, il fit la grimace.

— Mon frère Lorenz ! Je suppose que la sympathie qu’il éprouve pour mon mariage ne me ferait pas grand mal si elle me tombait sur le pied ! J’espérais la présence de mon frère Kieran, ou au moins de ma sœur Marisela, mais je suppose que je devrais me sentir honoré de la venue de Lorenz et aller le remercier.

— Tu as beaucoup de frères ?

— Cinq, dit Damon, et trois sœurs. J’étais le plus jeune des fils, et mes parents avaient déjà trop d’enfants avant ma naissance. Lorenz…

Il haussa les épaules et poursuivit :

— Il doit être soulagé, je suppose, que je prenne femme dans une bonne famille. Ainsi, il n’a pas besoin de discutailler sur le patrimoine et la part revenant au dernier fils. Je ne suis pas riche, je n’ai jamais désiré l’être, et nous avons assez pour vivre, Ellemir et moi. Je n’ai jamais été très proche de Lorenz. Kieran – il n’a que trois ans de plus que moi – Kieran et moi, nous étions bredin ; Marisela n’a qu’un an de différence avec moi, et nous avons eu la même nourrice. Quant à mes autres frères et sœurs, nous nous traitons avec courtoisie quand nous nous rencontrons au Conseil, mais je suppose qu’aucun ne pleurerait s’il ne devait jamais plus voir les autres. Ma famille a toujours été ici. Ma mère était une Alton, j’ai grandi ici, et le fils aîné de Dom Esteban et moi, nous sommes partis ensemble dans les Cadets. Nous avions prêté le serment de bredin.

C’était la deuxième fois qu’il employait ce mot, forme intime de « frère ». Damon soupira et regarda dans le vague un moment.

— Tu as été cadet ?

— Un très mauvais cadet, mais aucun fils Comyn ne peut y échapper s’il a deux yeux et deux jambes. Coryn était, comme tous les Alton, soldat né, officier né. Moi, c’était autre chose, dit-il en riant. Il y a une plaisanterie chez les cadets, sur celui qui a deux pieds droits et dix pouces. C’était moi.

— Tout le temps de corvée, hein ?

Damon hocha la tête en connaisseur.

— Onze fois de corvée en dix jours. Je suis droitier, tu comprends. Ma nourrice – la sage-femme de ma mère – disait que j’étais né à l’envers, le derrière en avant, et j’ai tout fait comme ça depuis.

Andrew, qui était né gaucher dans une société de droitiers, et qui avait dû attendre d’arriver sur Ténébreuse pour trouver des outils à sa main, lui dit :

— Comme je te comprends !

— Je suis un peu myope aussi, ce qui n’arrangeait rien, quoique tout cela m’ait poussé à apprendre à lire. Mes frères arrivent tout juste à déchiffrer une affiche ou à griffonner leur nom au bas d’un contrat, mais moi j’ai mordu aux études comme un poisson à l’hameçon. Aussi, quand mon temps dans les cadets s’est terminé, je suis allé à Nevarsin, où j’ai passé un an ou deux à apprendre la lecture, l’écriture et un peu de cartographie. C’est alors que Lorenz a décidé que je ne serais jamais un homme. Idée qui s’est trouvée confirmée quand on m’a accepté à Arilinn. Moitié moine, moitié eunuque, disait-il.

Damon se tut, le visage crispé de contrariété. Il reprit enfin :

— Malgré tout, il n’a pas été content quand on m’a renvoyé de la Tour, il y a quelques années. Pour l’amour de Coryn – Coryn était mort, pauvre ami, tombé du haut d’une falaise – Dom Esteban m’a pris dans les Gardes. Mais je n’ai jamais rien valu comme soldat. J’ai surtout été officier sanitaire, et maître des cadets pendant un ou deux ans.

Il haussa les épaules.

— Et voilà ma vie. Bon, assez parlé de ça. Ecoute, les femmes arrivent ; nous pouvons leurs montrer les appartements avant que je descende voir Lorenz.

Andrew vit avec soulagement que la tristesse introspective de Damon disparaissait à l’entrée d’Ellemir et Callista.

— Viens, Ellemir, viens voir l’appartement que j’ai choisi pour nous.

Il l’entraîna par la porte la plus éloignée, et Andrew sentit, plus qu’il n’entendit, qu’il l’embrassait. Callista les suivit des yeux en souriant.

— Je suis contente de les voir si heureux.

— Es-tu heureuse aussi, mon amour ?

— Je t’aime, Andrew, dit-elle. Mais il n’est pas aussi facile pour moi de me réjouir. J’ai peut-être le cœur moins léger par nature. Viens, montre-moi notre appartement.

Elle approuva pratiquement tout, mais signala une demi-douzaine de sièges qui, dit-elle, étaient si vieux qu’il n’était pas prudent de s’asseoir dessus, et, elle les fit enlever par un domestique. Elle appela des servantes et leur donna l’ordre d’aller chercher du linge dans les réserves et d’apporter ses vêtements entreposés dans les immenses placards de son dressing-room. Andrew l’écouta en silence puis s’exclama :

— Quelle maîtresse de maison, Callista !

Elle eut un rire ravi.

— Ce n’est qu’une apparence. Toute ma science vient d’avoir écouté Ellemir, c’est tout, parce que je ne veux pas avoir l’air ignorante devant les servantes. Sinon, je m’y connais très peu. Je sais coudre, parce qu’il faut toujours s’occuper les mains, mais quand je regarde Ellemir évoluer dans les cuisines, je réalise que je sais moins tenir une maison qu’une enfant de dix ans.

— J’ai la même impression pour moi, confessa Andrew. Tout ce que j’ai appris dans la Zone Terrienne m’est totalement inutile maintenant.

— Mais tu sais dresser les chevaux…

— Oui, et dans la Zone Terrienne, on trouvait ça anachronique et inutile, dit Andrew en riant. Autrefois, c’est moi qui dressais les chevaux de mon père, mais, quand j’ai quitté l’Arizona, je croyais bien ne jamais plus monter.

— Alors, tout le monde se déplace à pied sur Terra ?

Il secoua la tête.

— Non. Par véhicules à moteurs. Les chevaux n’étaient plus qu’un luxe exotique pour riches excentriques.

Il s’approcha de la fenêtre et contempla la campagne baignée de soleil.

— Comme c’est étrange que, de tous les mondes connus de l’Empire Terrien, je sois justement venu sur celui-ci.

Il frissonna, car il s’en était fallu de peu qu’il ne connût jamais ce qu’il considérait maintenant comme son destin, sa vie, la fin pour laquelle il était né. Il eut une envie folle de prendre Callista dans ses bras, mais, comme si elle avait perçu sa pensée, elle se raidit et pâlit. Il soupira et recula d’un pas.

Elle dit, comme pour compléter une pensée qui ne l’intéressait plus beaucoup :

— Notre maître-entraîneur est déjà vieux, et, comme Papa n’est plus là pour s’en occuper, ce sera peut-être à toi de former les jeunes.

Elle s’interrompit et le regarda, tordant dans sa main le bout d’une de ses tresses.