Выбрать главу

— Deux mariages pour un ! s’exclama-t-il, montant le perron entre eux. Tu en as mis du temps à faire ta cour, Damon. L’année dernière, je savais que tu la voulais ; pourquoi t’a-t-il fallu une guerre pour te décider à demander sa main ? Elli, ça ne te fait rien d’avoir un mari si récalcitrant ?

Tournant la tête d’un côté puis de l’autre, il les embrassa l’un après l’autre, puis se retourna vers Callista.

— Et toi, un amoureux assez déterminé pour t’arracher à la Tour ! Il me tarde de connaître cette merveille, breda !

Mais sa voix s’était faite plus douce, et, quand Callista lui présenta Andrew, il s’inclina devant lui. Malgré son exubérance et son rire juvénile, il avait des manières de prince. Ses mains, petites et carrées, étaient calleuses comme celles d’un bretteur.

— Ainsi, tu vas épouser Callista ? Je suppose que ça ne va pas plaire à toutes les vieilles perruques du Conseil, mais il était temps d’avoir un peu de sang neuf dans la famille.

Il se haussa sur la pointe des pieds – Callista était grande, et Domenic, bien que déjà de taille respectable, n’avait pas encore terminé sa croissance – et lui effleura légèrement la joue de ses lèvres.

— Sois heureuse, ma sœur ! Et qu’Avarra t’aie en sa miséricorde ! Tu le mérites, si tu oses te marier ainsi sans la permission du Conseil et sans les catenas.

— Les catenas, dit-elle avec mépris. Autant alors épouser un Séchéen et vivre dans les chaînes !

— Bravo, ma sœur.

Il se tourna vers Andrew en entrant dans le hall.

— Dans son message, Papa me dit que tu es Terrien. J’en ai rencontré beaucoup à Thendara. Ils sont sympathiques, mais paresseux. Grands dieux, ils ont des machines pour tout : pour s’éviter de marcher, pour s’éviter de monter les escaliers, pour leur apporter à manger à table. Dis-moi, Andrew, est-ce que vous avez des machines pour vous essuyer en sortant du bain ?

Il éclata de rire tandis que ses sœurs pouffaient.

— Tu ne reviens donc pas à la Garde, mon cousin ? continua-t-il en se tournant vers Damon. Tu es le seul bon maître des cadets que nous ayons eu depuis une éternité. Le jeune Danvan Hastur s’y essaye en ce moment, mais sans beaucoup de succès. Il impressionne trop les garçons, et d’ailleurs, il est trop jeune. Il nous faut un homme plus âgé. Tu as des suggestions ?

— Essayez mon frère Kieran, proposa Damon en souriant. Le métier de soldat lui plaît plus qu’à moi.

— Tu étais quand même un sacré maître des cadets, dit Domenic. J’aimerais bien que tu reviennes, mais je suppose que ce n’est pas un travail pour un homme marié, de servir de nounou à ces gosses !

Damon haussa les épaules.

— J’étais content qu’ils m’aiment, mais je ne suis pas un soldat, et un maître des cadets doit être capable d’inspirer l’amour de l’armée à ses élèves.

— L’amour de l’armée ! Pas trop quand même, dit Dom Esteban, qui les avait écoutés avec intérêt tandis qu’ils approchaient. Sinon, il les endurcira et en fera des brutes et non des hommes. Ainsi, tu es enfin venu, Domenic, mon fils ?

Le jeune homme éclata de rire.

— Non, Papa, je suis toujours en train de m’amuser dans une taverne de Thendara. Et ce que tu vois ici, c’est mon fantôme.

Puis toute joie disparut de son visage en voyant son père amaigri, grisonnant, ses jambes paralysées cachées par une couverture en peau de loup. Il s’agenouilla près du fauteuil roulant et dit d’une voix brisée :

— Papa, oh, Papa, je serais venu n’importe quand si tu m’avais envoyé chercher…

Le seigneur Alton posa les mains sur les épaules de Domenic.

— Je le sais, mon enfant, mais ta place était à Thendara, puisque je ne peux pas y être. Pourtant, ta vue réjouit mon cœur plus que je ne puis l’exprimer.

— Moi aussi, je suis content de te voir, dit Domenic se relevant et regardant son père. Et content aussi de ta vigueur. À Thendara, on disait que tu étais mourant, ou même mort et enterré !

— Je n’en suis pas encore là, dit Dom Esteban en riant. Viens t’asseoir près de moi, et raconte-moi tout ce qui se passe dans la Garde et au Conseil.

Andrew pensa : ce joyeux garçon est la prunelle de ses yeux.

— Avec plaisir, Papa. Mais c’est un jour de noces et de fêtes, et ce que j’ai à t’en dire n’est guère réjouissant ! Le Prince Aran Elhalyn trouve que je suis trop jeune pour commander les Gardes, bien que tu sois ici terrassé par ta blessure, et il le chuchote nuit et jour à l’oreille des Hastur. Et Lorenz de Serrais – excuse-moi de dire du mal de ton frère, Damon…

Damon secoua la tête.

— Nous ne sommes pas en très bons termes, mon frère et moi, Domenic. Alors, dis tout ce que tu voudras.

— Lorenz donc – maudit soit son esprit tortueux de renard – et Gabriel d’Ardais, qui veut le poste pour son soudard de fils, reprennent en chœur que je suis trop jeune pour commander la Garde. Nuit et jour, ils accablent Aran de flatteries, et de cadeaux presque assez beaux pour être des pots-de-vin, pour le persuader de nommer l’un d’eux commandant, pendant que tu es ici, retenu par la maladie ! Reviendras-tu pour la Fête du Solstice d’Eté, Papa ?

Une ombre passa sur le visage de l’infirme.

— Il en sera ce qu’en décideront les Dieux, mon fils. Crois-tu que les Gardes voudraient être commandés par un infirme sur un fauteuil, aux jambes aussi inutiles que des nageoires ?

— Mieux vaut un commandant paralysé qu’un commandant qui ne soit pas un Alton, dit Domenic avec une fierté farouche. Je pourrais commander en ton nom et tout faire à ta place, si tu étais seulement là, pour commander comme les Alton l’ont toujours fait depuis des générations !

Son père lui serra la main, très fort.

— Nous verrons, mon fils. Nous verrons ce qui se passera.

Damon vit que cette seule idée avait redonné espoir et énergie au seigneur Alton. Serait-il vraiment capable de commander les Gardes de son fauteuil, avec l’aide de Domenic ?

— Dommage que nous n’ayons pas une Dame Bruna dans notre famille, dit gaiement Domenic. Dis-moi, Callista, ne veux-tu pas prendre l’épée comme le fit Dame Bruna, et commander les Gardes ?

Elle secoua la tête en riant. Damon dit :

— Je ne connais pas cette histoire.

Domenic commença donc en souriant :

— Ça se passait il y a des générations – combien, je ne sais pas – mais son nom et son histoire figurent sur la liste des Commandants. Dame Bruna Leynier, à la mort du seigneur Alton, son frère, qui laissait un fils de neuf ans, contracta un mariage libre avec la mère du garçon, comme les femmes peuvent le faire, et prit le commandement des Gardes jusqu’à ce que l’enfant soit en âge de succéder à son père. Et il est écrit aussi qu’elle fut un chef remarquable. Cette gloire te plairait-elle, Callista ? Non. Ellemir ?

Devant leur refus, il secoua la tête avec une feinte tristesse.

— Hélas, que sont devenues les femmes de notre clan ? Elles ne sont plus ce qu’elles étaient !

Tous les enfants étaient groupés autour du fauteuil de Dom Esteban ; leur ressemblance était frappante. Domenic avait les mêmes traits qu’Ellemir et Callista, avec des cheveux plus désordonnés et des taches de rousseur plus prononcées. Et Dezi, silencieux et discret derrière le fauteuil roulant, était comme un pâle reflet de Domenic. Domenic, levant les yeux, le vit et lui donna une tape amicale sur l’épaule.