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— Mais se comporterait-il ainsi avec une femme dont il penserait qu’elle est sa sœur.

— Sa demi-sœur, dit Callista, et chez nous, demi-sœurs et demi-frères peuvent avoir des rapports charnels et même se marier, bien qu’on considère ces liens consanguins mauvais pour les enfants. D’ailleurs, tout le monde trouve normal de plaisanter et de chahuter à un mariage. Ce qu’il a fait était donc assez grossier, certes, mais pas choquant. Je suis trop sensible, et il est très jeune.

Mais elle avait toujours l’air désolée, angoissée, et Andrew se répéta qu’il aurait vraiment dû réduire ce garçon en bouillie. Puis, à retardement, il se demanda s’il n’avait pas été trop dur avec Dezi. Il n’était ni le premier ni le dernier à se montrer odieux parce qu’il avait trop bu.

Il dit avec douceur, considérant ses traits tirés :

— Ce sera bientôt terminé, mon amour.

— Je sais… Connais-tu la coutume ? demanda-t-elle après une courte hésitation.

— Damon m’en a parlé, dit-il, ironique. Il paraît qu’il y a un coucher public, abondamment assaisonné de plaisanteries douteuses.

Elle hocha la tête en rougissant.

— Je suppose que cela favorise la procréation des enfants, et dans cette contrée, c’est très important pour un jeune couple, comme tu l’imagines. Alors, nous devrons simplement… faire aussi bonne figure que possible.

Ecarlate, elle le regarda en disant :

— Je suis désolée. Je sais que ce sera encore pire…

Il secoua la tête.

— Je ne crois pas, dit-il en souriant. De toute façon, une telle scène m’aurait ôté tous mes moyens.

Il perçut une ombre de remords sur son visage, et éprouva le besoin douloureux de la rassurer, de la réconforter.

— Ecoute, dit-il gentiment, considérons la chose ainsi : laissons-les rire, mais faisons à notre idée. Ce sera notre secret, cela se passera en son temps. Laissons-les donc s’amuser en attendant tranquillement qu’ils aient fini.

Elle soupira, puis lui sourit en disant :

— Si tu le prends vraiment comme ça…

— Vraiment, mon amour.

— J’en suis contente, dit-elle en un souffle. Regarde toutes les filles qui entraînent Ellemir.

Elle ajouta vivement, devant son air consterné :

— Elles ne lui font pas mal. C’est la coutume d’obliger la mariée à lutter un peu. Cela remonte au temps où l’on mariait les filles sans leur consentement, mais ce n’est plus qu’un jeu de nos jours. Regarde, les serviteurs de mon père l’ont ramené dans ses appartements, et Léonie va se retirer aussi, pour que les jeunes puissent faire tout le bruit qu’ils veulent.

Mais Léonie ne se retira pas ; elle les rejoignit, muette et sombre dans ses voiles écarlates.

— Callista, veux-tu que je reste, mon enfant ? En ma présence, les plaisanteries seront peut-être un peu plus modérées et décentes.

Andrew se rendit compte que Callista appréciait la proposition, mais elle sourit, et effleura la main de Léonie, comme font les télépathes.

— Je te remercie, ma cousine. Mais je… je ne dois pas commencer en privant tout le monde de son plaisir. Aucune mariée n’est jamais morte d’embarras, et je suis sûre que je ne serai pas la première.

Et Andrew, la regardant, se prépara à subir stoïquement les obscénités qu’on avait pu inventer pour une Gardienne qui avait renoncé à sa virginité rituelle ; il se rappela la vaillante jeune fille qui plaisantait bravement lorsqu’elle était prisonnière, seule et terrifiée, dans les grottes de Corresanti.

C’est pour ça que je l’aime tellement, se dit-il.

— Comme tu voudras, ma chérie, dit Léonie avec douceur. Accepte ma bénédiction.

Elle s’inclina gravement devant eux et sortit.

Comme si son départ avait ouvert les digues, un flot de jeunes gens et jeunes filles les emporta dans son tourbillon.

— Callista, Ann’dra, vous perdez votre temps ici, la nuit s’avance. Vous n’avez rien de mieux à faire que bavarder ?

Il vit Damon que Dezi tirait par la main. Domenic prit la sienne, et, entraîné loin de Callista, il vit une foule de jeunes filles se rassembler autour d’elle. Quelqu’un cria :

— Nous allons la préparer pour toi, Ann’dra, pour que tu n’aies pas à profaner ses voiles sacrés !

— Venez, tous les deux, cria Domenic avec entrain. Tous ces garçons aimeraient sûrement mieux finir la nuit à boire, mais ils doivent faire leur devoir ; il ne faut pas faire attendre la mariée.

Damon et lui furent traînés dans l’escalier, puis poussés dans le séjour séparant les deux appartements préparés le matin.

— Ne vous trompez pas de côté, surtout, cria le Garde Caradoc d’une voix avinée. Quand les mariées sont jumelles, comment un mari, saoul de surcroît, peut-il savoir s’il est bien dans les bras de son épouse ?

— Quelle différence ? demanda un étrange jeune homme. C’est leur affaire, non ? Et la nuit, tous les chats sont gris. S’ils prennent leur main droite pour leur main gauche, quelle importance ?

— On va commencer par Damon. Il a trop perdu de temps, et il doit se dépêcher d’accomplir son devoir envers son clan, dit gaiement Domenic.

Damon fut vivement dépouillé de ses vêtements et revêtu d’une longue robe d’intérieur. La porte de la chambre s’ouvrit cérémonieusement, et Ellemir parut en négligé transparent, ses longs cheveux cuivrés cascadant dans son dos et sur ses seins. Elle était rouge et secouée d’un fou rire incontrôlable, mais Andrew sentit qu’elle était prête à éclater en sanglots. Assez, pensa-t-il, c’en est trop. Tout le monde aurait dû sortir et les laisser seuls.

— Damon, dit Domenic avec solennité, je t’ai préparé un cadeau.

Andrew constata avec soulagement que Damon était juste assez saoul pour être de bonne humeur.

— C’est très gentil de ta part, mon beau-frère. Qu’est-ce que c’est ?

— C’est un calendrier, où j’ai noté les jours de pleine lune. Si tu fais ton devoir ce soir, par exemple, j’ai marqué en rouge la date où naîtra ton premier fils !

Damon, le visage congestionné d’hilarité contenue, lui aurait aussi bien lancé le calendrier à la tête, mais il l’accepta de bonne grâce, et se laissa mettre au lit cérémonieusement auprès d’Ellemir. Domenic dit quelque chose à sa sœur qui se cacha le visage sous les draps, puis conduisit les assistants à la porte avec une feinte solennité.

— Et maintenant, pour que nous puissions terminer tranquillement la nuit à boire, sans être dérangés par ce qui pourra se passer derrière ces portes, j’ai un autre cadeau pour les heureux mariés. Je vais installer un amortisseur télépathique devant votre porte…

Damon, perdant enfin patience, s’assit dans son lit et lui jeta un oreiller à la tête.

— Assez, c’est assez, cria-t-il. Dehors, et fichez-nous la paix !

Comme s’ils n’attendaient que ça, tous les assistants se dirigèrent vivement vers les portes.

— Vraiment, le tança Domenic, le visage sévère, ne peux-tu contenir ton impatience un peu plus, Damon ? Ma pauvre petite sœur, livrée à la merci de cet individu bestial !

Mais il ferma les portes derrière lui, et Andrew entendit Damon se lever et pousser le verrou. Au moins, il y avait une limite aux plaisanteries gaillardes, et Damon et Ellemir étaient enfin seuls.

Mais maintenant, c’était son tour. Il y avait quand même un bon côté à cette mise en scène, pensa-t-il, lugubre. Le temps qu’ils aient terminé leurs plaisanteries, il serait trop fatigué – et trop furieux – pour désirer autre chose que dormir.

Ils le poussèrent dans la chambre où Callista attendait, entourée de jeunes filles : amies d’Ellemir, servantes, jeunes nobles du voisinage. On l’avait dépouillée de ses voiles écarlates et revêtue du même négligé transparent qu’Ellemir ; ses cheveux dénoués cascadaient sur ses épaules nues. Elle leva vivement les yeux vers lui, et il eut un instant l’impression qu’elle était beaucoup plus jeune qu’Ellemir, perdue et vulnérable.