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— Vraiment ? dit Léonie, d’un ton incrédule, le visage froid et sarcastique. Ayant résolu d’être infidèle à ton serment, je m’étonne que tu aies attendu que je t’en délie !

Cette fois, il fallut à Callista toute sa maîtrise afin de ne pas exploser de colère, pour se défendre, pour défendre Andrew – puis elle réalisa que Léonie l’éprouvait pour voir si elle avait perdu le contrôle de ses émotions si strictement disciplinées. Elle connaissait ce jeu depuis le début de son séjour à Arilinn, et, à ce souvenir, son soulagement fut tel qu’elle en eut envie de rire. Le rire aurait été aussi impensable que les larmes en cette confrontation solennelle, mais c’est avec une certaine gaieté, et elle savait que Léonie le percevait, qu’elle répondit, d’un ton à la fois calme et amusé :

— Nous avons une sage-femme à Armida, Léonie ; convoque-la, si tu veux, et fais-lui certifier ma virginité.

Ce fut à Léonie de baisser les yeux.

— Ce ne sera pas nécessaire, mon enfant, dit-elle enfin. Mais je suis venue ici, préparée, s’il le fallait, à apprendre que tu avais été violée.

— Par des non-humains ? Non. J’ai souffert la peur, le froid, la prison, la faim et les mauvais traitements, mais le viol m’a été épargné.

— Cela n’aurait pas vraiment tiré à conséquence, tu sais, dit Léonie d’une voix très douce. Naturellement, une Gardienne n’a généralement pas à craindre le viol. Tu sais aussi bien que moi que tout homme qui pose la main sur une Gardienne formée comme tu l’as été, met sa vie en danger. Pourtant, le viol reste possible. Certaines femmes ont été prises par la force brutale, et certaines redoutent, au dernier moment, d’invoquer la force qui les protégerait. C’est donc cela, entre autres choses, que je suis venue te dire : même si tu avais été violée, tu aurais toujours le choix, mon enfant. Ce n’est pas l’acte physique qui compte, tu le sais.

Callista ne le savait pas, et fut vaguement étonnée.

Léonie continua d’une voix neutre :

— Si tu avais été prise sans ton consentement, tu n’aurais rien souffert qu’une période de réclusion ne pourrait guérir, pour te donner le temps de cicatriser tes blessures et de dominer tes peurs. Mais même sans qu’il soit question de viol, si tu t’étais donnée à ton libérateur, après coup, par reconnaissance ou bonté, sans qu’il y ait engagement profond – comme tu l’aurais très bien pu – ce ne serait pas irrévocable. Tu aurais pu faire une retraite, pour reprendre ton entraînement, et tu aurais été comme avant, inchangée, intacte, libre de nouveau d’être Gardienne. Cela est peu connu ; nous en gardons le secret, pour des raisons évidentes. Mais tu as toujours le choix, mon enfant. Tu ne dois pas penser que tu es rejetée de la Tour à jamais à cause d’un événement survenu sans que ta volonté y prenne part.

Léonie parlait toujours d’une voix calme, presque impassible, mais Callista savait qu’en réalité elle la suppliait. Callista, déchirée de douleur et étreinte d’une profonde pitié, dit :

— Non, il ne s’agit pas de cela, Léonie. Ce qui s’est passé entre nous… c’est tout différent. J’en suis venue à l’aimer et à le connaître avant même d’avoir vu son visage en ce monde. Et il est trop homme d’honneur pour me demander de rompre un serment avant d’en être relevée.

Léonie leva la tête, et ses yeux bleu acier lancèrent soudain des éclairs.

— Est-ce qu’il est trop homme d’honneur, dit-elle durement, ou que tu es trop effrayée ?

Callista sentit son cœur déchiré comme par un coup de poignard, mais elle répondit d’une voix égale :

— Je n’ai pas peur.

— Pas peur pour toi, peut-être – je veux bien l’admettre ! Mais peur pour lui, Callista ? Tu peux encore revenir à Arilinn, sans dommage, sans châtiment. Mais si tu n’y reviens pas – veux-tu que le sang de ton amant retombe sur ta tête ? Tu ne serais pas la premier Gardienne responsable de la mort d’un homme !

Callista releva la tête, ouvrit la bouche pour protester, mais Léonie lui imposa le silence d’un geste et poursuivit, impitoyable :

— As-tu été capable de toucher ne serait-ce que sa main ?

Envahie d’un soulagement si puissant qu’il en était presque douloureux, Callista se retrouva sans forces. Avec la mémoire absolue des télépathes, ses souvenirs lui revinrent, annihilant tout ce qui s’était passé entretemps…

Andrew l’avait emportée dans ses bras de la grotte où le Grand Chat gisait mort, cadavre calciné, près de la matrice fracassée qu’il avait profanée. Andrew, après l’avoir enveloppée de son manteau, l’avait assise devant lui sur son cheval. Elle s’était appuyée contre lui, il enserrait son corps de ses deux bras, et son cœur battait contre sa joue. Elle se sentait en sécurité, au chaud, heureuse, totalement apaisée. Pour la première fois depuis qu’elle était devenue Gardienne, elle se sentait libre de toucher et d’être touchée, serrée ainsi dans ses bras et pleinement en paix. Et elle était restée dans ses bras pendant toute la longue chevauchée vers Armida, enveloppée de son manteau, heureuse d’un bonheur qu’elle n’aurait jamais imaginé.

Comme son image mentale se communiquait à l’esprit de Léonie, celle-ci changea de visage. Elle dit enfin, d’une voix plus douce que Callista ne lui avait jamais entendue :

— Est-ce vrai, chiya. Eh bien, si Avarra t’accorde sa miséricorde, il en sera comme tu le désires. Je ne croyais pas que c’était possible.

Et Callista ressentit une étrange inquiétude. Après tout, elle n’avait pas été totalement sincère envers Léonie. Oui, pendant ce voyage, elle était enflammée d’amour, intrépide, parfaitement satisfaite – puis, peu à peu, les anciennes contraintes avaient repris leurs droits, au point que maintenant elle trouvait difficile de toucher seulement ses doigts. Mais cela n’était dû qu’à l’habitude, à une habitude remontant à des années, se disait-elle. Tout s’arrangerait sans doute…

Léonie dit avec bonté :

— Cela te rendrait donc bien malheureuse de te séparer de ton amant, mon enfant ?

Callista s’aperçut que tout son calme s’était envolé. Elle dit, sachant que sa voix tremblait et que ses yeux s’emplissaient de larmes :

— Je ne désirerais plus vivre, Léonie.

— Ainsi…

Léonie la regarda un long moment avec une tristesse lointaine et terrible.

— Comprend-il à quel point ce sera difficile, mon enfant ?

— Je crois – je suis sûre que je pourrai le lui faire comprendre, dit Callista, hésitante. Il m’a promis d’attendre aussi longtemps qu’il le faudrait.

Léonie soupira. Au bout d’un moment, elle reprit :

— Eh bien, mon enfant… je ne veux pas que tu sois malheureuse. Car, comme je te l’ai dit, le fardeau d’une Gardienne est trop lourd pour le porter à contrecœur.

En un geste curieusement déterminé et cérémonieux, elle tendit la main, paume en l’air et Callista y posa la sienne, paume contre paume. Léonie prit une profonde inspiration et dit :

— Je te relève de ton serment, Callista Lanart. Devant les Dieux et devant les hommes, je te déclare sans faute et déliée de tes liens, et je m’en porterai garante.

Leurs mains se séparèrent lentement. Callista tremblait de tous ses membres. Léonie, tirant son mouchoir, lui essuya les yeux, et dit :

— Je prie que vous ayez tous deux assez de forces.

Elle sembla sur le point d’ajouter quelque chose mais se ravisa et poursuivit :

— Eh bien, mon enfant, je suppose que ton père aura bien des commentaires à faire, alors, descendons les écouter, ma chérie.

Elle sourit et ajouta :

— Et quand il les aura faits, nous lui dirons ce que j’ai décidé, que cela lui plaise ou non. N’aie pas peur, mon enfant ; je ne crains pas Esteban Lanart, et tu ne le dois pas non plus.