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— Fedic, aux frontières de Tonnefoudre, sur le Sentier du Rayon ! Sur V Shardick, V Maturin, la Route de la Tour Som…

L’arme de Roland ne parla qu’une seule fois. La balle frappa la chose agenouillée au milieu du front, achevant la destruction de son visage en ruine. Elle fut projetée en arrière, et Eddie vit sa chair partir en fumée verte, aussi évanescente qu’une aile de frelon. L’espace d’une seconde, Eddie vit les dents de Chevin de Chayven flotter en l’air comme un funeste chapelet de corail, puis elles disparurent.

Roland abaissa son arme et la rangea dans son holster. Puis il pointa les deux doigts qui lui restaient à la main droite et les porta devant son visage, en signe de bénédiction.

— Va en paix, dit le Pistolero.

Puis il défit la boucle de son ceinturon et l’enroula autour du pistolet.

— Roland, est-ce que c’était… un lent mutant ?

— Si fait, je suppose qu’on pourrait l’appeler ainsi, pauvre vieillard. Mais les Rodericks viennent d’au-delà de toutes les terres que j’ai connues, même si avant que le monde change, ils prêtaient grâce à Arthur l’Aîné.

Il se tourna vers Eddie, ses yeux bleus scintillant dans son visage fatigué.

— Fedic, c’est là que Mia est allée accoucher, j’en suis certain. C’est là qu’elle a emmené Susannah. Près du dernier château. Il va finalement falloir qu’on retourne à Tonnefoudre, mais l’urgence, c’est Fedic. C’est bon à savoir.

— Il a dit qu’il était désolé pour quelqu’un. Pour qui ?

Roland se contenta de secouer la tête, sans répondre à la question d’Eddie. Un camion Coca-Cola les dépassa à vive allure, et le tonnerre gronda au loin, vers l’ouest.

— Fedic de la Discordia, murmura le Pistolero. Fedic de la Mort Rouge. Si on peut sauver Susannah — et Jake —, on fera machine arrière, en direction des Callas. Mais nous n’y retournerons que lorsque notre tâche sera accomplie. Et quand nous reprendrons la route du sud-est, alors…

— Quoi ? demanda Eddie, la gorge serrée. Alors quoi, Roland ?

— Alors plus rien ne nous arrêtera, jusqu’à la Tour.

Il tendit les mains, et observa leur léger tremblement. Puis il leva les yeux vers Eddie. Il avait l’air fatigué, mais pas apeuré.

— Jamais je n’ai été aussi proche. J’entends tous mes amis disparus, et leurs pères disparus, qui murmurent à mon oreille. Ils murmurent dans le souffle de la Tour même.

Eddie contempla le Pistolero pendant une bonne minute, à la fois fasciné et effrayé, puis fournit un effort presque physique pour briser le charme.

— Bon, fit-il en se dirigeant vers la portière conducteur de la Ford, si jamais une de ces voix te souffle quoi dire à Cullum — le meilleur moyen de le convaincre de faire ce qu’on attend de lui —, n’hésite pas à me tenir au courant.

Eddie monta en voiture et ferma sa portière avant que Roland ait pu répondre. En imagination, il revit Roland lever son gros revolver. Il le revit viser la créature agenouillée, et appuyer sur la détente. C’était là l’homme qu’il disait son dinh, et son ami. Mais pouvait-il affirmer sans ciller que Roland ne lui réserverait pas le même traitement… à lui ou à Suze… ou à Jake… si son cœur lui dictait que cela le rapprocherait de sa Tour ? Il ne pouvait l’affirmer. Et pourtant il le suivrait. Il l’aurait suivi, même s’il avait été certain dans son cœur — oh, Dieu l’en garde ! — que Susannah était morte. Parce qu’il le fallait. Parce que Roland était devenu pour lui bien plus qu’un dinh ou qu’un ami.

— Mon père, murmura Eddie à mi-voix, juste avant que Roland ne grimpe à ses côtés.

— Tu m’as parlé, Eddie ?

— Oui. J’ai dit une sacrée paire, voilà ce qu’on est.

Roland acquiesça d’un hochement de tête. Eddie enclencha la première et engagea de nouveau la Ford dans le Chemin du Dos de la Tortue. Toujours au loin — mais un peu plus près qu’auparavant — le tonnerre gronda de nouveau.

CHAPITRE 4

Dan-tete

1

Alors que l’heure du bébé approchait, Susannah Dean jeta un regard autour d’elle, faisant de nouveau le décompte de ses ennemis, comme Roland le lui avait enseigné.

Tu ne dois jamais dégainer, lui avait-il appris, avant de savoir combien sont contre toi, ou bien avant d’être sûre et certaine que tu n’as aucun moyen de le savoir, ou bien avant d’avoir décidé que le jour de ta mort est venu.

Elle aurait donné cher pour se débarrasser de cet horrible casque qu’on lui avait fixé sur la tête, qui lui perforait le cerveau et déchiffrait ses pensées. Mais, quel que fût cet engin, il se souciait peu des calculs de Susannah. Ce qui était décidément une bonne chose.

Il y avait Sayre, le grand chef. L’ignoble, avec un de ces yeux rouges sanguinolents vibrant au milieu du front. Il y avait Scowther, le médecin penché entre les jambes de Mia, se préparant à officier pour l’accouchement. Sayre avait légèrement malmené le docteur, quand ce dernier avait fait preuve d’un petit peu trop d’arrogance, mais ça n’avait pas l’air d’avoir nui à son efficacité. Cinq autres ignobles venaient compléter l’équipe de Sayre, mais elle n’avait retenu que deux de leurs noms. Celui avec les bajoues de bouledogue et le double bide dégoulinant s’appelait Haber. À côté d’Haber se tenait la chose-oiseau avec les plumes marron sur la tête et les yeux vicieux de faucon. Son nom semblait être Jey, ou peut-être Gee. Ça en faisait sept, tous armés de ce qui ressemblait à des armes automatiques, rangées dans des crocs de débardeur. Celui de Scowther pointait négligemment sous sa blouse blanche, à chaque fois qu’il se baissait. Susannah avait déjà décidé que ce serait le sien.

Elle avait aussi dénombré trois choses humanoïdes, pâles et attentives, au-delà du lit de Mia. Ceux-là, avec leur aura bleu sombre, c’étaient les vampires, Susannah en était pratiquement certaine. Sans doute du genre que leur avait décrit Callahan, les Type Trois. (Une fois, le Père les avait appelés « requins pilotes »). Ce qui faisait dix. Deux des vampires portaient des bahs, le troisième une sorte de sabre électrique, qui en veille ne formait qu’un bâton luminescent. Si elle réussissait à s’emparer de l’arme de Scowther (quand tu réussiras à t’en emparer, ma grande, corrigea-t-elle — elle avait lu La Puissance de la Pensée Positive, et elle croyait toujours en chacune des paroles du Révérend Peale[4]), elle commencerait par s’attaquer à l’homme au sabre électrique. Dieu seul savait les ravages qu’une telle arme pouvait engendrer, mais Susannah Dean n’avait pas très envie de le découvrir par elle-même.

Elle nota aussi la présence d’une infirmière à tête de ragondin gris. L’œil rouge et pulsatile au milieu de son front fit penser à Susannah que la plupart des autres folken ignobles portaient des masques humains, sans doute pour ne pas effrayer leur gibier, en se baladant dans les rues de New York. Peut-être n’avaient-ils pas tous l’air de rats, en dessous, mais elle aurait juré qu’aucun d’entre eux n’avait le physique de Cary Grant. L’infirmière à tête de rongeur était la seule dans la pièce à ne pas porter d’arme — du moins, à ce que pouvait en voir Susannah.

Onze en tout. Onze, dans cette vaste infirmerie quasi déserte qui ne se situait pas dans les entrailles de Manhattan, contrairement à ce qu’on essayait de lui faire croire. Et si elle voulait leur régler leur compte, il lui faudrait passer à l’action pendant qu’ils s’occuperaient du bébé de Mia — de son précieux p’tit gars.

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4

Le Révérend et franc-maçon Norman Vincent Peale est l’auteur de livres intitulés entre autres La Puissance de la Pensée Positive, Quand on veut on peut, ou L’enthousiasme fait la différence. (N.d.T.)