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— Vous allez me tuer ? demanda Fimalo.

— Nenni, dit Roland. Car tu n’as pas encore accompli ton devoir. Une autre tâche t’attend.

Fimalo releva la tête, une lueur d’intérêt faisant pétiller ses yeux chassieux.

— Votre fils ?

— Le mien, et celui de ton maître. Voudrais-tu lui transmettre un mot de ma part, pendant votre palabre ?

— Si je suis encore vivant pour le faire, bien sûr.

— Dis-lui que je suis vieux et malin, alors que lui n’est qu’un petit jeune. Dis-lui que s’il s’arrête, il survivra encore un moment avec ses rêves de vengeance… bien que je ne sache pas ce que je lui ai fait qui suscite sa soif de vengeance. Et dis-lui que s’il vient de l’avant, je le tuerai, tout comme j’ai l’intention de tuer son Père Rouge.

— Ou bien vous écoutez sans entendre, ou bien vous entendez sans croire, dit Fimalo.

À présent que sa propre ruse avait été révélée (rien de bien exotique, finalement, se dit Susannah ; en fait d’uffi, ils se retrouvaient avec un malheureux publicitaire du nord de l’État de New York), il avait l’air incroyablement las.

— Vous ne pouvez tuer une créature qui s’est donné la mort. Vous ne pouvez non plus pénétrer dans la Tour Sombre, car il n’y a qu’une entrée, et elle est commandée du balcon sur lequel est enfermé Los’. Et il est suffisamment armé. Rien que les vifs d’argent vous détecteraient et viendraient vous massacrer avant que vous ayez traversé la moitié du champ de roses.

— C’est ce qui nous inquiète, dit Roland, et Susannah se fit la remarque qu’il avait rarement parlé avec autant de sincérité : elle s’en inquiétait effectivement déjà. Pour ce qui te concerne, transmettras-tu mon message à Mordred, quand tu le verras ?

Fimalo eut un geste de consentement.

Roland secoua la tête.

— Ne te contente pas d’agiter la main ainsi vers moi, goujat — je veux l’entendre de ta bouche.

— Je transmettrai votre message, dit Fimalo, avant d’ajouter : si je le vois, et si on palabre.

— Ce sera le cas. Bonne journée à vous, monsieur, conclut Roland en se retournant, mais Susannah le saisit par le bras et le fit pivoter.

— Jurez-moi que tout ce que vous nous avez dit était vrai, supplia-t-elle en regardant l’hideux vieillard assis sur ce pont pavé, sous le regard froid des corbeaux, qui commençaient à reprendre leurs anciennes positions. Ce qu’elle voulait apprendre ou prouver par cette question, elle n’en avait pas la moindre idée. Saurait-elle reconnaître les mensonges de cet homme, même maintenant ? Sans doute pas. Pourtant elle n’en insista pas moins.

— Jurez-le sur le nom de votre père, et sur son visage, aussi.

Le vieil homme leva la main droite vers elle, paume tournée vers l’extérieur, et Susannah constata que ses mains non plus n’avaient pas été épargnées par les plaies.

— Je le jure sur le nom d’Andrew John Cornwell de Tioga Springs, dans l’État de New York. Et sur son visage, aussi. Le Roi de ce château est vraiment devenu fou, et il a vraiment brisé les Cristaux de l’Arc-en-Ciel du Magicien en sa possession. Il a réellement forcé les membres du personnel à avaler du poison et les a tous regardés mourir.

D’un geste vif de la main qu’il avait levée pour promettre, il désigna la panière remplie de membres humains.

— Où croyez-vous que j’aie récupéré tout ça, Dame Merlette ? Chez Plaies Mobiles ?

Elle ne comprit pas la référence, et ne bougea pas.

— Il est vraiment parti pour la Tour Sombre. Il est comme ce chien dans je ne sais plus quelle vieille fable, qui veut s’assurer que, s’il n’arrive pas à avoir le bout de viande, personne d’autre ne l’aura. Je ne vous ai même pas menti sur le contenu de ces paniers, pas vraiment. Je vous ai simplement montré la marchandise, et je vous ai laissés en tirer vos propres conclusions.

Son sourire cynique trahissait un tel plaisir que Susannah se demanda si elle se devait de lui rappeler que Roland au moins avait vu clair dans son petit jeu. Puis elle décida que ça n’en valait pas la peine.

— Je ne vous ai fait qu’un seul véritable mensonge, avoua l’ancien Austin Cornwell. C’est qu’il m’avait fait décapiter.

— Es-tu satisfaite, Susannah ? lui demanda Roland.

— Oui, répondit-elle, alors qu’elle ne l’était pas — pas vraiment. Allons-y.

— Alors grimpe dans le Ho Fat, et ne lui tourne pas le dos quand il fera mine de s’éloigner. Il est sournois.

— Tu m’en diras tant, conclut Susannah, avant de s’exécuter.

— Que vos jours soient longs et vos nuits plaisantes, dit l’ancien sai Cornwell, assis au milieu des serpents mourants qui se tortillaient. Que l’Homme Jésus veille sur vous et sur tout votre clan-fam. Et je vous souhaite de retrouver vos esprits tant qu’il est temps, et de ne pas vous approcher de la Tour Sombre !

6

Ils revinrent sur leurs pas jusqu’à l’intersection qui les avait éloignés du Sentier du Rayon pour les mener au château du Roi Cramoisi, et là Roland décida de s’arrêter quelques minutes. Un petit filet de brise s’était levé, et la bannière patriotique claquait au vent. Susannah constata qu’elle avait à présent l’air vieux et passé. Les photos de Nixon, Lodge, Kennedy et Johnson avaient été défigurées par des graffitis, anciens eux aussi. Tout le glam — ce glam délabré que le Roi Cramoisi avait réussi à créer, il fallait le reconnaître — avait disparu.

Bas les masques, tombez les masques, se dit-elle avec lassitude. C’était une fête magnifique, mais elle est à présent terminée… et la Mort Rouge plane au-dessus de tous.

Elle toucha le bouton qu’elle sentait à côté de sa bouche, puis inspecta le bout de son doigt. Elle s’attendait à y voir du sang ou du pus, voire les deux. Mais son doigt était propre. Elle en éprouva un grand soulagement.

— Tu crois un mot de tout ça ? demanda Susannah au Pistolero.

— Je crois même presque tout, répondit-il.

— Alors il est là-haut. Dans la Tour.

— Pas dedans. Enfermé dehors.

Il sourit.

— Ça change tout.

— Vraiment ? Et qu’est-ce que tu vas lui faire ?

— Je ne sais pas.

— Est-ce que tu crois qu’en prenant le contrôle de nos armes, il pourrait pénétrer à l’intérieur et monter jusqu’au sommet ?

— Oui.

Pas une seconde d’hésitation.

— Et qu’est-ce que tu vas y faire ?

— L’empêcher de mettre la main dessus.

On aurait dit qu’il énonçait des évidences, et Susannah se dit que c’en étaient probablement. Ce qu’elle avait une fâcheuse tendance à oublier, c’est que Roland était un foutu prosaïque. Pour tout.

— Tu avais l’intention de piéger Mordred, au château.

— Oui, acquiesça Roland. Mais étant donné ce qu’on y a trouvé — et ce qu’on y a entendu — il m’a paru plus sage de changer de décor. Plus simple. Regarde.

Il sortit la montre et fit sauter le clapet d’une pichenette. Ils constatèrent que la trotteuse courait toujours en solitaire. Mais allait-elle à la même vitesse qu’auparavant ? Susannah n’en était pas certaine, mais il lui semblait que non. Elle leva les yeux vers Roland, les sourcils arqués d’un air interrogateur.

— La plupart du temps, elle marche normalement, dit le Pistolero. Mais plus tout le temps. Je pense qu’elle perd au moins une seconde tous les six ou sept tours. Peut-être de trois à six minutes par jour, tout compris.