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Plutôt que de lui tapoter les fesses, Scowther souffla par petits coups directement dans les yeux du p’tit gars. Le bébé de Mia cligna des paupières en une mimique comique (et indéniablement humaine) de surprise. Il inspira à son tour, retint son souffle une seconde, puis laissa l’air s’échapper. Il avait beau être le Roi des Rois, ou le pourfendeur de tous les mondes, il entrait dans l’existence comme l’avaient fait tant d’autres avant lui, dans un braillement d’indignation. Mia fondit en larmes de reconnaissance, en entendant ce cri. Les créatures démoniaques réunies autour de la nouvelle mère étaient peut-être les esclaves du Roi Cramoisi, mais cela ne les rendait pas pour autant insensibles au spectacle auquel elles venaient d’assister. Il y eut un tonnerre de rires et d’applaudissements. Susannah constata avec dégoût qu’elle se joignait instinctivement à eux. Le bébé balaya les alentours du regard, avec une expression ébahie.

Sanglotante, les larmes lui ravinant les joues et la morve lui coulant du nez, Mia tendit les bras.

— Donnez-le-moi ! pleurnicha-t-elle.

Ainsi pleurnichait Mia, fille de personne et mère d’un seul.

— Laissez-moi le tenir ! Je vous en supplie, laissez-moi tenir mon fils ! Donnez-moi mon p’tit gars ! Donnez-moi mon précieux !

Et au son de la voix de sa mère, le bébé tourna la tête. Susannah aurait cru une telle chose impossible, mais elle aurait cru tout aussi impossible de voir naître un enfant totalement éveillé, avec une bouche pleine de dents et une érection de tous les diables. Pourtant, hormis ces détails, le bébé lui semblait parfaitement normal : grassouillet et bien formé, humain, et donc chéri. Il y avait bien cette marque rouge sur son talon, mais combien d’enfants, par ailleurs complètement normaux, naissaient avec une tache de naissance ou une autre minuscule anomalie ? Son propre père n’était-il pas né avec une main rouge, selon la légende familiale ? Quant à cette marque, on ne la verrait même pas, sauf peut-être à la plage.

Tenant toujours le nouveau-né près de son visage, Scowther jeta un regard à Sayre. Il y eut un instant suspendu, pendant lequel Susannah aurait aisément pu s’emparer de l’automatique de Scowther. L’idée ne lui traversa même pas l’esprit. Elle avait oublié le cri télépathique de Jake ; elle avait oublié aussi facilement la visite étrange de son mari et de Roland. Elle était aussi fascinée que Jey, Straw, Haber et toute la clique, fascinée en cet instant précis par l’arrivée d’un enfant dans ce monde éreinté.

Sayre hocha la tête de manière quasi imperceptible, et Scowther déposa bébé Mordred, qui gémissait toujours (et qui regardait toujours par-dessus son épaule, vraisemblablement en direction de sa mère) dans les bras impatients de Mia.

Mia le tourna et le retourna pour pouvoir le contempler, et le cœur de Susannah se glaça de désarroi et d’horreur. Car Mia était devenue folle. C’était là, dans ses yeux, criant d’évidence. C’était dans la façon qu’avait sa bouche de se tordre et de sourire en même temps, tandis que de la bave rosie et épaissie par le sang de sa langue qu’elle avait mordue lui dégoulinait sur le menton. Et surtout, c’était dans son rire triomphal. Peut-être reviendrait-elle à la lucidité dans les jours à venir, mais…

C’te ga’ce va jamais ’ev’ni’, intervint Detta sans aucune compassion. L’est allée t’op loin, pis l’a fallu qu’elle s’en déba’asse, c’est t’op pou’elle. Elle a pété un câble, tu l’sais aussi bien qu’moi !

— Oh, quelle beauté ! ronronna Mia. Oh, vois tes yeux bleus, ta peau aussi blanche que le ciel avant les premières neiges de la Pleine Terre ! Vois tes tétons, ces petites baies parfaites, vois ta bite et tes couilles, aussi lisses et douces que de la peau de pêche !

Elle jeta un regard autour d’elle, d’abord vers Susannah — la dévisageant sans la reconnaître le moins du monde, à l’évidence — puis vers le reste de l’assemblée.

— Regardez un peu mon p’tit gars, bande de misérables, bande de gonicks, mon précieux, mon bébé, mon garçon ! leur hurla-t-elle, leur cracha-t-elle au visage comme un ordre, riant avec ses yeux déments et pleurant avec sa bouche tordue. Voyez pour quoi j’ai renoncé à l’éternité ! Voyez mon Mordred, voyez-le bien, car jamais plus vous n’en verrez de tels que lui !

En haletant violemment, elle couvrit de baisers le visage sanguinolent et effaré du bébé, se souillant la bouche au point de ressembler à une ivrogne qui aurait essayé de se mettre du rouge à lèvres. Elle riait en embrassant le pli rebondi dans le cou de son enfant, ses tétons, son nombril, le petit bout saillant de son pénis, et — le brandissant de plus en plus haut dans ses bras tremblants, cet enfant qu’elle voulait appeler Mordred et qui la fixait avec ce regard comique et ahuri — elle embrassa ses genoux et chacun de ses pieds minuscules. Et ce fut le premier bruit de succion que Susannah devait entendre dans cette pièce : non pas celui du bébé tétant sa mère, mais celui de la bouche de Mia embrassant les deux petits pieds parfaits.

3

Cet enfant-là est la malédiction de mon dinh, pensa froidement Susannah. Si je ne peux rien faire d’autre, je pourrais au moins m’emparer de l’arme de Scowther et l’abattre. Ce serait l’affaire de deux secondes.

Avec sa rapidité — sa troublante rapidité de pistolero — c’était tout à fait possible. Mais elle se retrouva incapable du moindre mouvement. Elle avait anticipé de nombreuses fins à cette scène, mais certes pas la folie soudaine de Mia, jamais cette fin-là, qui l’avait prise totalement au dépourvu. Susannah se dit soudain qu’elle avait sans doute de la chance que la connexion Positronics se soit interrompue à temps. Dans le cas contraire, elle aurait peut-être fini aussi décervelée que Mia.

Et cette connexion pourrait bien se rétablir, ma fille — tu ne crois pas que tu ferais mieux de passer à l’action, tant que tu en as les moyens ?

Mais le problème, c’était justement qu’elle n’en avait pas les moyens. Elle était paralysée par l’émerveillement, totalement esclave.

— Arrête ! aboya Sayre à son intention. Ton travail ne consiste pas à le lécher des pieds à la tête, mais à le nourrir ! Si tu veux le garder, tu ferais bien de te dépêcher ! Donne-lui le sein ! Ou bien dois-je faire appeler une nourrice ? Elles sont légion, prêtes à donner leur vie pour un tel honneur !

— Jamais… de… la… VIE ! hurla Mia en riant à gorge déployée, mais elle porta l’enfant à son sein et d’une main impatiente, écarta le col de la chemise de nuit blanche toute simple qu’on lui avait mise, dénudant son sein droit. Susannah vit clairement pourquoi les hommes étaient envoûtés par elle. Même en cet instant, son sein dessinait un globe d’ivoire parfait, couronné d’une pointe de corail, qui semblait plus fait pour une main et un désir d’homme que pour nourrir un bébé. Mia hissa le p’tit gars jusqu’au téton. Pendant une seconde, il tâtonna avec ce même air comique que quand il la fixait sans comprendre, le visage heurtant le téton, puis s’écartant d’elle comme s’il rebondissait sur la chair. Puis il s’approcha de nouveau, et sa petite bouche rose se referma sur le petit bouton rose et durci du sein de Mia, et il commença à téter.