— Tuez-la ! se mit à hurler Sayre, s’emparant de son propre revolver. Tuez-moi cette chienne !
Susannah roula sur le côté, s’éloignant de l’araignée gigantesque accroupie sur le cadavre de sa mère en train de se désincarner rapidement, tentant d’arracher son casque au moment où elle basculait du lit. Pendant une seconde d’une douleur insupportable, elle crut que l’engin ne voudrait pas se détacher, puis elle heurta le sol, enfin libérée. Le casque pendait sur le côté du lit, et Susannah aperçut une couronne de ses cheveux collés sur le rebord métallique. La chose-araignée, momentanément délogée de son perchoir quand le corps de sa mère sursauta, poussa un vagissement de colère.
Susannah roula sous le lit pour éviter une rafale qui piquait sur elle. Elle entendit un grand SPROINK lorsqu’une des balles heurta un des ressorts. Elle aperçut les pieds et les mollets poilus de l’infirmière à tête de rat et lui logea une balle dans le genou. L’infirmière lâcha un cri, se retourna et s’éloigna d’une démarche boitillante, en poussant des couinements perçants.
Sayre se pencha en avant, visant le lit double, juste au-delà du corps évidé de Mia. Trois trous noirs et fumants apparaissaient déjà dans le tapis au sol. Avant qu’il ait pu en percer un quatrième, l’une des pattes de l’araignée lui caressa la joue, déchirant le masque qu’il portait, dévoilant en dessous sa peau poilue. Sayre recula vivement en poussant un cri. L’araignée se rua sur lui avec un vagissement terrible. La chose blanche perchée sur son dos — une nodosité à tête humaine — fixait Sayre, comme pour le prévenir qu’il ferait bien de rester à distance de sa proie. Puis la tête se tourna vers la femme, qui ne ressemblait plus du tout à une femme. On aurait plutôt dit les restes d’une momie antédiluvienne, dont ne subsistaient que des lambeaux de tissu et de la poudre d’os.
— Je dois dire que tout cela est quelque peu déconcertant, fit remarquer le robot portant la couveuse. Dois-je me retirer ? Peut-être devrais-je revenir quand la situation se sera éclaircie ?
Susannah roula dans l’autre sens, sortant de sous le lit. Elle remarqua que deux des ignobles avaient pris leurs jambes à leur cou. Jey, l’homme-faucon, ne parvenait visiblement pas à se décider. Rester ou partir ? Susannah trancha pour lui, lui collant une balle en pleine tête. Du sang et des plumes marron et lustrées volèrent.
Susannah se releva comme elle put, s’agrippant au bord du lit pour reprendre son équilibre, tendant l’arme de Scowther devant elle. Elle en avait eu quatre. L’infirmière à tête de rat et un des autres s’étaient enfuis. Sayre avait lâché son arme et tentait de se cacher derrière le robot à la couveuse.
Susannah abattit les deux vampires restants, ainsi que l’ignoble à tête de bouledogue. Ce dernier — Haber — n’avait pas oublié Susannah ; il attendait son heure, afin de pouvoir tirer à vue. Elle l’atteignit en premier et le regarda s’écrouler en arrière avec une profonde satisfaction. Pour elle, Haber était le plus dangereux de tous.
— Madame, je me demandais si vous pouviez me renseigner — commença le robot.
Susannah tira deux balles dans sa tête d’acier rutilant, éteignant les yeux bleus électriques. C’était là un tour que lui avait enseigné Eddie. Une sirène monstrueuse se déclencha immédiatement. Susannah eut l’impression que, si elle l’écoutait pendant trop longtemps, elle finirait sourde.
— JE SUIS AVEUGLE, BLESSÉ PAR BALLE ! s’époumona le robot, toujours sur ce ton grotesque à la que-diriez-vous-d’une-bonne-tasse-de-thé-très-chère. VISION ZÉRO, JE DEMANDE DE L’AIDE, CODE 7, AU SECOURS, VOUS DIS-JE !
Sayre se recula de la carcasse de métal, les mains en l’air. À cause des hurlements de la sirène et des jérémiades du robot, Susannah ne put entendre ce que lui criait ce salaud, mais elle lut sur ses lèvres : Je me rends, voulez-vous bien me croire ?
L’idée la fit sourire, sans même qu’elle en eût conscience. Sans une pointe d’humour ou un soupçon de pitié. Et ce sourire n’avait qu’une seule signification : elle voulait le voir lui lécher les moignons, comme lui avait forcé Mia à lui lécher les bottes. Mais elle n’avait pas de temps à perdre. Au rictus de Susannah, il comprit qu’il était condamné et fit mine de s’enfuir. Susannah lui tira deux balles dans la tête — une pour Mia, l’autre pour le Père Callahan. Le crâne de Sayre explosa dans une orgie de sang et de cervelle. Il s’agrippa au mur, en arracha une étagère chargée d’ustensiles et de matériel, puis tomba raide mort.
Susannah visait à présent le dieu-araignée. La minuscule tête humaine posée sur son dos noir et hirsute se tourna vers elle. Les yeux bleus, dérangeants, si semblables à ceux de Roland, se plantèrent dans ceux de la jeune femme.
— Non, tu ne peux pas ! Tu ne dois pas ! Car je suis le seul héritier du Roi !
— Ah non, je ne peux pas ? lui lança-t-elle en levant son arme. Oh, trésor, si tu savais à quel point tu… te… PLANTES !
Mais avant qu’elle ait pu appuyer sur la détente, un coup de feu éclata derrière elle. Une balle lui érafla le cou, creusant un sillon brûlant. Susannah réagit instantanément, pivotant et se jetant à terre. L’un des ignobles qui s’étaient enfuis avait eu des remords et fait machine arrière. Susannah lui mit deux balles dans la poitrine, ce qui lui fit mortellement regretter ce dernier excès de zèle.
Elle se retourna, cherchant encore la bagarre — oui, c’était bien ça qu’elle voulait, c’était pour ça qu’elle était faite, et elle serait éternellement reconnaissante envers Roland de le lui avoir révélé —, mais tous étaient morts ou déjà loin. L’araignée s’empressa de sauter de son lit sur ses multiples pattes, abandonnant le cadavre desséché de sa mère. Elle tourna brièvement sa tête de bébé immaculé vers Susannah.
— Tu ferais bien de me laisser passer, Noiraude, ou bien…
Elle fit feu sur la chose mais, ce faisant, elle trébucha sur la main tendue du cadavre de l’homme-faucon. La balle qui aurait dû tuer cette abomination partit de travers, et alla se planter dans une de ses huit pattes poilues. Un liquide jaune et rougeâtre, tenant plus du pus que du sang, s’écoula de la jointure de la patte. La créature poussa un hurlement de douleur et de surprise mêlées. Malgré le vacarme assourdissant de la sirène et du robot, Susannah perçut très distinctement ce cri à l’intérieur de son crâne.
— Tu me le paieras ! Mon père et moi, nous te le ferons payer ! Tu nous supplieras à genoux de t’achever, tu nous imploreras !
— Tu n’en auras pas l’occasion, trésor, répliqua Susannah en essayant d’y mettre toute la confiance qu’elle put, ne voulant pas laisser la bête soupçonner ce qu’elle redoutait : que l’automatique de Scowther était à sec. Elle visa avec une détermination inutile et l’araignée s’enfuit précipitamment, se jetant tout d’abord derrière le robot qui braillait, puis s’engouffrant dans une porte sombre.
Très bien. Pas génial, pas la solution idéale, mais au moins elle était toujours en vie, et c’était déjà du pur bonheur.
Et le fait que toute la fine équipe de Sayre soit éliminée ou en cavale ? Pas mal, ça aussi.