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Roland se précipita en avant, dans le but d’étouffer le petit feu qui avait démarré dans les broussailles, et c’est alors qu’un mugissement de rage éclata dans sa tête.

Mon fils ! Mon seul fils ! Tu l’as assassiné !

— C’était aussi le mien, dit Roland en regardant le monstre en train de se consumer. Il pouvait reconnaître cette vérité. Oui, il pouvait au moins faire ça.

Viens donc ! Viens donc, tueur de fils, voir ta Tour, mais sache une chose — tu mourras de vieillesse au bord du Can’-Ka avant d’avoir pu en toucher ne serait-ce que la porte ! Jamais je ne te laisserai passer ! Les ténèbres du vaadasch me frapperont avant que je te laisse passer, toi ! Assassin ! Meurtrier de ta mère, meurtrier de tes amis — si fait, de tous, car Susannah baigne dans son sang, la gorge tranchée, de l’autre côté de cette porte par laquelle tu l’as renvoyée — et à présent, meurtrier de ton propre fils !

— Qui me l’a envoyé ? demanda Roland à la voix dans sa tête. Qui a envoyé cet enfant là-bas — car c’est ce qu’il est, sous cette carapace noire —, qui l’a envoyé droit à sa mort, espèce de rat vicieux écarlate ?

Roland ne reçut aucune réponse, aussi rengaina-t-il son arme et éteignit-il le début de feu avant qu’il pût s’étendre. Il repensa à ce que la voix avait dit au sujet de Susannah, et décida de ne pas y croire. Elle était peut-être morte, si fait, c’était possible, mais selon lui le Père Rouge de Mordred n’en savait pas plus que lui, à ce sujet.

Le Pistolero laissa cette pensée vagabonder et se dirigea vers l’arbre auquel pendait le reste de son ka-tet, empalé… mais toujours vivant. Les yeux cerclés d’or regardèrent Roland avec ce qui ressemblait presque à de l’amusement las.

— Ote, murmura Roland en tendant la main, sachant qu’il se ferait peut-être mordre, mais s’en moquant totalement.

Il se dit qu’une partie de lui — une partie conséquente, qui plus est — voulait qu’il se fasse mordre.

— Ote, nous te disons tous grand merci. Je te dis grand merci, Ote.

Le bafouilleux ne le mordit pas, et prononça son dernier mot.

— Olan, dit-il simplement.

Puis il poussa un soupir, lécha la main du Pistolero une seule fois, baissa la tête, et mourut.

11

Les faibles lueurs de l’aube blanchirent et s’épanouirent, et c’est alors que Patrick s’approcha, hésitant, de l’endroit où était assis le Pistolero. Dans le lit asséché de la rivière, entouré de roses, il avait déposé le corps d’Ote sur ses genoux comme une étole. Le jeune homme émit un couinement doux et interrogateur.

— Pas maintenant, Patrick, dit Roland d’un air absent, en caressant la fourrure d’Ote.

Elle était dense, mais douce au toucher. Il eut du mal à croire que la créature qu’elle recouvrait n’était plus, en dépit des muscles raidis et des amas de poils collés par le sang coagulé. Il les lissa de ses doigts du mieux qu’il put.

— Pas maintenant. Nous avons toute la journée pour aller là-bas, et nous y arriverons sans peine.

Non, il n’y avait aucun besoin de se dépêcher. Aucune raison de ne pas pleurer le dernier de ses morts autant qu’il le voulait. La voix du vieux Roi était catégorique, lorsqu’il avait juré que Roland mourrait de vieillesse sans avoir pu toucher la porte au pied de la Tour. Ils iraient là-bas, bien sûr, et Roland étudierait le terrain, mais il savait dès à présent que son plan de s’approcher de la Tour à l’insu du vieux monstre et de se frayer ensuite un chemin jusqu’à lui n’était pas un plan du tout, mais une douce illusion. Pas l’ombre d’un doute dans la voix de ce vieux traître. Pas de doute se cachant non plus derrière.

Et pour l’instant, rien de tout ça n’avait la moindre importance. Il tenait là encore un autre de ses amis, encore un ami qu’il avait tué, et la seule consolation qu’il put en tirer fut la suivante : Ote serait le dernier. À présent il se retrouvait seul avec Patrick, mais le Pistolero avait dans l’idée que le jeune homme était immunisé contre ce microbe terrible qu’il portait en lui, car jamais il n’avait fait partie d’un ka-tet.

Je ne tue que ma famille, songea Roland en caressant le bafou-bafouilleux mort.

Ce qui lui fit le plus mal fut de se remémorer la méchanceté avec laquelle il s’était adressé à Ote, la veille encore. Si tu voulais partir avec elle, tu aurais dû le faire quand tu en avais l’occasion !

Était-il resté parce qu’il savait que Roland aurait besoin de lui ? Que venue l’heure critique, quand il faudrait se mettre une pile (pour reprendre l’expression d’Eddie), Patrick faillirait ?

Pourquoi poser sur moi ce regard de bouken triste, maintenant ?

Parce qu’il savait que c’était son dernier jour, et que sa mort serait atroce ?

— Je crois que tu savais tout, dit Roland, en fermant les yeux pour mieux sentir le contact de la fourrure entre ses doigts. Je suis tellement désolé de t’avoir parlé ainsi — je donnerais les doigts de ma bonne main pour retirer ces paroles. Si fait, tous mes doigts, je dis vrai.

Mais ici, comme dans le Monde Clé, le temps ne s’écoulait que dans un sens. Impossible de revenir en arrière, et de retirer ces paroles.

Roland aurait dit qu’il ne ressentait plus de colère, qu’elle avait brûlé jusqu’à la dernière étincelle, mais lorsqu’il ressentit le fourmillement sur sa peau et comprit ce qu’il signifiait, il sentit une vague de fureur toute neuve le terrasser. Et il sentit ce halo glacial s’installer dans ses mains fatiguées, mais toujours dotées d’un talent hors du commun.

Patrick était en train de le dessiner ! Assis sous son peuplier comme si une petite créature courageuse qui en valait dix comme lui — non, cent ! — ne venait pas de mourir dans cet arbre même, et pour les sauver tous les deux.

C’est sa voie, dit Susannah d’une voix douce et calme, au cœur de son esprit. C’est tout ce qu’il a, on lui a retiré tout le reste — son monde, sa maison, sa mère et même sa langue, et aussi le peu de cervelle qu’il avait peut-être, autrefois. Lui aussi est en deuil, Roland. Et il a peur, lui aussi. C’est le seul moyen qu’il ait de s’apaiser un peu.

La voix de la vérité, à n’en pas douter. Mais la vérité de ces propos, loin de calmer sa colère, ne fit que l’embraser. Il posa le revolver qui lui restait à côté de lui (il renvoyait ses reflets métalliques entre deux roses chantantes) car l’avoir à portée de main était risqué, dans son état d’esprit présent. Puis il se remit debout, dans l’intention d’aller passer à Patrick le savon de sa vie, ne serait-ce que pour la bonne et simple raison que le Pistolero se sentirait un peu mieux, après. Il se répétait déjà intérieurement les premiers mots qu’il prononcerait :

Tu aimes dessiner ceux qui te sauvent la vie, ta vie insignifiante, espèce de crétin ? Ça te fait chaud au cœur ?

Il les avait sur le bout de la langue et s’apprêtait à les laisser échapper lorsque Patrick posa son crayon pour s’emparer de son nouveau jouet. Il ne restait déjà plus que la moitié de la gomme, et il n’y en avait pas d’autre. Tout comme l’autre pistolet de Roland, Susannah avait emporté les petites boules de caoutchouc rose, sans autre raison que le simple fait qu’elle gardait sur elle le bocal en verre. Son esprit était occupé par des sujets bien plus importants que ces gommes, alors. Patrick abaissa la gomme sur sa feuille, puis leva les yeux — peut-être pour vérifier qu’il souhaitait vraiment effacer — et aperçut le Pistolero, debout dans le lit de la rivière, qui le regardait en fronçant les sourcils. Patrick sut immédiatement que Roland était en colère, même s’il aurait sans doute été bien en peine de deviner pourquoi, et son visage se tordit de peur et de tristesse. Roland le vit alors tel que Dandelo avait dû le voir, encore et encore, et sa colère retomba subitement. Il n’était pas question que Patrick le craigne — ne serait-ce qu’au nom de Susannah, il ne tolérerait pas que Patrick le craigne.