Выбрать главу

« Bill Cullen est mort. Don Pardo est mort. Martin Luther King est mort, assassiné à Memphis. Règne Discordia !  »

Doux Jésus, ces voix ne se tairaient-elles donc jamais ?

Elle rouvrit les yeux et aperçut des portes estampillées SHANGHAI/FEDIC, BOMBAY/FEDIC, et DALLAS (NOVEMBRE 1963)/FEDIC. Sur d’autres apparaissaient des runes qui n’avaient pour elle aucun sens. Nigel s’immobilisa enfin en face d’une porte qu’elle reconnut sans peine.

NORTH CENTRAL POSITRONRICS
NEW YORK/FEDIC
SÉCURITÉ MAXIMALE

Tout cela, Susannah l’avait vu de l’autre côté, mais en dessous de la mention CODE VERBAL D’ENTRÉE EXIGÉ on lisait le message suivant, d’un rouge clignotant qui ne lui inspira rien de bon :

#9, DERNIÈRE SUPPLÉANTE
7

— Que voudriez-vous faire, à présent, madame ? demanda Nigel.

— Pose-moi par terre, mon chou.

Elle eut juste le temps de se demander ce qu’elle ferait si le robot refusait d’obéir, mais il n’hésita pas une seconde. Elle reprit ses bonnes vieilles méthodes et avança en sautillant jusqu’à la porte, sur laquelle elle posa les mains bien à plat. La texture sous ses doigts n’évoquait ni le bois ni le métal. Elle crut entendre un très léger bourdonnement. Elle songea à essayer son voll — sa version à elle de Sésame, ouvre-toi —, puis abandonna l’idée. Il n’y avait même pas de poignée. À sens unique, c’était à sens unique. Finie la rigolade.

(JAKE !)

Elle mit toutes ses forces dans cet appel.

Pas de réponse. Pas même un faible

(wimebawoué)

qui n’avait aucun sens. Elle patienta encore un peu, puis se retourna et s’assit dos contre la porte. Elle déposa entre ses cuisses les chargeurs qu’elle avait récupérés, et se cala le Walther PPK dans la main droite. Une bonne arme sous la main n’était pas du luxe, dans sa situation, le dos appuyé contre une porte verrouillée ; elle en apprécia le poids dans sa main. Autrefois, elle et d’autres s’étaient entraînés aux techniques de contestation, dont l’une s’appelait résistance passive. Ce qui consistait à s’allonger sur le sol d’une salle de restaurant, à se protéger les parties intimes, et à ne pas répondre à ceux qui vous frappaient, qui vous invectivaient et insultaient vos parents. Et à chanter comme la mer, malgré ses chaînes. Que diraient ses vieux amis de ce qu’elle était devenue ?

— Tu sais quoi ? lança Susannah. J’en ai rien à foutre. La résistance passive est morte, elle aussi.

— Madame ?

— Non, rien, Nigel.

— Madame, puis-je vous demander…

— Ce que je fais ?

— Exactement, madame.

— J’attends un ami, mon poteau. J’attends juste un ami.

Elle crut que DNK 45932 allait lui rappeler que son nom était Nigel, mais il n’en fit rien. Il préféra lui demander jusqu’à quand elle comptait attendre cet ami. Susannah répondit : « Jusqu’à ce que les poules aient des dents », ce qui provoqua chez le robot un long silence. Puis il finit par suggérer :

— Dans ce cas, puis-je me retirer, madame ?

— Comment feras-tu, pour voir ?

— Je suis passé en infrarouge. C’est moins satisfaisant que la macrovision aux rayons X en trois dimensions, mais cela suffira à me mener aux aires de réparation.

— Et dans ces aires de réparation, il y a quelqu’un qui saura te remettre d’aplomb ? demanda Susannah, par simple curiosité.

Elle poussa le loquet de sécurité de la crosse de son Walther, et le cliquetis métallique et huileux qu’il produisit lui procura un certain plaisir primaire.

— Je n’en ai aucune idée, madame, pas la moindre. Mais la probabilité est très faible, sans doute inférieure à un pour cent. Si personne ne vient, alors, tout comme vous, j’attendrai.

Elle acquiesça, se sentant soudain épuisée, et certaine que c’était là que prenait fin cette grande quête — ici, le dos contre cette porte. Mais on ne pouvait baisser les bras, n’est-ce pas ? Baisser les bras, c’était bon pour les lâches, pas pour les pistoleros.

— Grand bien t’en fasse, Nigel — merci pour la balade. Que tes journées soient longues et tes nuits plaisantes. J’espère que tu retrouveras tes yeux. Désolée de t’avoir tiré dessus, mais j’étais comme qui dirait sous pression, et je ne savais pas dans quel camp tu étais.

— Tous mes meilleurs vœux vous accompagnent, madame.

Susannah opina du chef. Nigel s’éloigna d’un pas pesant et ainsi elle se retrouva seule, appuyée contre cette porte vers New York. À attendre Jake. À écouter Jake.

Tout ce qu’elle entendit, c’est le ronronnement rouillé des mécanismes agonisant dans les murs.

CHAPITRE 5

Dans la jungle, terrible jungle

1

La seule chose qui évita à Jake de mourir avec le Père, c’est la menace que les ignobles et les vampires ne tuent Ote. Il n’y avait pas lieu de tergiverser. Jake hurla :

(OTE, À MOI !)

avec toute la force psychique qu’il put réunir, et Ote se mit à trottiner prestement sur ses talons. Jake dépassa deux ignobles hypnotisés par la tortue et s’engouffra par une porte RÉSERVÉ AU PERSONNEL. Lui et Ote passèrent de l’éclat mat rouge-orangé du restaurant à une zone de lumière blanche et vive, imprégnée d’odeurs de cuisine âcres et de chair carbonisée. De la vapeur lui sauta au visage, chaude et humide

(la jungle)

plantant peut-être le décor de la scène qui allait suivre

(la terrible jungle)

ou peut-être pas. Ses pupilles se rétrécirent et sa vision s’éclaircit. C’est alors qu’il comprit qu’il se trouvait dans les cuisines du Cochon du Sud. Et ce n’était d’ailleurs pas la première fois. Un jour, peu de temps avant l’arrivée des Loups à Calla Bryn Sturgis, Jake avait suivi Susannah (sauf qu’à ce moment-là, elle était Mia) à l’intérieur d’un rêve où elle fouillait les recoins d’une vaste cuisine désertée, à la recherche de nourriture. Cette cuisine-, sauf qu’à présent c’était la cohue. Un énorme cochon crépitait sur une broche métallique au-dessus d’un brasier gigantesque, les flammes venaient lécher chaque goutte de graisse à travers la grille incrustée de croûtes de viande. De part et d’autre du feu se dressaient d’imposants fourneaux de cuivre, sur lesquels fumaient des casseroles presque aussi grandes que Jake lui-même. Une créature à peau grise était en train de touiller, une créature tellement hideuse que Jake eut à peine la force de soutenir sa vue. Des défenses saillaient de chaque côté de sa bouche aux lèvres grises et charnues. Ses joues ornées de fanons pendaient en un amas de chair flasque recouvert de verrues. Pour couronner cette vision de cauchemar, la chose portait un tablier de cuisine blanc souillé d’éclaboussures diverses, et une toque rappelant un gros pop-corn gonflé d’air. Au-delà de cette apparition, quasiment englouties par la vapeur, deux autres créatures vêtues de blanc faisaient la vaisselle côte à côte, dans un évier double. Toutes deux portaient des lenges autour du cou. L’une d’elles était un humain, un garçon d’environ dix-sept ans. L’autre ressemblait à une sorte de chat de gouttière monstrueux avec des jambes.