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« Le Monseigneur, dit Bill en souriant. C’est comme ça que Kirsten vous appelle quand vous avez le dos tourné. »

Tim ne répondit rien. Nous entendions Kirsten dans la chambre à côté ; un objet tomba et elle poussa un juron.

« Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y a un Dieu ? » interrogea Bill.

Tim resta un instant sans rien dire. Il paraissait très fatigué, et pourtant je sentais qu’il essayait de formuler une réponse. Il se frotta les yeux avec lassitude. « Il y a la preuve ontologique… murmura-t-il. L’argument ontologique avancé par saint Anselme, selon lequel si un tel Être peut être imaginé… » Il s’interrompit, leva la tête, battit des paupières.

« Je peux taper votre discours, proposai-je. C’était mon travail au cabinet d’avocats ; je suis bonne dactylo. » Je me levai. « Je vais prévenir Kirsten.

— Il n’y a pas de problème, assura Tim.

— Il ne vaudrait pas mieux que vous le prononciez en ayant une transcription sous les yeux ? »

Tim déclara : « Je veux leur parler de… » À nouveau il s’interrompit. « Vous savez, Angel, reprit-il, j’aime vraiment Kirsten… Elle a beaucoup fait pour moi. Et si elle n’avait pas été là après la mort de Jeff… je ne sais pas ce que j’aurais fait ; je suis sûr que vous comprenez. » Il se tourna vers Bill. « Je tiens énormément à votre mère. Elle est la personne la plus proche de moi dans le monde entier.

— Est-ce qu’il y a une preuve de l’existence de Dieu ? » demanda Bill.

Observant une nouvelle pause, Tim finit par répondre : « Un certain nombre d’arguments sont donnés. Le meilleur est peut-être l’argument biologique, proposé par exemple par Teilhard de Chardin. L’évolution – l’existence même de l’évolution – semble indiquer un concepteur. Il y a aussi l’argument de Morrison qui s’appuie sur l’hospitalité remarquable offerte par notre planète aux formes complexes de vie. Les chances pour qu’une telle situation se soit produite par hasard sont très minces. Je regrette. » Il secoua la tête. « Je ne me sens pas bien. Nous en discuterons une autre fois. Je dirais pourtant, en bref, que l’argument téléologique, celui du dessein contenu dans la nature, du but dans la nature, est pour moi le plus fort.

— Bill, dis-je, l’évêque est fatigué. »

Ouvrant la porte de la chambre, Kirsten, maintenant en robe de chambre et mules, se mêla à la conversation : « L’évêque est fatigué. L’évêque est toujours fatigué. L’évêque est trop fatigué pour répondre quand on lui demande s’il y a une preuve de l’existence de Dieu. Non, il n’y a pas de preuve. Où est l’Alka-Seltzer ?

— J’ai pris le dernier paquet, dit Tim de façon distante.

— J’en ai dans mon sac », indiquai-je.

Kirsten referma la porte de la chambre. En la faisant claquer.

« Il y a des preuves, déclara Tim.

— Mais Dieu ne parle à personne, objecta Bill.

— Non », dit Tim. Il reprit ses forces, à ce moment ; je le vis se redresser. « Toutefois, l’Ancien Testament nous fournit de nombreux exemples de Jéhovah s’adressant à son peuple par l’intermédiaire des prophètes. Mais cette source de révélation a fini par se tarir. Dieu ne parle plus à l’homme. C’est ce qu’on appelle “le long silence”. Il dure depuis deux mille ans.

— Mais si Dieu parlait autrefois aux gens dans la Bible, insista Bill, pourquoi est-ce qu’il ne leur parle plus maintenant ? Pourquoi s’est-il arrêté ?

— Je ne sais pas », répondit Tim. Il n’ajouta rien. Vous ne pouvez pas en rester là, pensai-je. Ce n’est pas ainsi qu’il faut conclure.

« Je vous en prie, continuez, fis-je.

— Quelle heure est-il ? » questionna Tim ; son regard fit le tour du salon. « Je n’ai pas ma montre. »

Bill changea de sujet : « Qu’est-ce que c’est que ces idioties à propos de Jeff qui serait revenu de l’autre monde ? »

Oh ! mon Dieu, me dis-je en fermant les yeux.

« Je voudrais vraiment que vous m’expliquiez ça, poursuivit Bill. Parce que c’est impossible. Ce n’est pas seulement improbable ; c’est impossible. » Il attendit une réponse. « Kirsten m’a raconté tout ça, reprit-il. C’est la chose la plus stupide que j’aie jamais entendue.

— Jeff a communiqué avec nous deux, énonça Tim. À l’aide de phénomènes intermédiaires. Bien des fois et de bien des façons. » Brusquement, son visage s’empourpra ; il se redressa et l’autorité qu’il y avait au fond de lui apparut à la surface : l’homme marqué par l’âge, fatigué par ses problèmes personnels, dont il avait donné l’apparence se changea sous mes yeux en l’incarnation même de la force, la force de la conviction exprimée sous forme de mots. « C’est Dieu en personne qui agit sur nous et à travers nous pour amener un jour plus lumineux. Mon fils est maintenant avec nous ; il est avec nous ici dans cette pièce. Il ne nous a jamais quittés. Ce qui est mort était un corps matériel. Tout ce qui est matériel périt. Les planètes périssent. L’univers physique lui-même périra. Allez-vous soutenir pour autant que rien n’existe ? Parce que c’est à cette conclusion que vous mènera votre logique. Il est impossible de prouver l’existence d’une réalité externe. Descartes l’a découvert ; c’est la base de la philosophie moderne. Tout ce que vous pouvez savoir de façon certaine, c’est que votre esprit, votre conscience existe. Vous pouvez dire : “Je suis”, c’est tout. Et c’est ce que Jéhovah a dit à Moïse de répondre à ceux qui lui demanderaient à qui il avait parlé. “Je suis”, a dit Jéhovah. Ehyeh, en hébreu. Vous aussi, vous pouvez le dire, et c’est tout ce que vous pouvez dire ; point final. Ce que vous voyez n’est pas le monde mais une représentation formulée par votre esprit. Tout ce que vous connaissez, vous le savez par la foi. Mais il se peut aussi que vous soyez en train de rêver. Y avez-vous songé ? Platon raconte qu’un sage vieillard, sans doute un orphique, lui avait déclaré : “Maintenant nous sommes morts et dans une sorte de prison.” Platon n’a pas jugé absurde cette déclaration ; il nous confie qu’elle est probante et donne à réfléchir. “Maintenant nous sommes morts.” Il est possible qu’il n’y ait pas de monde du tout. Je possède autant de preuves du retour de Jeff que de l’existence du monde. Nous ne supposons pas qu’il est revenu ; nous le savons par l’expérience. Nous vivons cette expérience. Ce n’est donc pas simplement notre opinion. C’est réel.

— Réel pour vous, objecta Bill.

— Que peut offrir de plus la réalité ?

— Ce que je veux dire, poursuivit Bill, c’est que moi je n’y crois pas.

— Le fond du problème ne se situe pas au niveau de notre expérience, reprit Tim. Il est en rapport avec votre système de croyance. Dans les limites de votre système de croyance, une chose pareille est impossible. Mais qui peut dire, vraiment dire, ce qui est possible ? Nous n’avons pas la connaissance de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas ; nous ne fixons pas les bornes – c’est Dieu qui les fixe. » Tim pointa vers Bill un index rigide. « Ce que l’on croit et ce que l’on sait dépend, en dernier ressort, de Dieu : ce n’est pas vous qui décidez de donner ou de refuser votre consentement ; c’est un don de Dieu, un exemple de notre dépendance à son égard. Dieu nous accorde un monde et force notre consentement à ce monde ; il le rend réel pour nous : c’est l’un de ses pouvoirs. Croyez-vous que Jésus était le Fils de Dieu, qu’il était Dieu en personne ? Vous ne le croyez pas non plus. Alors, comment puis-je vous prouver que Jeff nous est revenu de l’autre monde ? Je ne peux même pas démontrer que le Fils de l’Homme a marché sur cette Terre il y a deux mille ans, qu’il a vécu pour nous et qu’il est mort pour nous, pour nos péchés, avant de ressusciter le troisième jour. J’ai raison, n’est-ce pas ? Cela aussi, vous le niez ? Mais à quoi croyez-vous ? À des objets dans lesquels vous montez pour rouler autour du pâté de maisons. Il se peut que ces objets et ce pâté de maisons n’existent pas ; quelqu’un faisait remarquer à Descartes qu’un démon malveillant pourrait nous faire adhérer à un monde qui serait inexistant, qu’il pourrait nous faire accepter une contrefaçon comme la représentation ostensible du monde. Si cela se produisait, nous ne le saurions pas. Nous devons avoir confiance ; nous devons avoir foi en Dieu. Je fais confiance à Dieu pour qu’il ne me trompe pas ; je juge le Seigneur fidèle, sincère et incapable de duperie. Pour vous la question ne se pose même pas, puisque vous ne concédez pas qu’il existe. Vous demandez une preuve. Si je vous disais à cet instant même que j’ai entendu la voix de Dieu me parler, est-ce que vous le croiriez ? Non, bien entendu. Nous considérons comme pieux les gens qui s’adressent à Dieu mais nous traitons de fous ceux à qui Dieu s’adresse. C’est une époque de peu de foi. Ce n’est pas Dieu qui est mort ; c’est notre foi qui est morte.