– Comment! À côté de… m'écriai-je.
– Non. Tout est maintenant remis en ordre. Vous en avez accordé la permission, monsieur Mac, d'après ce qui m'a été dit. La pièce se trouvait donc dans son état normal, et j'y ai passé des moments instructifs.
– Comment cela?
– Eh bien! je ne vous ferai pas mystère d'une chose aussi simple: je cherchais l'haltère manquant. Dans mon appréciation des faits, l'haltère disparu pesait très lourd. J'ai fini par le retrouver.
– Où?
– Ah! Là nous touchons au domaine de ce qui n'est pas vérifié. Laissez-moi poursuivre encore un tout petit peu mes investigations, et je vous promets que vous saurez ensuite tout ce que je sais.
– Nous sommes bien obligés d'en passer par où vous voulez, grogna l'inspecteur. Mais de là à admettre que nous devons abandonner l'affaire… Enfin, au nom du Ciel, pourquoi abandonner l'affaire?
– Pour la simple raison, mon cher monsieur Mac, que vous n'avez pas la moindre idée du but de votre enquête.
– Nous enquêtons sur le meurtre de M. John Douglas du manoir de Birlstone.
– Eh bien! oui! Voilà sur quoi vous enquêtez. Mais ne prenez pas la peine de rechercher le mystérieux touriste à bicyclette. Je vous affirme que cette recherche ne vous mènera à rien.
– Alors, que nous suggérez-vous?
– Je vous dirai exactement quoi faire, si vous le faites.
– Ma foi, je reconnais que vous avez toujours eu raison en dépit de toutes vos bizarreries. Je ferai ce que vous me conseillerez.
– Et vous, monsieur White Mason?
Le détective local faisait une drôle de tête. M. Holmes et ses méthodes, c'était du nouveau à Birlstone.
– Eh bien! puisque l'inspecteur s'en contente, je m'en contenterai moi aussi, répondit-il piteusement.
– Bravo! fit Holmes. Je vais donc vous recommander à tous deux une excellente petite promenade à la campagne. On m'a dit que le panorama sur le Weald, de la crête de Birlstone, était tout à fait remarquable. Sans aucun doute, nous pourrons déjeuner dans une hôtellerie convenable, bien que mon ignorance du pays m'interdise d'en citer une. Ce soir, fatigués mais contents…
– Mon cher, vous dépassez les limites de la plaisanterie! s'exclama MacDonald, qui, furieux, se leva de sa chaise.
– Bon! Passez donc la journée comme vous l'entendrez, dit Holmes en lui administrant de petites tapes sur l'épaule. Faites ce qui vous plaira et allez où vous voudrez, mais retrouvez-moi ici sans faute avant ce soir. Sans faute, monsieur Mac!
– C'est de la folie pure!
– Je voulais vous donner un excellent conseil. Mais je n'insiste plus, du moment que vous serez ici à l'heure où j'aurai besoin de vous. Maintenant, avant que je vous quitte, je désire que vous écriviez un mot à M. Barker.
– Oui?
– Je vous le dicterai, si vous préférez. Prêt?
«Cher Monsieur,
J'ai pensé qu'il est de notre devoir de vider la douve, dans l'espoir que nous pourrions trouver…»
– Impossible! protesta l'inspecteur. J'ai procédé à des recherches, pour savoir si c'était faisable: on ne peut pas assécher la douve.
– Tut, tut, mon cher monsieur! Écrivez, je vous prie, ce que je vous demande d'écrire.
– Bien. Continuez.
«… dans l'espoir que nous pourrions trouver un élément nouveau en rapport avec l'enquête. J'ai pris mes dispositions: les ouvriers se mettront au travail demain matin de bonne heure pour détourner le cours d'eau…»
– Je vous répète que c'est impossible!
«… pour détourner le cours d'eau. J'ai jugé préférable de vous en avertir au préalable.»
– À présent, signez. Faites remettre ce message en main propre vers quatre heures. C'est l'heure à laquelle nous nous retrouverons ici. En attendant, amusons-nous les uns et les autres comme il nous plaira, car je vous certifie que l'enquête en est arrivée au point mort.
Le soir tombait quand nous nous rencontrâmes à nouveau. Holmes était très sérieux; moi, j'étais curieux et les détectives visiblement sceptiques.
– Eh bien! messieurs, commença-t-il gravement, je vous prie maintenant de bien vouloir vérifier en ma compagnie tout ce que je vais vous soumettre. Vous jugerez par vous-même si les observations que j'ai faites justifient les conclusions auxquelles je suis parvenu. La soirée est fraîche, et j'ignore combien de temps durera notre expédition; aussi vous recommanderai-je de mettre vos vêtements les plus chauds. Il est de la première importance que nous soyons à notre poste avant qu'il fasse complètement nuit; avec votre permission, nous allons partir tout de suite.
Nous longeâmes la lisière extérieure du parc du manoir et nous arrivâmes devant une ouverture de la clôture. Nous nous glissâmes par ce trou; Holmes nous mena derrière un massif situé presque en face de la porte principale et du pont qui n'avait pas été relevé. Holmes s'accroupit derrière les lauriers; nous l'imitâmes.
– Alors, qu'allons-nous faire? interrogea MacDonald d'une voix bourrue.
– Armer nos âmes de patience et faire le moins de bruit possible, répondit Holmes.
– Mais enfin, pourquoi sommes-nous ici? Vraiment, je pense que vous auriez dû vous montrer plus franc!
Holmes se mit à rire.
– Watson, dit-il, revient toujours sur un thème qui lui est cher: il déclare que dans la vie réelle je suis un dramaturge. Il y a en moi une certaine veine artistique qui me réclame avec insistance sur la scène. Notre profession, monsieur Mac, serait bien terne, bien sordide, si nous ne procédions pas de temps en temps à une savante mise en scène pour glorifier nos résultats. L'inculpation brutale, la main au collet, que peut-on faire d'un pareil dénouement? Mais la subtile déduction, le piège malin, l'habile prévision des événements avenir, le triomphe vengeur des théories les plus hardies, tout cela n'est-il pas la fierté et la justification du travail de notre vie? À présent, vous frémissez sous l'enchantement de la situation, vous vibrez de l'anticipation du chasseur. Seriez-vous dans cet état si j’avais été aussi précis qu'un horaire de chemin de fer? Je vous demande seulement un peu de patience, monsieur Mac, et tout s'éclairera.
– Eh bien! j'espère que la fierté, et la justification, et le reste nous seront accordés avant que nous soyons morts de froid! murmura le détective londonien avec une résignation comique.
Nous eûmes tous de bonnes raisons pour nous associer à ce vœu, car notre faction traîna fastidieusement en longueur. Lentement les ombres s'obscurcirent au-dessus de la façade sombre et allongée de la vieille maison. Une brume glacée venue de la douve nous gelait jusqu'aux os et nous faisait claquer des dents. Une seule lampe était allumée au-dessus de la porte; un globe lumineux brillait dans la pièce du crime. Ailleurs c'était la nuit noire.
– Combien de temps cela va-t-il durer? demanda tout à coup l'inspecteur. Et qu'est-ce que nous attendons ici?