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À nouveau la physionomie de McMurdo trahit le combat qui se livrait en lui; à nouveau une résolution inébranlable conclut son débat intérieur.

– Il ne vous arrivera aucun mal, Ettie, ni à vous, ni à votre père. Pour ce qui est des méchants, je me demande si vous ne me découvrirez pas aussi mauvais que le pire d'entre eux avant que nous soyons mariés!

– Non, non, Jack! Je vous fais confiance… pour toujours! McMurdo eut un rire amer.

– Seigneur! Comme vous me connaissez peu! Votre âme innocente, ma chérie, n'a même pas pu deviner ce qui se passait dans la mienne. Mais, holà! qui est ce visiteur?

La porte s'était ouverte brusquement, et un jeune homme était entré avec l'air avantageux de celui qui se sent chez lui. Il était beau, élégant; il avait à peu près le même âge et la même taille que McMurdo. Sous son chapeau de feutre noir à larges bords, qu'il n'avait pas pris la peine d'enlever, il observait avec des yeux farouches le couple qui était assis auprès du poêle; son nez busqué, son profil d'aigle n'adoucissaient pas l'expression de son regard.

D'un bond, Ettie s'était mise debout; elle était plus que confuse: affolée.

– Je suis heureuse de vous voir, monsieur Baldwin; dit-elle. Vous arrivez plus tôt que je ne l'espérais. Asseyez-vous.

Baldwin, mains aux hanches, fixait McMurdo.

– Qui est celui-ci? demanda-t-il brusquement.

– Un de mes amis, monsieur Baldwin. Un nouveau pensionnaire. Monsieur McMurdo, puis-je vous présenter à M. Baldwin?

Les deux jeunes gens échangèrent un signe de tête bourru.

– Mlle Ettie vous a peut-être mis au courant de nos relations? dit Baldwin.

– Je n'ai pas compris qu'une relation quelconque existait entre vous.

– Ah! oui? Hé bien! vous allez le comprendre, et vite! Vous pouvez m'en croire: cette jeune personne est à moi, et vous trouverez la soirée très agréable pour une promenade.

– Merci. Je ne suis pas d'humeur à me promener.

– Tiens, tiens!…

Les yeux de M. Baldwin s'embrasèrent de fureur.

– … Vous seriez plutôt d'humeur à vous battre, peut-être, monsieur le pensionnaire?

– Vous l'avez deviné! cria McMurdo en sautant sur ses pieds. vous n'avez jamais dit une parole plus juste.

– Oh! pour l'amour de Dieu, Jack! s'écria la pauvre Ettie bouleversée. Oh! Jack, Jack, il va vous faire du mal!

– Oh! on l'appelle déjà Jack, paraît-il? dit Baldwin. En seriez-vous si tôt arrivés là?

– Oh! Ted, soyez raisonnable! Soyez bon! Pour l'amour de moi, Ted, si jamais vous m'avez aimée, soyez généreux et pardonnez-lui!

– Je pense, Ettie, dit tranquillement McMurdo, que si vous nous laissiez entre nous, nous pourrions régler convenablement cette affaire. À moins que, monsieur Baldwin, vous ne préfériez faire un tour avec moi dans la rue. La soirée est belle, vous l'avez dit, et il y a un terrain approprié derrière le bloc voisin.

– Je vous revaudrai cela sans avoir besoin de me salir les mains, répondit son rival. Vous regretterez d'avoir posé le pied dans cette maison avant même que je me sois débarrassé de vous.

– Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras! s'écria McMurdo.

– Je choisirai mon heure. Vous pouvez m'en laisser le soin. Regardez…

– Il releva sa manche et montra sur son avant-bras un signe particulier qui semblait avoir été imprimé au fer chaud. C'était un triangle dans un cercle.

– Savez-vous ce que cela signifie?

– Je n'en sais rien et je m'en moque!

– Eh bien! vous l'apprendrez! Je vous jure que vous l'apprendrez. Et d'ici peu! Mlle Ettie pourra vous renseigner. Quant à vous, Ettie, vous me reviendrez à genoux. Entendez-vous, ma fille? À genoux! Et ensuite je vous dirai quel sera votre châtiment. Vous avez semé… Par le Seigneur, je veillerai à ce que vous récoltiez!

Il leur jeta un dernier regard furieux. Puis il pivota sur ses talons et claqua la porte derrière lui.

Pendant un instant, McMurdo et la jeune fille demeurèrent immobiles et silencieux. Puis elle se jeta contre lui et l'entoura de ses bras.

– Oh! Jack, comme vous avez été courageux! Mais cela ne sert à rien: il vous faut fuir! Ce soir, Jack! Cette nuit! C'est votre seule chance. Il vous tuera. Je l'ai lu dans ses yeux horribles. Quelle chance auriez-vous contre une douzaine d'hommes, avec le chef McGinty et tout le pouvoir de la loge derrière eux?

McMurdo se dégagea, l'embrassa et la poussa doucement vers une chaise.

– Là, ma chérie, là! Ne vous faites pas de mauvais sang pour moi. Je suis aussi un Homme libre. Je l'ai dit à votre père. Je ne vaux peut-être pas mieux que les autres; ne me prenez pas pour un saint. Ne me détestez-vous pas, moi aussi, maintenant que je vous ai tout dit?

– Vous détester, Jack! Tant que je vivrai, je ne pourrai pas vous détester. On m'a dit qu'ailleurs, il n'y avait aucun mal à être un Homme libre. Pourquoi donc vous blâmerais-je? Mais puisque vous êtes un Homme libre, Jack, pourquoi ne pas vous rendre à la loge et gagner l'amitié de McGinty? Oh! dépêchez-vous, Jack! Parlez-lui le premier; sinon la meute se déchaînera contre vous.

– J'avais la même idée, dit McMurdo. J'y vais tout de suite pour tout arranger. Vous pourrez dire à votre père que je coucherai ici ce soir et que demain j'aurai trouvé une autre chambre.

Le bar du cabaret de McGinty regorgeait de la foule des habitués qui groupait les bas-fonds de la ville. L'homme était populaire; sep façons joviales lui servaient de masque. Cependant la peur qu'il inspirait non seulement à Vermissa, mais sur les cinquante kilomètres de la vallée et sur l'autre versant des montagnes, aurait suffi à remplir son bar: personne en effet ne pouvait s'offrir le luxe de négliger sa bienveillance.

En plus de ces pouvoirs occultes que de l'avis unanime il exerçait sans la moindre pitié, McGinty était un personnage public il avait été élu conseiller municipal et commissaire pour les routes par les votes des bandits et des brutes qui en échange espéraient recevoir des faveurs. Les impôts et les contributions étaient énormes, les travaux publics notoirement délaissés, les comptes rendus devant des auditeurs corrompus; le bon citoyen se voyait contraint de se soumettre au chantage public et à se taire, de crainte qu'il ne lui arrivât pis. Voilà pourquoi, d'année en année, les épingles de cravate en diamants du patron McGinty devinrent de plus en plus voyantes, ses chaînes d'or augmentèrent de poids, et son cabaret prit de l'extension au point qu'il menaçait d'absorber tout un côté de la place du Marché.

McMurdo poussa la porte du cabaret et se fraya son chemin parmi la cohue, dans une atmosphère souillée de fumée de tabac et de relents d'alcool. La salle était très éclairée; d'immenses glaces dorées sur chaque mur réfléchissaient et multipliaient cette débauche de lumières. Il y avait plusieurs serveurs qui, en manches de chemise, confectionnaient mélanges sur mélanges pour les clients qui assiégeaient le large comptoir. Tout au bout, le buste reposant sur le bar, un cigare formant avec le coin de la bouche un angle aigu, se tenait un homme grand fort, à lourde charpente, qui ne pouvait être que le célèbre McGinty en personne. Il avait une crinière noire qui lui retombait sur le col, une barbe qui lui mangeait les joues, le teint bistré d'un Italien, des yeux fixes et noirs qui, louchant légèrement, étaient effrayants à affronter. Tout le reste (un corps bien proportionné, des traits fins, des manières franches) convenait parfaitement à la jovialité et au bon garçonnisme qu'il affectait. Voici, aurait dit un visiteur non prévenu, un brave et honnête gaillard qui ne doit pas manquer de cœur en dépit de la grossièreté accidentelle de son langage. Mais lorsque ses yeux fixes, noirs, profonds, implacables, se braquaient sur son interlocuteur, celui-ci commençait à frissonner, à sentir qu'il se trouvait en face d'un véritable génie du mal que rendaient mille fois plus dangereux la force, le courage et la ruse qui l'habitaient.